Dans la continuité de l’automatisation, la numérisation joue un rôle de plus en plus important dans les installations liées à l’eau. Cette digitalisation répond, principalement, à la demande d’une meilleure compréhension de l’exploitation et d’une amélioration des performances. Si la majorité des usines de traitement sont aujourd’hui concernées, il reste encore des applications qui n’ont pas franchi le pas, par exemple dans certaines zones rurales ou les petites installations.
Dans un monde où tout un chacun est de plus en plus connecté qui peut encore se passer de son smartphone plus d’une journée ?, l’industrie ne fait pas exception. C’est ainsi que se sont développés, ces dernières années, les concepts d’IIoT (Internet des objets industriel), d’analytiques, de cloud, d’intelligence artificielle (IA), etc. Et la numérisation, ou digitalisation, s’est également fait une place dans le domaine de l’eau, mais à des niveaux encore différents selon les secteurs.
Cela reflète, en grande partie, le déploiement de l’automatisation dans le domaine de l’eau ces dernières décennies. «L’automatisation des procédés liés au traitement de l’eau est très largement mise en œuvre, notamment dans les usines de taille moyenne à grande, où des systèmes complets de supervision sont installés», indique Sébastien Papin, directeur de la branche Eau et Assainissement de Qualisteo.
Lynne Bouchy, Product Line Manager chez CREAtech360, détaille: «L’automatisation est aujourd’hui déployée de manière inégale par exemple selon la taille des installations, mais aussi selon leur état d’usage et de maintenance. De plus, l’automatisation, lorsqu’elle existe, est en général décentralisée individuellement, par unité et non de manière holistique.» Le déploiement de l’automatisation concerne aujourd’hui de nombreuses applications: la production et la distribution de l’eau potable ou de l’eau comme utilité dans les usines, les postes de relevage, la production d’eau par désalinisation, les châteaux d’eau, les stations d’épuration, les réseaux d’assainissement, etc.
L’automatisation de tous ces procédés met en œuvre aussi bien des moteurs, des systèmes de contrôle distribués (Distributed Control System ou DCS), des systèmes Scada (Supervisory Control And Data Acquisition) et des logiciels que de l’instrumentation (sondes, débitmètres…). «Nous menons notamment des missions de conseils et la réalisation de projets, en nous appuyant sur des standards et des modèles pour faciliter la réalisation et l’utilisation, dans le domaine de l’eau. Le niveau “control” il constitue, avec le niveau “field”, la partie liée à l’automatisation est vraiment un socle indispensable pour l’automatisation, mais également pour la numérisation et l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA)», affirme Christophe Delaplace, Responsable Consulting chez Siemens France.
Johannes Kühn, Responsable de la technologie de commande, du contrôle de mouvement et de la robotique de l’entreprise allemande Lenze, rappelle pour sa part: «Tout commence par la capture de données. Si vous disposez de suffisamment de données, vous pouvez commencer à tirer les bonnes conclusions. Mais avec des données intelligentes, vous pouvez prendre des décisions encore meilleures. C’est le rôle de l’ingénieur de trouver les bonnes aiguilles dans cette botte de foin».
MIEUX COMPRENDRE ET OPTIMISER LES PROCÉDÉS
Arnaud Alphand, Directeur Général de Calasys, constate aussi: «La numérisation dans le secteur de l’eau a connu un développement progressif au cours des dernières décennies, mais sa mise en œuvre reste encore inégale d’une région à l’autre. Pourtant, cette numérisation permet de répondre efficacement à des enjeux cruciaux pour la gestion des ressources hydriques et le service aux usagers. La mise en place de technologies comme les capteurs IoT, les compteurs intelligents ou les plateformes de gestion nécessite des investissements substantiels, ce qui peut représenter un frein pour certaines collectivités locales.
Le secteur de l’eau est fragmenté, avec des acteurs publics et privés, ce qui rend difficile l’harmonisation des systèmes de collecte et d’analyse des données. La numérisation implique une gestion massive de données sensibles, tant sur la qualité de l’eau que sur les habitudes de consommation des usagers. Assurer la sécurité des données et la confidentialité des informations personnelles est également crucial. Le déploiement de technologies avancées dans la gestion de l’eau nécessite une montée en compétences des opérateurs et des techniciens. Enfin, l’accès à la formation est un enjeu important pour une bonne exploitation des outils numériques, mais les compétences et effectifs ne sont pas toujours présents chez les exploitants».
Willy Mulot, Chef de produits automatisme chez Phoenix Contact, poursuit: «Les données du terrain doivent être transportées, stockées, prétraitées et mises à disposition dans un format exploitable. Vous gagnez alors en réactivité d’analyse et en qualité des données recueillies, ce qui permet notamment de faire de la maintenance prédictive. Pour exploiter et accéder en temps réel aux datas, Phoenix Contact a développé une plateforme sécurisée cloud: le Proficloud. Il s’agit d’une solution Cloud globale intégrée directement à notre gamme d’automates Axiocontrol PLCnext. Notre solution d’automatisation PLCnext permet de programmer selon la norme IEC 61131».
«Les applications se trouvent aujourd'hui dans tous les processus et les services qui les entourent. Si nous pouvons prévoir exactement la quantité de produits dont nous aurons besoin, nous pourrons utiliser les matières premières plus efficacement. En ce sens, l’intelligence artificielle jouera un rôle crucial vers une production neutre en carbone. Il est possible de tirer de nombreux enseignements pour éviter les temps d'arrêt imprévus et optimiser les services de maintenance», observe ici Johannes Kühn (Lenze).
«Nous avons à cœur d’accompagner nos clients dans leur démarche de numérisation en effectuant un état des lieux technique et fonctionnel de leurs outils métiers. Nous leur proposons des scénarios réalistes, techniquement et financièrement, pour les amener vers une numérisation, une automatisation des process, afin qu’ils puissent pérenniser leurs investissements et obtenir les indicateurs validés nécessaires à la compréhension du fonctionnement de leurs infrastructures.
Nous proposons donc également des solutions logicielles métiers cyber sécurisées permettant le traitement de données multi sources offrant à nos clients une gestion plus proactive et intelligente des réseaux d’eau, bénéfique pour les gestionnaires comme pour les consommateurs », poursuit Arnaud Alphand (Calasys).
L’automatisation «simple», c’est-à-dire l’intégration dans les procédés de règles de contrôle-commande en temps réel, est désormais assez largement déployée, et souvent dès la livraison de l’installation. Il s’agit d’ailleurs, la plupart du temps, d’une mesure qui asservit un contrôle en temps réel. «C’est très utile pour garantir aux exploitants leur conformité aux règles, mais ce n’est pas suffisant pour mettre en place une optimisation des procédés, afin de réaliser des économies d’énergie, par exemple. Cette étape, plus innovante, demande une approche plus avancée, mêlant données réelles et prédictives, via un jumeau numérique», explique Victor Philippon, responsable des solutions digitales pour les réseaux d’eau et d’assainissement chez Xylem France.
Pour Pauline Lorin, Marketing Manager BU Water chez Purecontrol, «deux leviers principaux sont à l’œuvre dans la numérisation: un besoin de compréhension et de surveillance des exploitations au travers de systèmes Scada, d’outils de supervision cela peut aussi servir d’autosurveillance et un besoin d’amélioration des performances.
Les outils numériques aident en effet à mieux analyser les données de fonctionnement des équipements pour en tirer des recommandations afin d’améliorer les performances (qualité, efficacité…)».
Marlène Choo-Kun, responsable des procédés Épuration chez Xylem France, ajoute que «la bascule vers la numérisation suit, la plupart du temps, ces deux étapes. Il s’agit, pour l’étape de compréhension, de répondre aux obligations légales (normes liées au décret du 21 juillet 2015) ou à une volonté proactive de la part des acteurs. L’objectif de l’optimisation est de faire de la donnée un outil d’aide à la décision au service des performances énergétique, environnementale et opérationnelle. C’est l’enjeu de demain pour mieux gérer et mieux préserver la ressource qu’est l’eau». Ces performances se traduisent, notamment, par des rendements de traitement accrus, des gains en termes de coûts d’exploitation et/ou d’impact environnemental (énergie, produits chimiques), une démarche vers le «NetZero».
«En plus d’optimiser la gestion de l’eau en termes de consommation de ressources, d’améliorer l’efficacité énergétique et de réduire l’empreinte carbone, la digitalisation permet de faire face plus rapidement aux défis du changement climatique, de l’urbanisation, des évolutions démographiques et des exigences réglementaires. Grâce aux données, les acteurs peuvent voir plus rapidement les évolutions de consommation ou de traitement des eaux usées. Et une digitalisation des installations leur permet d’évaluer les impacts et d’effectuer des simulations», affirme Christophe Delaplace (Siemens France). Il existe encore d’autres raisons, comme l’optimisation de la gestion du patrimoine (maintenance, accident…). La numérisation des installations permet en effet d’avoir accès, de manière centralisée, aux informations venant de différentes sources (ingénierie, systèmes de contrôle distribués, logiciels d’ERP), pour faciliter le travail des opérateurs sur le terrain et maintenir à jour les données de conception par rapport à ce qui se passe sur le terrain.
«Si l’automatisation permet la limitation des dysfonctionnements liés au facteur humain et une meilleure réactivité en cas de problème (genèse d’alarme, réglage des procédés…), un autre objectif de la numérisation est de limiter le nombre de personnes nécessaires à l’exploitation d’une usine et, donc, le coût d’exploitation en général», constate Sébastien Papin (Qualisteo). Face aux défis posés par la rareté de l’eau dans de nombreuses régions du globe, une gestion standardisée des installations de traitement grâce aux évolution technologiques a déjà fait ses preuves dans différents pays. Comme aux ÉtatsUnis, dans le sud de la Californie, où sept municipalités ont créé en 1950 l’Inland Empire Utility Agency (IEUA).
La société Rockwell Automation assure la sécurisation de cette entité indépendante qui s’est avérée essentielle pour l’approvisionnement en eau de la région en important de l’eau des régions du nord de l’État, mais également, pour optimiser le traitement des eaux usées. Une collaboration efficace qui s’est inscrite dans la durée. Ainsi, l’IEUA est en mesure de faire face aux évolutions constantes de sa population, de ses besoins en eau et des technologies disponibles qu’elle utilise afin de remplir efficacement ses missions.
Loren Shipley, responsable de compte pour IEUA chez Rockwell Automation, explique: «L’ancien DCS (système de contrôle distribué) de RP-5 était obsolète, ne disposait pas de ressources suffisantes pour la formation et ne permettait pas une exploitation en autonomie de 14 heures. En adoptant notre solution DCS PlantPAx, nos solutions de variations de vitesse et notre logiciel ThinManager sur des serveurs virtuels VMware, nous avons résolu ces difficultés. Cette nouvelle plateforme offre une plus grande évolutivité et ouvre de nouvelles perspectives d’expansion, comme l’intégration de l’intelligence artificielle».
PLATEFORMES, JUMEAUX NUMÉRIQUES…
Du côté des équipements nécessaires à la numérisation, on retrouve évidemment des automates, des systèmes de contrôle-commande et des outils de supervision, compatibles avec les technologies caractéristiques de l’industrie 4.0 (protocoles Ethernet et MQTT, serveur OPC UA, normes de cybersécurité…), ainsi que des capteurs connectés par exemple, ces capteurs, transmetteurs et compteurs fonctionnent selon les interfaces LoRaWAN, LTE-M ou NB-IoT. Mais l’offre des solutions ne s’arrête pas et englobe également des outils de jumeau numérique et de simulation, des algorithmes d’IA, des solutions de cloud computing (informatique en nuage) et d’edge computing (informatique en périphérie) pour la gestion de l’énergie et de la maintenance, par exemple.
Afin que les petites communes puissent bénéficier de la digitalisation, de la distribution, du stockage et de la surveillance de la qualité de l’eau potable, Endress+Hauser propose notamment son capteur Promag W 800 associé à sa plateforme Netilion. «Le capteur assure une transmission sécurisée des données dans le Cloud grâce à sa carte SIM incluse et un fonctionnement sur batterie qui permet une installation même dans les endroits les plus difficiles. La plateforme Netilion permet l’accès aux données en temps réel à partir d’un smartphone, d’une tablette ou d’un PC. Les seuils et alertes sont gérés directement dans la plateforme Netilion», explique l’entreprise.
Nalco Water a aussi développé Ecolab 3D, sa plateforme numérique permettant de créer des applications de service participant à l’amélioration globale des performances de son usine. Cet outil assurant une surveillance 24h/24 et 7j/7 peut notamment capturer des données à partir de plusieurs sources et les transformer en informations exploitables: «Ecolab 3D agit comme un moteur numérique, alimentant les nouveaux services avec des informations utiles. À l’instar d’un véritable moteur, il comporte de nombreuses pièces qui travaillent ensemble pour exploiter la puissance des données. Les résultats obtenus sont des informations exploitables qui aident l’industriel et les équipes sur le terrain à découvrir les problèmes avant qu’ils ne surviennent, à déterminer des solutions efficaces pour aller de l’avant et à fournir des performances plus intelligentes», détaille Patrice Hervé, Responsable marketing senior chez Nalco.
Comme l’explique Pauline Lorin (Purecontrol), «si le domaine de l’eau est largement automatisé et instrumenté, les programmes automates utilisés, eux, sont majoritairement des programmes sur seuils. Cette régulation statique limite l’atteinte de performance et manque de résilience face à un environnement changeant tel qu’un événement climatique, la variation des prix de l’électricité, etc. En faisant un pilotage temps réel dynamique des équipements grâce une actualisation des analyses et des envois de contrôlecommande au pas de temps de 1 minute, notre solution se positionne comme un maillon d’“intelligence” et de régulation dynamique entre automates et données de fonctionnement des équipements.».
Les algorithmes d’IA développés par Purecontrol analysent en permanence les données issues des installations de gestion de l’eau (sondes de niveau, débitmètres, sondes de O2, compteurs électriques…) et les croisent avec des données externes (météo, tarifs électriques, demande en eau…) qui ont une influence soit sur le procédé, soit sur son coût opérationnel. «Pour chaque installation, un jumeau numérique est créé afin de réaliser des prédictions du procédé et de tester, sur la base de ces dernières, différents scénarios de fonctionnement répondant aux objectifs et aux contraintes des exploitants : stabiliser la qualité de l’eau, réduire les coûts énergétiques ou l’utilisation de réactifs chimique, éviter les débordements, etc. Quand un scénario optimum est identifié, la solution envoie des instructions de commande aux automates pour mettre effectivement en œuvre cette optimisation», poursuit Pauline Lorin.
Xavier Cardeña, responsable du développement du marché de l’eau et expert cybersécurité IEC62443 chez HMS Networks, confirme: «L’automatisation et la connectivité sont essentielles à la digitalisation. Pour exploiter pleinement leur potentiel, des outils de données et d’analyse sont nécessaires, à commencer par la collecte et la cartographie des données dans toute l’organisation. Ces données sont ensuite centralisées pour le fournisseur d’eau, ce qui permet la création d’un jumeau numérique avec la résolution spatiale et temporelle requise. Les données “historiques” et celles collectées en temps réel sont analysées dans leurs contextes respectifs. Ces informations aident le fournisseur d’eau à prendre des décisions complexes et à simuler des scénarios futurs».
Dans le vaste champ de la numérisation, CREAtech360 s’est spécialisé dans les plateformes digitales de pilotage optimisé temps réel et d’hypervision stratégique, spécifiques aux secteurs de l’eau. «Notre approche originale se base sur une solide expertise de procédé, et c’est ce binôme “procédé informatique” qui permet de réaliser de réels sauts d’optimisation tangibles. Nous cherchons à maintenir une impartialité au regard d’équipements et d’instruments, mais aussi concernant nos choix d’outils logiques (par exemple, des algorithmes d’IA et d’apprentissage machine, de logique floue…), pour mettre en œuvre la solution la plus performante. N’oublions pas que ce ne sont que des outils, mais pas une fin en soi», remarque Lynne Bouchy (CREAtech360).
«Pour le traitement des applications d'intelligence artificielle, à notre automate AXC F 3152 s’ajoute notre module d'extension des automates : le AXC F XT ML 1000. Celui-ci permet l’application de méthodes d'apprentissage automatique directement sur le contrôleur PLCnext. Il est idéal pour la détection de pièces défectueuses ou conformes, la comparaison de produits ou d’images mais aussi pour le comptage» ajoute Willy Mulot (Phoenix Contact).
LES APPLICATIONS DE NUMÉRISATION FONT FLORÈS
Dans une architecture classique, les équipements instrumentés fournissent des données aux automates. Les données sont ensuite traitées et numérisées vers un superviseur pour une lecture simple par l’opérateur. «Le traitement des données par IA en est encore à ses balbutiements et la complexité des usines rend actuellement impossible un contrôle complet par l’IA. En revanche, des algorithmes sont utilisés dans des systèmes simples. Sauf dans le secteur de l’eau potable, où l’IA est largement bannie car présentant trop de risques compte tenu des enjeux sanitaires. Dans ce cas, la préférence reste à une gestion humaine associée à un système de supervision», constate Sébastien Papin (Qualisteo).
Il existe aujourd’hui une multitude d’algorithmes disponibles sur le marché, à l’instar de ceux pour la détection des fuites. «L’application SIWA LeakPlus permet de localiser précisément les fuites (même faibles) sur un réseau en tenant compte d’un modèle basé sur les données historiques et la définition du réseau hydraulique. L’historique des données de consommation remontées par les capteurs permet d’avoir un modèle d’IA tenant compte des habitudes de consommation en fonction des saisons, des jours de la semaine et d’autres critères. Cette même application permet aussi de définir l’optimum du placement de capteurs supplémentaires en utilisant un algorithme d’IA», explique Christophe Delaplace (Siemens France).
À l’image de la détection des fuites dans les réseaux de distribution d’eau et les conduites de transport, un certain nombre d’utilisateurs ont déjà franchi le pas de la numérisation pour plusieurs procédés et technologies de traitement de l’eau. On peut également citer la surveillance et l’optimisation des systèmes d’approvisionnement en eau potable et des systèmes d’eaux usées, et le traitement de l’eau par dessalement. «La numérisation des postes de traitement s’est beaucoup accélérée, en particulier sur les outils qui offrent des leviers de régulation permettant une optimisation, ainsi que sur des postes éloignés sur lesquels la télésurveillance permet d’anticiper d’éventuelles défaillances», constate Lynne Bouchy (CREAtech360).
Pour Sébastien Papin (Qualisteo), «l’ensemble des usines de traitement des eaux usées ou d’eau potable utilisent des systèmes de supervision, où les données de fonctionnement sont numérisées. Il reste néanmoins quelques petites usines ou micro-usines dont le fonctionnement est de type électromécanique». «Si la plupart des procédés sont concernés par la numérisation, certains exploitants de stations de traitement des eaux usées, encore trop peu nombreux, utilisent aujourd’hui des solutions de contrôle basées sur un jumeau numérique. Ces solutions avancées assurent une optimisation holistique de l’usine en temps réel, visant, notamment, à améliorer la qualité des effluents, diminuer la consommation énergétique de l’aération du traitement biologique le procédé le plus énergivore de l’usine, ou encore réduire la consommation de réactif pour le traitement du phosphore», explique Marlène Choo-Kun (Xylem France).
Ce que confirme Lynne Bouchy (CREAtech360): «Nous observons déjà une évolution de l’optimisation de pilotage et de stratégie opérationnelle vers une approche holistique des filières de traitement, ce qui permet de valoriser de nouveaux leviers d’amélioration en temps réel et à moyen terme. Une telle vision requiert une solide expertise des procédés, en plus du savoir-faire informatique de pilotage. Nous avons ainsi déjà installé des solutions globales sur plusieurs stations d’épuration, incluant la filière “eau+boues+énergie”, et sur l’eau potable, depuis la ressource jusqu’au traitement. Cette approche globale peut même s’étendre au-delà des installations, incluant des données externes comme imagerie satellite, prévisions météo, etc.»
«La numérisation joue un rôle clé, transformant profondément les approches et outils des professionnels du secteur. Les Systèmes d’Information Géographique (SIG), notamment ArcGIS, se placent au cœur de cette évolution, ajoute l’entreprise Esri France. L’intégration de la réalité augmentée (RA) dans les SIG ouvre des perspectives inédites. Désormais, les techniciens sur le terrain peuvent superposer des données virtuelles aux environnements réels via des applications mobiles ou des lunettes connectées. Imaginez un opérateur capable de visualiser les canalisations enterrées sous ses pieds, ou un ingénieur projetant un futur ouvrage dans son contexte géographique réel. Ces expériences immersives facilitent non seulement la compréhension des données mais renforcent également la prise de décision».
Dans une démarche de valorisation de l’eau de pluie, la société Makina Corpus Territoires, filiale toulousaine de Makina Corpus, a ainsi lancé la plateforme Récolt’Ô. Via une application dédiée, celle-ci permet aux particuliers, professionnels et collectivités de dimensionner leur récupérateur d'eau en tenant compte des bâtiments disponibles, de la superficie de toiture, de la pluviométrie locale et de leur consommation d’eau. Avec une interface cartographique intuitive, Récolt’Ô facilite également le calcul de la surface de toiture utile, des économies réalisées, les impacts sur la facture d’eau, et l’ajustement du volume de cuve nécessaire.
Également basée à Toulouse, la société Pixstart a développé Waterwatch®, une solution de suivi basée sur l’imagerie satellitaire et l’intelligence artificielle offrant une surveillance continue et à haute résolution des masses d’eau, en permettant une analyse fine de leur état écologique. Waterwatch® permet notamment de fournir des données fiables et pertinentes pour éclairer les décisions des autorités locales et des organisations engagées dans la gestion durable des ressources hydriques.
Ses fonctionnalités incluent notamment une évaluation détaillée de la qualité de l’eau grâce à l’exploitation d’images satellitaires, la détection des facteurs environnementaux influençant les écosystèmes aquatiques, ainsi qu’un suivi régulier et précis pour mieux comprendre les dynamiques naturelles des milieux aquatiques. «Avec un déploiement de plus en plus important sur le territoire français, Waterwatch® a déjà démontré son efficacité sur plus d’une quarantaine de masses d’eau, collaborant avec des acteurs tels que Suez, la SEVESC sur les bassins de rétention des eaux pluviales, Veolia, ou encore le SIAAP. Dernièrement, un contrat avec le Canton de Vaud en Suisse marque une étape clé dans l’expansion internationale. Il illustre comment l’expertise de Pixstart peut s’adapter aux spécificités locales tout en répondant aux enjeux globaux liés à la gestion des ressources hydriques», explique Pixstart.
LES PETITES ET MOYENNES INSTALLATIONS EN RETARD
Mais quelle que soit l’application, la numérisation n’en est encore aujourd’hui qu’à ses premiers pas. «Les gains générés en temps réel et en différé sont souvent fonction du degré de numérisation, depuis les outils de supervision de type Scada jusqu’aux outil de pilotage et plateformes, qui permettent une utilisation bien plus poussée, optimisée et automatisée, des données issues des instruments et des équipements. Il reste ainsi encore beaucoup à faire pour l’optimisation du pilotage d’unités individuelles et pour l’optimisation systémique tenant compte des interactions et synergies entre les étapes de traitement », poursuit Lynne Bouchy (CREAtech360).
Pour Christophe Delaplace (Siemens France), «les domaines où l’on peut observer un retard dans la digitalisation comprennent souvent la gestion de l’eau en zone rurale, les petites et moyennes installations qui peuvent avoir des moyens limités pour investir dans de nouvelles technologies et, parfois, des installations plus anciennes dans lesquelles la mise en place de solutions numériques nécessite une modernisation substantielle des infrastructures existantes.»
En plus des investissements initiaux élevés, d’autres freins ont été identifiés pour expliquer ce retard de la numérisation. Il s’agit, notamment, du manque de formations ou d’expertises internes pour gérer et tirer parti des outils numériques, des préoccupations concernant la sécurité des données et la protection contre les cyberattaques, du décalage entre les possibilités apportées par les technologies et l’évolution pas assez rapide des cadres réglementaires, ou encore de la résistance au changement dans certaines cultures d’entreprise ou de collectivités locales pour adopter de nouvelles technologies.
«La situation est différente pour chaque client. Nous proposons dès lors de les accompagner dans l’analyse de leur maturité numérique afin de déterminer et planifier les actions nécessaires pour leur permettre de progresser et d’atteindre les objectifs de leur entreprise», indique Christophe Delaplace. «La cybersécurité étant un enjeu central, notre plateforme CREA est souvent implémentée en architecture locale, c’est-à-dire sans cloud, ce qui permet de sécuriser et simplifier l’intégration sur site», ajoute Lynne Bouchy (CREAtech360).
IL RESTE ENCORE À VALORISER DE DONNÉES
Sébastien Papin (Qualisteo) pointe un autre domaine encore en retard dans la numérisation, à savoir l’énergie: «Actuellement, les usines, bien que “monitorées” en partie, ne le sont pas suffisamment. Il n’est donc pas possible, pour les utilisateurs, de mettre en place des plans de performances énergétiques concrets à cause d’un manque de données. Les raisons principales sont liées au coût de l’énergie et qui était, jusqu’avant la crise [le début de la guerre en Ukraine en 2022, NDR], assez bas. Aujourd’hui, les industriels ont toutefois tendance à mieux travailler dans ce domaine via des solutions de comptage principalement.»
Au-delà de certaines applications et/ou secteurs, plusieurs personnes interrogées mettent en avant un retard dans un autre domaine. Cela fait 20 ans que les services des eaux investissent pour avoir de la donnée. On dispose donc, aujourd’hui, d’une masse énorme d’informations. En revanche, on doit combler un retard sur l’utilisation faite de ces données. Force est de constater sur le terrain que, malheureusement, beaucoup de données issues de capteurs installés un peu partout sur les réseaux d’eau ne servent qu’à remplir des data lakes (lacs de données). «Aujourd’hui, l’enjeu réside donc dans la transversalité et la valorisation de cette mine de données. C’est tout l’intérêt des systèmes d’hypervision qui centralisent et standardisent les données pour les rendre “prêtes à l’emploi”», explique Victor Philippon (Xylem France). «Ces systèmes regroupent plusieurs outils de digitalisation en un seul, ce qui facilite leur utilisation au quotidien et permet d’être plus réactif», ajoute Sébastien Papin (Qualisteo).
Pour Pauline Lorin (Purecontrol), «comme, globalement, l’ensemble du secteur de l’eau est déjà suffisamment numérisé, cela pose désormais le problème de la convergence des outils numériques et de la consolidation des données. Ce qui est encore à développer, c’est l’utilisation de l’IA… et surtout le contrôle dynamique en temps réel. Habituellement, ce sont les procédés les plus coûteux, et, donc, ceux où il y a le plus d’économies à gagner, qui sont les “early adopters” (par exemple, la détection de fuite sur les réseaux d’eau potable ou l’aération en station d’épurations).»
Cette convergence peut prendre la forme de standards ouverts facilitant l’interopérabilité au niveau de l’échange et de l’analyse de données. En apportant aux gestionnaires d’eau une meilleure compréhension, basée sur des données fiables, les nouvelles technologies basées sur l’IA permettent, dans le traitement des eaux usées, des économies d’énergie et de produits chimiques de 15 à 25%, tout en augmentant le taux de conformité des rejets. La maîtrise des données permet également de réduire les marges de manœuvres intégrées dans la conception des infrastructures et, ainsi, réduire le coût de construction d’un système complet d’environ 30% pour une performance opérationnelle au moins équivalente, chiffre Siemens.
«Cependant, avec le nombre de cyberattaques qui augmente, une cyberdéfense performante est nécessaire, ce qui requiert un produit de cybersécurité adapté. C’est dans cette optique que Phoenix Contact propose une gamme de firewalls / routeurs de sécurité au Gigabit. Les mGuard permettent de faire de la télémaintenance en toute sécurité en mettant en place des tunnels VPN. Ainsi, il y a une connexion sécurisée entre l’ordinateur et la machine », ajoute David Brynaert chef de produits cybersécurité et réseau chez Phoenix Contact.
Afin de répondre à ces enjeux sécuritaires, la société Lacroix a lancé en novembre 2024 Sofrel LogUp, une solution connectée et cyber sécurisée pour la surveillance des réseaux d’eau et la réduction des fuites. «Composée d’un data logger (enregistreur de données), d’une plateforme de gestion à distance (LX CONNECT) et d’une application mobile (My Sofrel LogUp), cette solution complète offre simplicité, efficacité et cybersécurité pour la gestion des réseaux d’eau potable et d’eaux usées. En sécurisant les infrastructures et en améliorant l’efficacité opérationnelle des exploitants de réseaux, elle permet de réduire les pertes en eau et de préserver l’environnement tout en veillant à la continuité du service », détaille Lacroix.
Pour la sécurité des infrastructures d’eau, la société Alcea-Assa Abloy propose également son logiciel de supervision de sûreté Alwin et la technologie Potect² Cliq, permettant à chaque agent de disposer d’une clé électronique personnelle lui donnant accès en toute sécurité à chaque zone sensible ou site isolé qui lui sont attribués sur une période donnée. Les interventions de chaque agent sont ainsi automatiquement notifiées dans le journal des évènements du logiciel Alwin. «Une solution idéale pour nos clients des infrastructures du monde de l’eau qui ont besoin de sécuriser leurs sites et d’obtenir une traçabilité des accès. Avec l’application mobile, l’attribution d’un accès et la mise à jour des droits se fait immédiatement et à distance», souligne Carole Delbouis, Directrice Marketing et Communication d’Alcea-Assa Abloy.
LA NUMÉRISATION DEVRAIT CONTINUER À S’ACCÉLÉRER
«La solution Purecontrol permet d’atteindre une réduction moyenne de 15% des coûts de fonctionnement des aérateurs et une réduction jusqu’à 50% de réactifs de déphosphatation utilisés dans des stations d’épuration, un gain moyen de 10% sur la consommation énergétiques de postes de relevage et une réduction jusqu’à 60% des débordements en réseaux d’assainissement), ou encore un gain jusqu’à 25% sur les coûts énergétiques lors des cycles de pompage et de stockage des réseaux d’eau potable, en fonction de la prédiction de la demande», affirme Pauline Lorin (Purecontrol).
La solution Createch est plus axée sur l'optimisation des sites de traitement, avec «des gains moyens validés de 15-25 % sur l'aération et aussi sur l’ensemble de la filière biologique. La solution CREA a aussi permis d'économiser en réactifs, pour le phosphore, la déshydratation et aussi sur la coagulation et l'oxydation sur les usines d'eau potable, jusqu’à 50 %», ajoute Lynne Bouchy. «Mais pour parvenir à de tels résultats, il va falloir briser les silos de données, et que les exploitants reprennent la main sur leurs données, pour disposer de données centralisées qui ne dépendent pas des contrats d’exploitation, et, ainsi, pour pouvoir bâtir des tableaux de bord transverses à toutes les infrastructures et à tout le réseau afin de piloter finement le présent et anticiper le futur », souligne Victor Philippon (Xylem France).
En conclusion, Christophe Delaplace (Siemens France) estime que «la numérisation dans le domaine de l’eau devrait continuer à s’accélérer dans les années à venir. Les innovations technologiques, telles que les capteurs “intelligents”, l’IA et les jumeaux numériques deviendront de plus en plus sophistiquées et intégrées. Les acteurs de l’IA gagneront en maturité, proposant des solutions toujours plus précises et plus efficaces, des services personnalisés aux utilisateurs finaux pour la gestion des ressources en eau. »
La transition numérique dans le domaine de l’eau est à la fois un impératif et une opportunité, notamment dans les technologies de traitement «intelligent» de l’eau, les solutions d’économie d’énergie et les systèmes d’information géographique (SIG). Une collaboration accrue entre fournisseurs de technologie, organismes de régulation et utilisateurs finaux sera cruciale pour exploiter pleinement les avantages de la numérisation.