Des compteurs communicants, une offre LoRaWAN mature et concurrencée par des réseaux cellulaires, un panel de services toujours plus large, une prise de conscience de tous les acteurs de l’importance de préserver la ressource qu’est l’eau, etc. Le marché du smart metering connaît un alignement des planètes unique.
Ces derniers mois, l’eau fait
l’actualité à la une des quotidiens ou dans les journaux
télévisés et radiophoniques, entre les
restrictions prises de plus en plus tôt
dans l’année par certaines préfectures en matière d’eau potable – une
conséquence d’une sécheresse aggravée ces dernières années –, l’adaptation
de la gestion de la nappe phréatique
par des industriels des boissons, ou
encore de l’annonce du «Plan eau »
le 30 mars 2023 par le Président de la
République Emmanuel Macron. Avant
de pouvoir mettre en œuvre la moindre
action, tant au niveau des industries et
des collectivités locales que chez les
particuliers, il faut avoir une connaissance précise des ressources prélevées
et consommées.
C’est là qu’intervient le concept de smart
metering déployé ces dernières années.
«Au tout début lorsque les premiers projets du télé-relevé de compteurs d’eau ont vu le jour afin de valider la faisabilité technique puis de fournir des services, principalement pour l’exploitant ou la collectivité locale, il s’agissait de résoudre les problématiques de facturation, d’éviter de déranger les clients avec le passage de personnels ou l’envoi de leur consommation», rappelle Xavier Mathieu, directeur général de Birdz, filiale de Veolia. Pour Sébastien Armand, Key Account Manager Process chez Wago Contact France, «quand on parle de smart metering, il s’agit d’une mesure “intelligente”, donc du capteur (compteur). Mais s’il n’est pas associé à toute une infrastructure, cela n’a aucun sens. Le smart metering est la base de ce que l’on appelle smart city, ou ville “intelligente”». Donc toutes les personnes interrogées s’accordent sur le fait que le smart metering est en fait une chaîne de valeur complète: l’acquisition de la donnée, sa transmission jusqu’à son exploitation. «L’objectif du smart metering est, non seulement de faire de la facturation (télé-relève), mais surtout d’analyser les données remontées pour mieux comprendre les modes de consommation des particuliers et les gros consommateurs (bâtiments industriels, hôpitaux, centres commerciaux…) et ajuster le service en fonction de ces consommations», résume Christophe Magniez, responsable des dataloggers pour le marché de l’eau chez Lacroix Sofrel.
DES COMPTEURS DE PLUS EN PLUS “INTELLIGENTS”
Intéressons-nous à chaque élément constituant le smart metering, à commencer par le compteur d’eau. Comme il s’agit encore bien souvent de compteurs mécaniques à impulsions, la très grande majorité des acteurs interrogés proposent en fait un module que l’on vient connecter au compteur pour récupérer en filaire l’information du volume (le nombre d’impulsions), puis le transmettre via une liaison sans fil. On retrouve les grands fabricants de compteurs (ABB, Brunata Zenner, Diehl Metering, Honeywell, Itron, Kamstrup, Maddalena Spa ou encore Sensus) et les sociétés spécialisées en informatique embarquée comme HMS (avec sa marque eWON), Nogema Technology ou Ypresia. «Nous fournissons une solution complète, constituée d’un compteur, du lecteur d’impulsions et de notre datalogger [enregistreur, NDR] SP data Can. Notre expertise porte sur la transmission de la data en NB-IoT, grâce à notre technologie connectée à tout type de compteurs, de sondes, voire même des compteurs déjà posés. Par ailleurs, le fait de proposer un boîtier autonome externe permet de rendre communicante une installation existante, sans avoir besoin de reprendre la tuyauterie», explique Frédéric Flutre, directeur commercial de Celec, qui a racheté Blue Whale Company en janvier 2022. Ce que confirme Christophe Magniez (Lacroix Sofrel) en ajoutant que «le datalogger peut également effectuer un traitement local, en plus de la conversion des impulsions en volume d’eau et de leur transmission: des calculs de consommations moyennes, maximales et minimales, pendant une période donnée (la nuit, par exemple), des comparaisons à des seuils pour envoyer des alertes. Cette intelligence embarquée est ce que l’on appelle l’edge computing». Xavier Mathieu (Birdz) y voit un autre avantage encore: «Le protocole LoRaWAN a de nombreux atouts, mais il a une limitation: les messages ne doivent pas dépasser 51 octets. L’edge computing permet de n’envoyer périodiquement qu’une information pertinente, et non toutes les données brutes pour un calcul au niveau du serveur.
Cela contribue aussi à l’optimisation de la durée de vie de la batterie du module radio, qui doit être la même que celle du compteur (de l’ordre de 15 ans) et à la frugalité énergétiques des serveurs.» Ce traitement local des données brutes est d’autant plus intéressant que «le déploiement des protocoles numériques (Modbus RTU/TCP, EtherNet/ IP, Profinet) dans nos capteurs autorise la remontée d’un nombre accru d’informations telles que des paramètres complémentaires (diagnostics de bon fonctionnement Heartbeat pour un débitmètre électromagnétique…) ou d’autres grandeurs physiques», indique Marion Hell, cheffe de produit Digital Business chez Endress+Hauser France. Ce peut être une mesure de niveau, de pression, de température, de conductivité, de pH, de chlore, etc.
LORAWAN PRIVILÉGIÉ PARMI LES RÉSEAUX LPWAN
Pour l’étape suivante, à savoir la remontée des données, deux écoles cohabitent pour le choix de l’infrastructure: les réseaux LPWAN (Low Power Wireless Area Network) et les réseaux cellulaires. Le protocole de communication radio LoRaWAN, qui est basé sur la technologie LoRa, est le réseau privilégié par une partie des entreprises interrogées pour plusieurs raisons : son ouverture, sa couverture, son autonomie compatible avec la durée de vie des compteurs d’eau, la prise en compte des aspects de sécurité (donnée cryptée), un fonctionnement en mode opéré, via un opérateur, ou privé, via un réseau interne. « L’une des grandes forces de LoRaWAN est de pouvoir fonctionner à travers des murs en béton, dans des conditions assez fortes de température ou d’autres contraintes industrielles.
On arrive même à capter un signal sous de grosses plaques en fonte », affirme Arnaud Delprat, directeur général de la nouvelle filiale française de netmore, opérateur de réseau IoT suédois qui ambitionne de se positionner notamment sur le marché de l’eau. «Les portées peuvent aller jusqu’à 15 km dans des cas favorables – il est envisageable d’ajouter des passerelles en cas de perte de signal, mais les coûts d’infrastructure sont alors plus élevés – et, avec une communication par jour, l’autonomie peut atteindre une dizaine d’années pour certains modules. La seule faiblesse du LoRa réside dans l’absence de transmissions déterministes, c’est-àdire en temps réel », indique Sébastien Armand (Wago Contact France). «Aujourd’hui, le LoRaWAN est la seule technologie qui coche toutes les cases contrairement aux technologies cellulaires, trop gourmandes en énergie ou aux technologies propriétaires de certains de nos concurrents», affirme Xavier Mathieu (Birdz). Ce que confirme Arnaud Delprat (netmore France): «Le LoRaWAN – un véritable standard contrairement à Sigfox – est très intéressant pour nous dans le sens où il s’agit d’une technologie ouverte et qui répond exactement à certains cas d’usage de services publics de l’eau de par la possibilité de déploiements à très grande échelle.» Arnaud Delprat met par ailleurs en avant l’écosystème sans concurrence possible, c’est-à-dire la disponibilité d’un très grand nombre de capteurs LoRaWAN, ce qui lui fait dire que «la France est un marché mature. Il existe évidemment d’autres solutions, les technologies cellulaires en particulier, sur le marché, mais c’est à nous de faire en sorte que le LoRaWAN et nos services soient retenus par les clients. Ce standard, qui est acceptée de plus en plus par des entreprises, des collectivités et des organisations, a un très grand avenir et continuera d’évoluer pour mieux répondre encore aux besoins des clients, avec le LoRa par satellite, par exemple.»
VERS UN DÉPLOIEMENT MASSIF DE CAPTEURS NB-IOT ET LTE-M ?
D’autres acteurs du smart metering à l’image d’Adeunis, Ijinus, Sensus, Vertical M2M ont fait le choix des réseaux cellulaires, en proposant une offre dédiée ou une offre compatible avec les technologies LoRaWAN et cellulaires. Si l’offre de produits compatibles NB-IoT (Narrowband Internet of things) ou LTE-M (Long-Term Evolution for Machines), des réseaux dédiés aux objets connectés et autonomes, commence seulement à voir le jour, ces technologies cellulaires ont quelques atouts pour elles. Contrairement au LoRaWAN qui est plus adapté aux lieux à forte densité de capteurs, le NB-IoT est plutôt destiné à la remontée d’informations depuis des endroits dispersés, dans la nature ou au sein d’un grand site industriel, et ce sans passerelle.
Ce sont vraiment deux types d’applications bien différents. Julien Vézier, responsable commercial Europe du Sud chez Celec, mentionne un avantage important des réseaux cellulaires : «Le NB-IoT propose une communication bidirectionnelle, ce qui permet, non seulement d’être informé en temps réel en cas de fuite (collecte et remontée des données), mais surtout d’agir en temps réel en fonction des données pour actionner des vannes à distance, par exemple. Nos dataloggers NB-IoT embarquent donc de l’intelligence pour assurer le pilotage des vannes.» Il est toutefois envisageable de disposer d’une communication bidirectionnelle en LoRaWAN, par exemple pour mettre à jour le firmware de compteurs, même si le protocole n’a pas été conçu à l’origine dans cette optique. Les réseaux cellulaires se caractérisent par d’autres avantages. «Comme nos dataloggers allaient être déployés à l’international, nous avons opté, dès le départ, pour des réseaux plus polyvalents et ouverts que le LoRaWAN. En termes de protocoles, c’est le protocole standard IP qui est utilisé, ce qui implique l’absence de conversion des messages, la possibilité de les crypter. Nous travaillons maintenant sur la sécurisation des messages et du canal de transmission lui-même. Le risque est moins une cyber-attaque au niveau du datalogger, mais plutôt que quelqu’un vienne s’interfacer entre lui et le système de centralisation pour se faire passer pour un datalogger», explique Christophe Magniez (Lacroix Sofrel).
AUTOMATE OU CLOUD ?
Une fois les données remontées, deux cas de figure se présentent pour la centralisation des informations. Certains acteurs vont privilégier un automate industriel, à l’instar de Wago Contact, JS Automation qui propose le R-GWR de chez Seneca, une passerelle d’interface radio LoRa conçue pour collecter et partager les paramètres environnementaux des capteurs sans fil.
D’autres ne jurent que par le cloud. «C’est l’automate qui prend en charge la collecte de toutes les données en local, une interface graphique permettant de configurer les compteurs, par exemple, et des mécanismes de cybersécurité, ainsi que la gestion d’un procédé dans le cas d’un automate de télégestion. Cela permet ensuite de choisir vers quel type d’infrastructure (PC, superviseur ou cloud) on pousse les données, et dans quel protocole (DNP3, Modbus, OPC UA, MQTT)», décrit Sébastien Armand (Wago Contact France). Depuis plusieurs années, Seneca intégre des fonctions de connectivité Edge dans ses automates permettant également l’interconnexion des données aux systèmes Cloud. Avec les automates Edge, les données traitées restent disponibles localement pour accélérer les processus de prise de décision et peuvent en même temps être envoyées en toute sécurité vers des systèmes Cloud pour des activités de maintenance prédictive et prescriptive. «Dans le secteur de l’eau et du contrôle à distance, la synergie IIoT EDGE et Cloud aura de plus en plus de succès car elle combinera encore plus la modularité et la polyvalence de l’automatisation locale avec la distribution des données, en gardant les coûts de gestion sous contrôle» mentionne Roberto Lubertino, Marketing Manager Seneca.
Dans le doute, pour les exploitants ne disposant d’aucune compétence informatique ou souhaitant accéder à des services à forte valeur ajoutée, s’appuyer sur l’expertise d’intégrateurs indépendants qui maîtrisent la chaîne complète de la conception et réalisation de solutions Hardware et Software, et proposent des solutions métier personnalisées, ouvertes et évolutives, à l’image d’Atim (basé à Villard-deLans), 2Gi Technologie (Martigues) ou d’InouID (Lyon), permet de clarifier les propositions… Matthieu Bauer, responsable de marché Environnement Énergie chez Endress+Hauser France, fait remarquer que «les applications de smart metering faisant intervenir un automate sont aujourd’hui plutôt majoritaires, le cloud étant minoritaire. Mais la tendance pourrait s’inverser à l’avenir, notamment grâce à des solutions embarquant le GSM et pouvant attaquer directement un cloud». Endress+Hauser propose depuis quelques années l’écosystème IIoT (Internet des objets industriels) basé sur le cloud Netilion. Cette plateforme regroupe un ensemble de services permettant aux utilisateurs d’avoir accès, à distance, aux mesures d’un débitmètre électromagnétique autonome Proline Promag W 800 ou d’une platine d’analyse via le transmetteur Liquiline, à son état de santé, etc. «Nous sommes en train de déployer le service d’assistance à distance Smart Support Connect qui va permettre à nos équipes de support de disposer aussi des informations de diagnostic remontées au client. Nos équipes seront ainsi capables d’identifier la dérive d’un analyseur colorimétrique et de déclencher une maintenance de niveau 1 ou de niveau 2. Cela nous amène une valeur ajoutée au client sur un appareil qui peut être plus complexe à prendre en main pour certains utilisateurs», poursuit Matthieu Bauer (Endress+Hauser France).
Dans le cas de figure de la remontée des informations directement vers un cloud, les fabricants proposent plusieurs manières de mettre à disposition les données aux utilisateurs. Soit les serveurs de l’exploitant ou de la collectivité locale viennent récupérer les informations dont il, ou elle, a besoin – charge au client de développer ou de disposer des outils nécessaires pour exploiter les informations – , soit ce sont les serveurs du fabricant, qui réalisent cette opération pour alimenter son outil. «Dans ce cas, nous pouvons proposer une interface utilisateur personnalisée. Si un client souhaite commercialiser la plate-forme, on peut la mettre à leur nom», précise Frédéric Flutre (Celec). Parmi les solutions proposées par Aqualabo, figure le module AquaMod qui propose une page web embarquée permettant de calibrer le capteur connecté, à laquelle il est possible de rajouter la solution globale Aquaconnect, qui intégre une gate (Aquagate) et un Cloud permettant la visualisation des mesures ainsi que le transfert en format csv. L’offre Aquaconnect, basé sur un réseau LoRa privé, ne nécessite pas d’abonnement à des opérateurs privés. S’ouvre alors aux utilisateurs un large panel de services potentiels tels que la supervision de l’installation, la facturation, l’envoi d’alertes en cas de fuites ou d’autres problèmes, le suivi du rendement de réseau, la répartition des consommations par types d’usages ou d’usagers. Le modèle économique proposé repose soit sur un abonnement annuel, dont le montant dépend entre autres du nombre de points de mesure, soit sur l’achat du matériel associé à un abonnement.
PLUS AUCUNS FREINS AU DÉPLOIEMENT
Toutes les personnes interrogées s’accordent sur le grand potentiel à venir
du marché du smart metering. Les
éventuels freins sont levés au fur et à
mesure. Les solutions cloud ont aussi
le bénéfice d’être les plus frugales du
point de vue environnemental, de pouvoir être dimensionnées au plus juste
des besoins du client et de disposer de
systèmes de cybersécurité avancés. Ce
que confirme Sébastien Armand (Wago
Contact France): «Nous rentrons dans
une culture du big data, même si ce sera
toujours controversé. Le cloud va ainsi
devenir de plus en plus familier pour
tous.»
Pour Christophe Magniez (Lacroix
Sofrel), «le smart metering et la surveillance des réseaux plus généralement
vont se développer pour des raisons d’optimisation des coûts et d’impact environnemental.» Et Matthieu Bauer
(Endress+Hauser France) de renchérir : «Ce sont pour des raisons réglementaires, comme le Plan de gestion de
la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE), et
de préservation des ressources (objectif
d’un rendement de 85% pour les réseaux
d’eau français).»
«Le gouvernement est en train de lever les
barrières à marche forcée avec le lancement du Plan eau, dans lequel il y aura une
obligation de télémesure et de télésurveillance de l’eau pour de nombreux utilisateurs. Cela arrive d’ailleurs à un moment
où la technologie NB-IoT est désormais
opérationnelle et où les coûts baissent»,
se réjouit Frédéric Flutre (Celec). «Le
smart metering est en train de devenir
le premier outil pour la sobriété hydrique
en mettant en place des outils permettant aux usagers de mieux consommer
via une information plus précise et une
facturation plus incitative. La raréfaction de l’eau va bouleverser la gestion et
la distribution de l’eau en France, et avoir
également un impact sur la qualité de
l’eau», conclut Xavier Mathieu (Birdz).