De plus en plus, les producteurs d’eau potable équipent leurs usines et réseaux de capteurs en ligne remontant les données en temps réel. Même si le nombre de paramètres mesurables automatiquement reste limité au regard de la liste des contaminants possibles, ils en tirent des informations précieuses pour le pilotage des installations.
Collectivités ou délégataires produisant de l’eau potable sont évidemment soumis à un contrôle régulier des autorités sanitaires, lesquelles s’assurent de la conformité de l’eau distribuée vis-à-vis des normes réglementaires. Cela passe par des prélèvements – jusqu’à plusieurs par jour pour les grandes collectivités - puis des analyses dans des laboratoires agréés. En parallèle, certains acteurs importants se dotent de moyens d’analyse plus ou moins similaires pour contrôler eux-mêmes la conformité de l’eau qu’ils injectent dans le réseau. Il existe cependant un mouvement plus général: de plus en plus, les exploitants équipent leurs usines de potabilisation et/ou réseaux de distribution de capteurs ou analyseurs en ligne surveillant en continu un nombre restreint de paramètres.
Pourquoi ? «En France, l’eau distribuée répond aux exigences sanitaires dans plus de 99% des cas. Les appareils en ligne sont utilisés pour autre chose : détecter des changements d’état des installations, percevoir des «signaux faibles», signaler des situations inhabituelles. A charge pour l’opérateur d’interpréter et de réagir…» répond Frédéric Blanchet, Président de la Commission scientifique et technique de l’Astee et responsable Projets Veolia.
En clair, le suivi en ligne est un «plus» opérationnel, permettant d’ajuster en temps réel le procédé de potabilisation ou de détecter des évènements survenant sur le réseau de distribution, voire d’anticiper une demande d’autosurveillance de la part des autorités (la directive européenne de décembre 2020, en instance de transcription en France, encourage en effet cette autosurveillance).
Des fabricants comme Anael, Aqualabo, Bionef, Burkert, EFS, Endress + Hauser, Intellitect Water, Neroxis, OTT, Prisma, Prominent, Siemens S::can, Swan ou Xylem, entre autres, proposent des appareils pour cet usage. Turbidité, pH, conductivité, oxygène dissous, température et chlore résiduel sont aujourd’hui des paramètres classiques. «Tout cela est notre cœur de métier mais de nouveaux paramètres sont de plus en plus demandés, comme la teneur en matières organiques ou la charge bactériologique» affirme Philippe Ménard, responsable applications chez Hach. «Nous avons de plus en plus de demandes. Au-delà des paramètres classiques, les opérateurs veulent maintenant contrôler la pollution organique, d’où la généralisation des sondes à absorbance UV à 254 nanomètres, dont les prix ont beaucoup baissé. Elles donnent une image de tout ce qui est COT, DCO ou DBO» précise Guillaume Schneider, directeur commercial de Swan.
Une évolution que confirme
Julien Garrigues, ingénieur technico-commercial Process chez Xylem,
responsable milieux environnement,
hydrologie, côtiers & océanographie:
«en usine comme sur le réseau, on nous
demande de plus en plus de capteurs. La
valeur «montante» est le COT, surtout
sur les réseaux longs.» Plutôt que développer constamment des capteurs pour
de nouveaux paramètres (bien que…), les
fabricants consacrent leurs efforts à la
simplification des opérations de maintenance et de calibration. «Le coût et la difficulté de la maintenance conditionnent
le choix de l’outil, peut-être plus que l’investissement de départ» estime en effet
Philippe Ménard (Hach).
RÉSEAU : GUETTER LES ÉVÈNEMENTS INDÉSIRABLES
Acheminant une eau par définition potable et désinfectée, tout au moins au départ, le réseau de distribution peut cependant subir des à-coups hydrauliques susceptibles de décrocher le biofilm des parois, des retours inopinés d’eaux contaminées, des infiltrations, des casses voire des attaques délibérées. «Face à tout cela, nous expérimentons des analyseurs de paramètres basiques comme le chlore (depuis longtemps), le pH, la conductivité, la température et les matières organiques (par sonde UV 254 nm). Il s’agit de déployer un dispositif qui, en combinant tout cela, puisse détecter rapidement une anomalie et envoyer une alerte» expose Jean Baron, adjoint au directeur de la direction recherche, développement de la qualité de l’eau à Eau de Paris.
Le Sedif surveille peu ou prou les mêmes paramètres. «Sur notre réseau, nous avons déployé une centaine de sondes multiparamètres autonomes – des Kapta 3000 de Veolia (Birdz) - pour le projet Qualio. Elles mesurent en quasi-temps réel - avec une remontée d’information toutes les deux heures - le chlore actif, la pression, la conductivité et la température. L’idée est d’assurer une traçabilité de l’eau: détecter des intrusions et retracer l’origine de ce qui circule. Par exemple, les eaux provenant de nos usines de Neuilly/Marne et de Méry/Oise n’ont pas la même conductivité» explique Sylvie Thibert, ingénieure Qualité de l’Eau et Gestion des Risques Sanitaires au Sedif.
«Classiquement, on suit quelques paramètres avec des sondes spécialisées installées dans des points stratégiques comme les châteaux d’eau ou les réservoirs, et les données remontent à la supervision. Aujourd’hui, on innove en suivant une demi-douzaine, voire plus, de paramètres au même endroit. L’intérêt est de corréler leur évolution pour détecter des évènements, apporter de l’intelligence dans l’interprétation et le suivi du système. Pour nous opérateur, nous pensons maîtriser l’hydraulique mais les capteurs nous permettent tous les jours de découvrir la «vraie vie» du réseau, son fonctionnement réel» souligne Xavier Guivarch, chef du marché eau potable chez Suez Eau France. «Nous avons quelques exemples de sites où l’intelligence artificielle nous a permis de détecter des casses en corrélant des valeurs de turbidité à différents endroits» confirme Pierre Pieronne, référent Production Qualité Eau à la direction technique de Suez Eau France.
Les instrumentistes évoluent donc vers des plateformes multiparamètres regroupant jusqu’à une dizaine de capteurs. Chez Burkert, les sondes classiques (pH, conductivité, turbidité, chlore) s’accrochent comme autant de cubes à la Plateforme 8905. Au rayon des nouveautés, une sonde à absorbance, la MS08. «Plus grosse que nos capteurs classiques, elle ne s’intègre pas physiquement dans la plateforme mais s’y connecte. Elle mesure l’absorbance à 254 nm (MO) et à 530 nm (turbidité). De plus en plus d’opérateurs s’intéressent à la matière organique, qui permet de «voir» des épisodes de pollution. Bien sûr, c’est plus cher qu’une sonde de chlore, qui reste le paramètre le plus contrôlé…» précise Olivier Bertrand, responsable du marché Eau chez Burkert. Autre nouveauté, la MS08 est une sonde à absorbance UV destinée aux nitrates (elle mesure à 212 nm).
La ville de Rennes, par exemple, s’est équipée de systèmes Burkert. s::can, spécialiste de la spectrométrie UV/Visible, propose sa nanostation, installée en dérivation, qui peut accepter quatre sondes et gérer jusqu’à 10 paramètres. Outre les classiques capteurs de conductivité, Chlore, pH, pression ou température, la société propose son i::scan, un spectromètre UV Vis opérant sur plusieurs longueurs d’onde, et donc mesurant directement le COT sur plusieurs spectres UV. «l’i::scan détecte les contaminations organiques, signalant par exemple les trihalométahanes, sous-produits de la chloration. Mais cette sonde peut aussi mesurer la turbidité ainsi que la couleur de l’eau» énumère Philippe Marinot, directeur général de s::can France. La station pipe ::scan, qui se branche directement sur la canalisation, sans perte en eau , peut transmettre jusqu’à dix paramètres. «Les appareils mesurent toutes les minutes mais les stations envoient en général les données tous les quarts d’heure, selon la demande des exploitants» précise Philippe Marinot. s::can fournit des appareils aux grands délégataires comme Suez ou la Saur, ou à des régies comme Eau de Paris.
Pour suivre l'ammonium, les nitrates ou le manganèse, notamment, Anael recommande l’analyseur en ligne INSTRAN, qui par la taille et la conception de la cellule de réaction permettent de réduire la consommation de réactifs sans que cela n'affecte la sensibilité et la précision de la mesure. Pour pallier les problématiques de sites distants, en réseaux ou dans les ouvrages isolés, Hydreka a développé la solution LabFLO®, modulable et 100% autonome en énergie. Installée en dérivation du réseau, l’exploitant s’affranchit de tout problématiques de contamination dans les réseaux pour suivre Chlore libre, Chlore combiné, turbidité, pH, pression, température…
Outre le suivi des paramètres de qualité, le LabFLO® permet de connecter un débitmètre à insertion HydrINS, également autonome énergie, pour obtenir les données de quantité d’eau. Des algorithmes dit standards sont également intégrés afin d’établir des indices toxicité, envoyer des alarmes et piloter un organe externe. Endress + Hauser, qui dispose d’un catalogue complet, a entre autres équipé le réseau du syndicat de la Basse Vigneulles et de Faulquemont (Moselle). «Ils ont plusieurs sites de production distants, nous leur avons donc proposé de suivre le chlore résiduel sur le réseau de distribution» se souvient Matthieu Bauer, Team Leader Marketing Environnement/ Energie chez Endress + Hauser. Xylem Analytics est également présent sur les réseaux. «Nous y installons classiquement des capteurs de chlore. Les exploitants veulent s’assurer que le chlore résiduel est suffisant tout au long de la chaîne jusqu’au robinet… malgré des réseaux vieillissants. Nous proposons aussi des capteurs de turbidité» précise Julien Garrigues, Ingénieur TechnicoCommercial Process, Responsable Milieux Environnement, Hydrologie, Côtiers & Océanographie chez Xylem.
Conçu pour le suivi sur le terrain de l’eau d’une commune en région rurale, le Potatech® + de Cifec combine une instrumentation numérique sophistiquée portable et fournit une évaluation détaillée de la qualité microbiologique, physico-chimique de l’eau. Ses principales caractéristiques comprennent un incubateur, un photomètre PC7100, un turbidimètre compact, un testeur de poche pH, un testeur de poche conductivité, fourni dans une mallette contenant tous les composants nécessaires pour les mesures des paramètres critiques. Il est associé à une gamme complète de consommables. Commercialisée par AquaMS, la série TW Master est la toute nouvelle gamme d’analyseurs conçue et produite par TriOS pour répondre aux exigences particulières de la surveillance de l’eau potable.
Le premier module de la série
est destiné à la surveillance en ligne
de la turbidité par une mesure néphélométrique par mesure de la lumière
diffractée à 90°. «En complément de
la gamme des sondes in situ TriOS que
nous proposons, ces nouveaux analyseurs permettent d’atteindre des gammes
et précisions de mesures bien plus fines,
adaptées à la surveillance de l’eau potable.
Le TW Turb par exemple mesure la turbidité de 0 à 4 FNU avec une précision
de ±5% +0,01 une limite de détection à
0,005 FNU. Cette nouvelle conception
tout-en-un permet d’intégrer les lentilles de mesures, la cellule de passage,
l'écran tactile et le contrôleur. Un simple
quart de tour des vis en façade suffit pour
accéder aux lentilles de mesure pour le
nettoyage», résume Nicolas Vaudois.
«Outre la série des modules TW, nous
proposons également toutes les sondes
UV-Vis et physico-chimiques TriOS
(nitrates, MOCD, couleur, COT,…) et
une gamme de toximètres biologiques
en ligne, dont le toximètre poissons
ToxProtect 64 - TP64 pour les distributions d’eau potable, ajoute Yves Primault,
CEO Bionef. Ainsi chaque utilisateur peut
configurer sa chaine de mesure comme il
l'entend et réduire au minimum absolu
les risques de contamination, accidentelle ou malveillante, avec des substances
nocives grâce au ToxProtect64».
USINE : MAÎTRISER LE TRAITEMENT
Outre la vérification de conformité réglementaire à la sortie ainsi que, de plus en plus, des stations d’alerte dans la ressource elle-même, des exploitants instrumentent le procédé de potabilisation lui-même. La logique, ici, est de contrôler en temps réel (ou presque) la performance pour ajuster le traitement. Et donc, entre autres, économiser des réactifs et de l’énergie. Pas de surprise là non plus en termes de paramètres surveillés. «Le contrôle de la désinfection (chlore, brome ou ozone) et de la turbidité restent les «juges de paix»» résume Matthieu Bauer (Endress + Hauser). «Pour l’instant, les exploitants nous demandent des paramètres classiques : MO, nitrates, caractéristiques physicochimiques (pH, oxygène dissous, conductivité, température, turbidité). Plus le chlore et l’ozone, que nous ne faisons pas pour notre part» énumère Souad Bouzida, responsable commerciale chez Datalink Instruments. Sa société est en effet spécialisée dans la détection de la matière organique comme les nitrates, nitrites, hydrocarbures et ammonium. «Ces deux derniers paramètres sont nouveaux en usine : auparavant on les installait surtout sur les stations d’alerte placées dans la ressource. Cela dépend des régions : là où il y a de l’élevage, on regardera l’ammonium, et dans certaines eaux de forage on surveillera les hydrocarbures» précise-t-elle.
Mais pourquoi les nitrites ? Parce que certaines usines de potabilisation utilisent un traitement bactériologique pour dénitrifier. La mesure sert alors à contrôler ce processus. Datalink vend ses solutions à des opérateurs comme la Saur (à Pont-Aven par exemple) ou directement à des syndicats comme le Semea d’Angoulème ou la ville de La Rochelle. Mettler Toledo a développé à cet effet toute une gamme d’instruments d'analyses en laboratoire ou sur site. En usine, comme sur le réseau, la mesure «qui monte» est cependant l’absorbance UV à 254 nm. «En plus des paramètres classiques, nous l’utilisons sur les traitements membranaires car c’est un indicateur de colmatage» justifie Jean Baron (Eau de Paris). «C’est un paramètre simple à mettre en œuvre pour ajuster/vérifier la teneur en matières organiques, en particulier sur les grosses usines» confirme Thierry Kernoa, directeur métier à la Saur.
En production,
Suez déploie la solution CHEMboard®
qui ajuste en temps réel les doses de
réactifs grâce à un algorithme breveté
et des capteurs d'absorbance UV et de turbidité placés sur 3 points de l'usine.
«Nous l’avons installé depuis un an sur
six usines de rivière. L’intérêt est d’ajuster automatiquement, en permanence, les
doses de coagulant et de charbon actif en
poudre à la pollution organique, pour s'affranchir des essais Jar Test «à la main»
tout en assurant le meilleur compromis
technico économique» souligne Pierre
Pieronne.
Aussi, Process Instruments propose depuis plusieurs années le contrôle et la régulation automatiques de la coagulation dans les stations de potabilisation avec sa plateforme multiparamètres CoagSense qui, selon les sites, combine la mesure du courant d’écoulement (mesure de charge des particules) avec la turbidité, la mesure UV et/ou le pH. Ce système complet permet de stabiliser au mieux la coagulation en particulier lors de fortes pluies. «Les exploitants veulent surtout piloter leur procédé. Ils n’ont pas besoin d’une véritable mesure contractuelle du COT, comme ils en font en sortie pour vérifier leur conformité. Les vrais COTmètres sont des appareils complexes, chers, utilisant des réactifs (oxydation, persulfate). L’absorbance UV, mesurée en cm-1 en entrée, au milieu et en sortie de traitement, suffit pour suivre l’abattement en MO et donc se développe aujourd’hui» explique Guillaume Schneider.
Swan propose sa sonde AMI SAC 254, utilisée par exemple par le SMEA- Réseau 31 (Haute Garonne) ou des opérateurs comme la Saur ou Suez. «La Saur en a en particulier acheté deux pour sa plateforme de R&D du Jaunay à Landevieille (Vendée), où elle développe de nouveaux procédés de traitement» ajoute-t‑il. Dans le même esprit de simplicité, Swan propose un appareil plus original: un turbidimètre muni d’une pompe à émulsion pour détecter les hydrocarbures. «Dans l’Est, en particulier, les exploitants potabilisent des eaux de forage et craignent les infiltrations accidentelles. Notre appareil, Opale, est calibré en usine pour l’hydrocarbure recherché. Il n’atteint pas la précision des analyseurs de laboratoire mais suffit pour détecter la présence du contaminant» affirme Guillaume Schneider.
Xylem commercialise également des sondes à absorbance. D’abord une classique sonde à 254 nm, le capteur UV 700 IQ Sac, mais aussi une sonde UV/ visible. «C’est une sonde spectrale à LED qui distingue des bandes très étroites – moins d’un nanomètre - et permet de différencier des paramètres comme le COT, la DCO, la DBO, les nitrates, les nitrites ou la coloration (à différentes longueurs d’onde). Elle est pourvue d’un système de nettoyage par ultrasons qui diminue la maintenance (pas besoin de changer les balais) et a l’avantage de casser le calcaire» détaille Julien Garrigues.
L’appareil est vendu aux principaux opérateurs comme à des grandes régies.
Hach propose pour sa part la sonde Uvas
à 254 nm. Endress+Hauser vient également de compléter sa gamme d'analyseurs sprectrométriques Viomax CAS51D
pour la détermination des nitrates ou
de la matière organique par un spectromètre multiparamètre CAS80E pour
la mesure combinée des nitrates, de la
matière organique, de la couleur et de
la turbidité.
LA MICROBIOLOGIE : UN SUJET EN SOI
La principale menace sur l’eau potable, en tout cas celle qui peut avoir des effets immédiats et massifs, reste la contamination bactériologique. Or la contrôler en ligne reste une gageure. «Certains opérateurs contrôlent la bactériologie toutes les 10-15 minutes mais cela nécessite des analyseurs très complexes. J’ai vu beaucoup de ces appareils à l’arrêt faute de maintenance, de pièces de rechange…» affirme Olivier Bertrand (Burkert). Eau de Paris explore cependant une solution. «Nous avons testé le ColiMinder, qui détecte E. coli, entérocoques et/ou activité microbienne totale, pour la surveillance des eaux de baignade. Le résultat étant convaincant, nous l’essayons maintenant sur nos usines pour suivre la qualité bactériologique en cours de traitement, en particulier après la filtration. Cela reste de l’ordre de la recherche plutôt que de l’exploitation actuellement» souligne Jean Baron.
Le SDEA (Syndicat des Eaux et de l’Assainissement Alsace-Moselle) a quant à lui jeté son dévolu sur l’appareil en ligne BactoSense, développé par bNovate, qui permet de contrôler l’abattement d’un procédé de potabilisation ou la désinfection en sortie d’usine en utilisant la cytométrie en flux. «Le BactoSense est un instrument permettant d’évaluer en continu la charge bactérienne présente dans l’eau. Utilisant la technologie de cytométrie en flux, ce capteur détecte rapidement tout changement de la qualité microbiologique, réduisant les temps de mesures de plusieurs jours à seulement 20 minutes et de façon entièrement automatisée. Nous avons aujourd’hui quatre instruments sur le terrain utilisés pour la surveillance de l’eau des réservoirs et du réseau de deux unités de distribution. Le but est d’anticiper toute dérive bactériologique sur ces secteurs et ainsi de limiter le recours à la chloration» explique Emmanuel Fellmann Ingénieur projets du SDEA.
«Avec plusieurs centaines d’instruments déployés sur le terrain, on observe une transition de l’utilisation de nos capteurs. Sortant des pôles innovations, ils s’intègrent désormais en production: sur une ligne de potabilisation ou bien sur le réseau de distribution», se félicite Luigino Grasso, directeur scientifique chez bNovate Technologies.
Hach propose l’EZ7300, qui mesure l’ATP par fluorescence. «Il ne distingue pas les types de bactéries mais permet de contrôler rapidement, en ligne, l’abattement d’un procédé, l’efficacité de la désinfection. Il peut s’installer en sortie d’usine, sur le réseau, dans des châteaux d’eau, des postes de relevage…» explique Philippe Ménard.
Un seul de ces appareils peut analyser en parallèle huit voies différentes : il suffit de lui faire parvenir autant de conduites, par exemple en provenance de différents points du procédé de potabilisation. Etant donné la difficulté de suivre en ligne ce paramètre, Suez met en œuvre une stratégie dite EQRM (Evaluation Quantitative des Risques Microbiologiques). Il s’agit, dans un premier temps, de mesurer le taux de microorganismes dans la ressource puis d’estimer l’abattement en sortie de traitement.
«L’OMS recommande cette pratique, et publie même des abaques abattement/concentration dans la ressource pour arriver aux seuils recommandés» souligne Jean-François Loret, expert Risques sanitaires au Cirsee (Suez). L’abattement peut s’estimer avec des paramètres classiques comme la turbidité, le chlore résiduel ou la température, qui alimentent un modèle propre à chaque usine. «Nous utilisons l’EQRM depuis longtemps mais la recherche porte aujourd’hui sur l’évaluation en temps réel. Une expérience en cours sur une usine de la région parisienne fonctionne très bien. Les capteurs nous disent en temps réel si les objectifs d’abattement sont atteints» révèle JeanFrançois Loret.
POLLUANTS ÉMERGENTS, « PROXIS » ET AUTRES STRATÉGIES
Résidus médicamenteux, perturbateurs endocriniens, microplastiques, pesticides et leurs métabolites … la liste des contaminants possibles dans l’eau s’allonge sans arrêt. S’il est possible, avec de gros moyens de laboratoire (la spectrométrie en particulier) de tout détecter dans un prélèvement, il n’est pas question de déployer ce type de matériel en ligne. Olivier Bertrand (Burkert) le dit tout de go: «il n’y a pas aujourd’hui d’offre en ligne pour les pollutions spécifiques car les analyseurs coûtent très cher. La détection automatique n’est pas assez avancée pour «voir» un perturbateur endocrinien ou autre paramètre de ce type.» Pour Pierre Pieronne, de Suez, «certaines substances comme les métaux, les bromates, les parasites ou les virus, entre autres, sont très difficilement, voire pas du tout, analysables en ligne. De plus, si les dangers sont multiples, il est quasiment impossible de prévoir des analyseurs pour chacun des paramètres concernés.»
Dès lors, quelles stratégies adopter pour détecter ces indésirables en temps réel ?
Les opérateurs ne peuvent que se tourner vers des paramètres classiques, considérés alors comme indicateurs de la présence d’autres polluants : turbidité ou débit signalant un possible lessivage, chute rapide du chlore libre indiquant une pollution organique… Suez a également développé des algorithmes pour des composés physicochimiques, par exemple les bromates qui se forment après ozonation.
«Notre centre de recherche, le Cirsee, a développé un modèle, Ozonor, qui déduit le taux de bromates formés à partir de la température, du pH, du temps de contact (donné par le débit) et de l’ozone résiduel, autant de paramètres simples à mesurer. Le modèle est calé pour chaque usine, et installé dans l’automate qui gère l’ozonation» explique Pierre Pieronne.
MESURER EN LIGNE, ET APRÈS ?
S’il est – relativement – facile de poser des capteurs en ligne, encore faut-il être en mesure d’en exploiter les résultats. «Que fait-on de la donnée ? Si on dispose de plusieurs dizaines de points de mesure du chlore résiduel, par exemple, qu’en tirer comme conclusion? Faut-il recourir à des modèles prédictifs ? Nous en sommes aux balbutiements actuellement, et seules les grosses régies se lancent dans l’instrumentation» souligne Olivier Bertrand (Burkert).
«Paris distribue plusieurs eaux qui peuvent avoir des conductivités différentes, c’est une difficulté pour analyser les signaux, différencier les variations dues à l’exploitation normale des évènements anormaux. Imaginez que cent plateformes mesurant chacune cinq paramètres envoient des mesures toutes les trente secondes ! Il faut un gros travail d’exploitation données, recourant à l’intelligence artificielle ou au moins à des traitements mathématiques avancés, pour identifier les signaux anormaux. Sans compter les capteurs qui peuvent dysfonctionner… Il faut valider les données, les coupler avec une modélisation hydraulique… Nous y travaillons mais n’avons pas encore de solution» explique par exemple Jean Baron pour Eau de Paris.
«Nous avons conscience de la difficulté d'évaluer la pertinence d'un résultat. C'est pourquoi nous mettons une priorité sur la facilité d'utilisation de nos systèmes BactoSense ainsi que l'automatisation complète des mesures. Une fois le système installé en ligne et la valeur seuil paramétrée, une alarme avertira l'opérateur ou la centrale dès qu'une variation au-delà du seuil est détectée, permettant ainsi une prise de décision très rapide» appuie Luigino Grasso de bNovate Technologies.
Pierre Pieronne, de Suez, confirme l’intérêt de systèmes de type hypervision pour éviter d’être «noyé» sous les informations et ne pas pouvoir réagir. Christophe Tanguy (Saur) prend l’exemple de l’absorbance UV à 254 nm. «Comment utiliser cette mesure pour, éventuellement, conclure à une évolution de la concentration de tel ou tel pesticide ou métabolite ? L’IA ou les algorithmes peuvent aider. Il est intéressant de continuer à mesurer les paramètres classiques, et corréler leurs données par traitement informatique avancé, propre à chaque site.» «Nous avons développé un modèle, Predict metabolite, qui établit une corrélation entre l’évolution des nitrates et celle des métabolites de pesticides … à condition de rester dans des conditions déterminées. Nous travaillons sur ce genre de sujet puisqu’il est impensable de mesurer ces molécules en continu» avance Thierry Kernoa. Jean François Loret, expert Risques sanitaires au Cirsee (Suez) souligne un autre aspect important.
«Les capteurs en ligne
et l’analyse des données, c’est très bien,
mais si on n’a pas prévu d’avance les procédures de réaction à un signal anormal,
ça ne sert à rien» insiste-t-il. «Il ne faut
pas confondre nombre de capteurs et performance. Un bon capteur au bon endroit
peut donner beaucoup d’informations sur
la qualité de l’eau… si on sait comment
réagir en cas de dégradation» confirme
Xavier Guivarch (Suez)