La question de la “chimie” dans l’eau potable recouvre deux réalités : les procédés, d’une part, et les éventuels résidus - le “goût de chlore” - dans l’eau d’autre part. Il existe des moyens de réduire le recours à la chimie dans les deux cas, mais ce n’est pas forcément applicable partout.
Les eaux de forage, une situation idéale
« Les filtres à sable classiques ou filtres bicouche, exigent l’ajout de coagulants pour garantir l’efficacité de la filtration au-delà de 5-10 NTU dans l’eau brute et sont inadaptés dès que la turbidité dépasse 20 à 30 NTU. Ils arrivent vite à leur limite, sur ces ressources souvent sujettes à de brusques variations alors que les membranes d’ultrafiltration acceptent des eaux très chargées sans que cela n’altère le résultat, en fonctionnement automatique, sans adjuvants et donc sans risque de surdosage » souligne pour sa part Maxime Zevaco, ingénieur commercial chez Polymem. « Les membranes se lavent de temps en temps avec du chlore ou de l’acide mais ces produits ne vont pas dans l’eau traitée. De plus, Polymem fait bénéficier ses clients des innovations matériau les plus récentes avec les membranes Neophil® garanties sans bisphénol A ou S. Cela fait partie du “sans chimie”, aussi » souligne Isabelle Duchemin, Marketing & Commercial Manager chez Polymem.
Moins de produits chimiques, c'est toutefois ce que propose Bonnabaud Systèmes, avec le média filtrant PureFlow® qui remplace très rentablement le sable en économisant jusqu'à 95 % de floculant et 50 % de chlore. « Son principe de filtration par adsorption permet une sélectivité de 1 à 3 μm, avec un ratio de capture par énergie consommée 7 fois meilleur que le sable, précise Eric Delmau, gérant de Bonnabaud Systèmes. En effet, PureFlow® a une structure très ouverte qui lui procure une faible perte de charge et un volume de capture 250 fois plus grand que le sable, ce qui recule d'autant mieux les risques de colmatage. On peut ajouter qu'il se change 4 fois plus vite que le sable ».
Les eaux de surface, un vrai problème
Tout d’abord laisser le temps au temps. « Notre usine de Joinville utilise une technique ancienne de filtres à sable lents : l’eau passe en plusieurs heures, ce qui laisse le temps à des mécanismes biologiques spontanés d’épuration de se mettre en place. Celle d’Orly utilise en revanche des filtres rapides, qui exigent du coup plus de chlorure ferrique et de polymères pour arriver au même résultat final » explique ainsi Jean Baron, directeur adjoint “Recherche Développement et Qualité de l’eau” à Eau de Paris. Même type de réflexion, mais pour l’étape de coagulation-floculation, chez Suez. « L’idée est de laisser un temps de réaction plus long, ce qui limite ou élimine le recours aux réactifs. Les floculants sont souvent utilisés pour augmenter la vitesse sur les ouvrages donc réduire leur emprise au sol. Un procédé “lent” comme Pulsatube® qui agite moins l’eau, casse moins les flocs et demande moins de réactifs » explique Xavier Guivarch, chef de marché “santé et qualité de l’eau” chez Suez, ajoutant que le même type de raisonnement s’applique au charbon actif.
« Clarifier, filtrer et désinfecter l'eau brute s'est longtemps fait par dosages de coagulants et autres produits chimiques, poursuit Salvador Perez, directeur Chemdoc. Aujourd'hui nous disposons de gammes membranaires, notamment ultrafiltration organique (PES, PVDF...) que Chemdoc Water Technologies a assemblé dans une gamme Permasource de stations conteneurisées compactes adaptées aux petites collectivités. En eau potable, les technologies membranaires peuvent être une “arme absolue” notamment pour une ressource en eau affectée par plusieurs problématiques qui viennent s’empiler et complexifier les traitements : présence de nitrates (au-delà ou frôlant le seuil des 50 mg/l), dureté de l’eau élevée (TH supérieur à 25°) et présence de un ou plusieurs pesticides. Avec le procédé Nitraperm (Osmose inverse basse pression), une seule unité ultra compacte et automatisée, permettra de traiter en une seule passe et avec des rendements hydrauliques élevés (de l’ordre de 85 %) et sans nécessité de reminéraliser ni d’utiliser du charbon actif ».
« Réduire l’utilisation des produits chimiques passe souvent plus par une combinaison de technologies et de modes opérationnels que par une solution technique unique » relativise Xavier Guivarch. Ainsi l’usine de Vigneux-sur-Seine (Essonne), opérée par Suez, combine-t-elle désinfection UV et ultrafiltration (en plus de l’ozonation). Les eaux de lavage des filtres à charbon actif sont recyclées, ce qui permet de produire plus d’eau avec la même quantité de “chimie”. Enfin, un système d’ajustement en temps réel des doses de réactifs suivant les variations de la qualité de l’eau brute, breveté par le CIRSEE et installé début 2022, devrait encore faire gagner quelque 8 % sur les doses de coagulants et CAP consommées.
Forage ou rivière, il faut désinfecter
Réalisée en une étape dans le meilleur des cas, la désinfection peut réclamer une succession de barrières pour atteindre in fine le résultat exigé par la réglementation. Classiquement utilisés, et très efficaces, les produits oxydants (chlore et ozone) forment toutefois des produits de désinfection peu souhaitables : trihalométhanes ou chloramines pour le chlore, bromates pour l’ozone. Tout ajout d’une nouvelle barrière physique permettant de diminuer la quantité de produits oxydants, voire de s’y substituer, est donc bienvenu. C’est là qu’interviennent les réacteurs à ultraviolet ou les membranes d’ultrafiltration, qui présentent également l’avantage de détruire ou retenir certains protozoaires résistants aux oxydants.
Distribuer une eau sans chlore ?
Les quelques exemples français d’eau potable distribuée sans chlore concernent surtout des eaux de forage. « La rémanence est un choix des ARS. Certaines collectivités de montagne sont passées aux UV sur des eaux de forage très propres, comme en Savoie. Et en cas de long parcours de l’eau vers un hameau isolé, certains choisissent de refaire un traitement UV de sécurité à l’arrivée plutôt que de chlorer au niveau du forage » avance Alain Nguyen, ingénieur technico-commercial chez Bio-UV Group. La firme commercialise une gamme (de 2 à 1 500 m³/h) de réacteurs à ultraviolets certifiés ACS UV, conformément à l’arrêté 19 octobre 2012.
« Les maisons isolées des réseaux d'eau sont également souvent isolées des réseaux électriques, poursuit Eric Delmeau (Bonnabaud Systèmes). Equipées de panneaux solaires, il leur faut alors stériliser l'eau, mais en consommant très peu d'énergie. Pour y répondre, AquiSense a développé la lampe de technologie Led "Deca" de grande capacité allant jusqu'à 4 m³/h. Elle se place à l'entrée du réseau dans la maison, et traite l'eau consommée en chaque point de puisage, tout en permettant de très grandes économies d'énergie. En effet, sans nuire à la qualité de désinfection, par défaut elle est éteinte. Ça n'est que quand elle détecte le passage d'eau qu'elle s'allume, tout en modulant la quantité d'énergie mobilisée au débit d'eau qu'elle mesure. L'eau est donc stérilisée sans aucun échauffement, ni risque de brûlure des habitants. Les longues périodes de coupure allongent donc d'autant leur durée de vie ».
Outre des villages de montagne, BIO-UV Group a équipé les forages de la ville de Mulhouse. « Traditionnellement, Mulhouse distribuait sans la traiter l’eau de la nappe du Doller, naturellement potable. Suite à une pollution bactérienne, la ville a dû se résoudre à chlorer mais, en 2016, elle a décidé de trouver une autre solution. Nous avons remporté l’appel d’offre et installé nos réacteurs. L’ARS a exigé en plus l’installation de postes de chloration pour pouvoir réagir en cas d’urgence : ils n’ont jamais servi à ce jour » affirme Alain Nguyen. Des villes comme Chambéry ou Annecy ont également fait appel à BIO-UV pour certains de leurs forages.
UV-Germi intervient sur le même marché avec sa gamme (de 3 à 1 000 m³/h) de réacteurs agréés. « Nous équipons surtout de petites collectivités de montagne disposant d’une eau de source de très bonne qualité, et où l’ajout de chlore est mal perçu par la population. Ils utilisent l’UV pour contrer la problématique bactériologique » explique Gierric Vrillet, directeur technique d’UV-Germi. Outre de nombreux villages dans les Alpes et les Pyrénées, UV-Germi a ainsi équipé les forages de Perpezac le Noir (Corrèze). A plus grande échelle, l’agglomération de Grenoble, qui puise une eau déjà potable dans la nappe du Drac, a fait appel à UV-Germi pour certains de ses forages.
Osmose inverse : le graal ?
Le Sedif lance son projet Vers une eau pure, sans calcaire et sans chlore. Puisant 95 % de ses eaux brutes dans la Seine, la Marne et l’Oise, le syndicat déploie déjà des filières de traitement très complètes, utilisant inévitablement des produits chimiques. « Nous les avons optimisées à chaque occasion, par exemple en ajoutant des réacteurs UV de manière à consommer moins de chlore et d’ozone » explique Anne-Laure Colon, responsable du service Filière à haute performance au Sedif. Le nouveau projet implique un saut technologique : l’ajout en fin de traitement d’une étape d’osmose inverse à basse pression (OIBP). « Nous visons essentiellement les matières organiques et les micropolluants. Il se trouve que l’OIBP élimine aussi le calcaire. Et, si nous parvenons à abattre suffisamment les MO, qui sont la nourriture des bactéries, nous pourrons réduire progressivement l’ajout de chlore en sortie, avec une surveillance accrue du réseau. Le but n’est pas de faire une eau “sans chimie” mais d’améliorer la qualité de l’eau distribuée » précise toutefois Sylvie Thibert, responsable de la qualité de l’eau et de la gestion des risques sanitaires au Sedif. Les premières membranes d’OIBP devraient être installés à Arvigny, une “petite” (à l’échelle du Sedif) usine exploitant un petit champ captant, avant d’équiper progressivement les grosses usines d'eaux de surface.