Les eaux de surface - rivières, lacs, etc - sont étroitement surveillées, tant pour vérifier leur bon état écologique que pour suivre l’impact des activités humaines ou préserver les captages d’eau potable. Aux contrôles réglementaires, ponctuels, s’ajoute le suivi par les opérateurs eux-mêmes, qui peuvent choisir dans une vaste gamme de solutions.
Les paramètres de base
EFS propose toujours ses sondes UV-Probe 254+. « L’absorbance UV est une technologie très connue mais pas toujours bien employée. Puisque c’est une mesure indirecte, il faut établir au départ la corrélation entre absorbance UV et COT ou DCO, par comparaison avec des analyses de laboratoire. Cette corrélation est propre à chaque site puisque l’eau brute n’est jamais la même » prévient Camille Triffaux. L’UV-Probe 254+ dispose d’une autre longueur d’onde (560 nm) pour mesurer également les MES. « Placée en aval d’une STEP, la sonde permet de voir très vite un éventuel dysfonctionnement » affirme Camille Triffaux.
« Le COT est de plus en plus utilisé pour suivre la présence de matière organique, qu’elle provienne de pollutions industrielles ou de phénomènes naturels. D’où une nette augmentation de la demande en COTmètres. Nous en avons disposé par exemple sur un lac où la décomposition des feuilles, le développement d’algues ou l’inversion de couches entre les saisons se traduisent par des variations de COT » explique de son côté Jean-Pierre Molinier, de Hach. La société propose deux appareils. D’une part un véritable COTmètre, le Biotector. « Notre méthode spécifique d’oxydation utilise soude et ozone, qui permet d’utiliser des tuyaux plus gros que l’oxydation thermique ou UV. Ils s’encrassent moins, donc demandent moins de maintenance » affirme Jean-Pierre Molinier. La sonde UVAS, elle, fonctionne par absorbance UV à 254 nm. « C’est un appareil plus simple mais pas universel car toutes les matières organiques n’absorbent pas l’UV. Par exemple le sucre, que peut rejeter un industriel de l’agroalimentaire, n’absorbe pas. Il faut donc savoir quel composé on veut suivre avant d’installer ce type de sonde » précise Jean-Pierre Molinier. Hach propose également la FP 360 sc, une sonde à fluorescence destinée aux HAP. « Ce n’est pas une analyse complète mais la présence d’HAP suffit à signaler une pollution aux hydrocarbures, par exemple lorsqu’un camion se renverse ou qu’une citerne fuit en amont d’un captage. Nous en installons beaucoup » affirme Jean-Pierre Molinier.
Anael propose toute une gamme de COTmètres en ligne. Christophe Vaysse, ingénieur technico-commercial chez Anael, signale cependant une nouvelle tendance. « En sortie de STEP, on nous demande de plus en plus de mesurer la DCO plutôt que le COT, parce que les DREAL exigent une DCO inférieure à 125 mg/l » affirme-t-il. D’où un boom sur les ventes du DCOmètre LAR que commercialise Anael. « Il mesure la DCO en 4 minutes par oxydation thermique. C’est une mesure directe et non une corrélation avec le COT, ce que proposent la plupart de nos confrères. De plus il fonctionne sans réactifs, or ces produits souvent CMR sont de plus en plus bannis des sites » souligne-t-il.
A Paris, la direction de l’Innovation du SIAAP est également convaincue de la nécessité de catalyser l’innovation métrologique pour être capable demain de regarder autrement l’eau transitant dans les réseaux, traversant les usines et s’écoulant dans les rivières, une des lignes directrices de la programmation innEAUvation, portée par le syndicat et ses partenaires scientifiques. Vincent Rocher, directeur de l’innovation de SIAAP considère même que « la promotion de méthodes innovantes pour le suivi des matrices de l’assainissement, qu’il s’agisse de méthodes physiques, chimiques ou biologiques, en ligne ou en laboratoire, qu’elles concernent les effluents, les sous-produits ou les gaz, constitue, sans nul doute, un levier essentiel pour répondre aux enjeux de demain ». Selon lui, ces méthodes doivent permettre de mesurer autrement les paramètres classiquement suivis, d’aller plus loin dans la caractérisation de la composition (substances émergentes chimiques et biologiques, analyses non ciblées, espèces intermédiaires du cycle de l’azote [N20]), et, au-delà de la composition, d’appréhender les effets induits sur le biote.
Le reste : selon les circonstances
« Les polluants visés varient selon les régions ou les sites. En Bretagne, on surveillera par exemple les nitrates d’origine agricole. Dans d’autres cas, on s’intéressera aux microalgues, etc. Nous avons des solutions pour toutes ces situations » affirme pour sa part Fabrice Ropers, ingénieur technico-commercial chez Xylem Analytics. La firme propose trois grands types d’appareils. Tout d’abord la sonde portable Pro DDS pour des mesures ponctuelles. Un ou plusieurs capteurs classiques sont raccordés à un seul boîtier de lecture, qui enregistre également les données. Commercialisé en octobre 2021, le Pro Swap Logger est pour sa part destiné à la mesure en continu, in situ, d’un paramètre déterminé à l’avance (en plus de la température et la pression, intégrées à l’origine). Il intéresse donc, par exemple, les collectivités voulant surveiller un type particulier de pollution menaçant leurs captages, ou l’intrusion d’eau de mer dans les nappes car la sonde est assez fine pour s’insérer dans un piezzomètre. Autonome (sur piles alcalines) en mode data logger, il peut aussi être connecté à un transmetteur ou un automate. « Les grands traiteurs d’eau sont intéressés. Selon le capteur choisi, il peut être installé en sortie de STEP ou en amont d’un captage » affirme Fabrice Ropers. Enfin, pour la mesure en continu, in situ, de plusieurs paramètres en simultané, Xylem propose toujours la sonde immergée EXO. « C’est une station d’alerte à elle seule. Sur ses propres piles (des LR1 du commerce), elle peut fonctionner trois mois à raison d’une mesure toutes les 15 minutes, et mémorise les données. L’idéal, par exemple, pour des bureaux d’étude réalisant une mission, ou une collectivité qui veut étudier différents points de son territoire » explique Fabrice Ropers. Pour un fonctionnement continu à l’année, mieux vaut la relier à un transmetteur ou un automate et lui fournir une alimentation. « Un exploitant d’usine d’eau potable l’installera avec les paramètres classiques plus, selon les sites, les nitrates ou la chlorophylle a par exemple. Elle est aussi beaucoup utilisée en mer, fixée sous la bouée DB 600 munie de panneaux solaires, d’une batterie et d’un modem 3G-4G » ajoute Fabrice Ropers.
Nke Instrumentation propose des stations d’alerte autonomes reposant sur la sonde Wimo. « Outre tous les paramètres classiques, on nous demande beaucoup les hydrocarbures et les cyanobactéries. Les premiers car ils sont très difficiles à traiter, les secondes car elles peuvent colmater rapidement les filtres » explique Goulven Prud’homme, directeur commercial chez NKE Instrumentation. La société a installé une station d’alerte en amont d’une usine d’eau potable sur le Blavet, fleuve côtier qui arrose Lorient. « Un chantier naval de réparation de péniches est installé en amont, et Veolia, qui opère l’usine, veut être prévenu d’une éventuelle pollution. Nous avons aussi installé des stations d’alerte avec détecteurs d’hydrocarbures sur des bassins de collecte d’eau de ruissellement le long d’une autoroute. Il y a des risques de débordement dans une rivière où sont installés des pompages pour l’eau potable » énumère Goulven Prud’homme.
L’ammonium est en effet de plus en plus contrôlé. « C’est un poison pour l’environnement et un bon indicateur du dysfonctionnement d’une STEP ou d’un réseau unitaire en amont d’un captage. Nous sommes de plus en plus amenés à le mesurer. Par exemple, une collectivité nous a récemment demandé une station de mesure avec les paramètres classiques plus l’ammonium pour pouvoir suivre le bien fondé des modifications de son réseau unitaire » affirme Jean-Pierre Molinier (Hach).
Mesure des pollutions microbiennes et algales
Bionef propose ainsi des sondes portables spécialisées pour les microalgues, fabriquées par BBE : Algae Torch pour la mesure rapide de la chlorophylle a, des cyanobactéries et du phytoplancton total Fluroro Probe, très sensible et utilisable en portable ou à poste fixe pour le suivi environnemental, ainsi que la Benthotorch qui, comme son nom l’indique, mesure en temps réel la concentration des algues benthiques, c’est-à-dire fixées à des substrats comme les pierres ou les sédiments.
Microbia Environnement intervient également dans la surveillance des microalgues et cyanobactéries, mais avec une méthode d’analyse en laboratoire de ces organismes, grâce à des biocapteurs génétiques spécifiques à différentes espèces préoccupantes. La société a d’ailleurs développé un système de pompe portable munie d’un filtre pour faciliter le prélèvement et le transport de l’échantillon. « Avec un prélèvement une ou deux fois par semaine, nous pouvons suivre la dynamique des populations de ces organismes et prévenir du risque de prolifération avant que le problème ne survienne. Nous ne mesurons pas une quantité de cellules mais une activité, que nous traduisons sous forme d’alertes de type météo, simples à comprendre : bleu, vert, jaune ou rouge » explique Sandra Lagauzère, chargée du développement des marchés chez Microbia. Elle rappelle que les analyses réglementaires par microscopie, longues et chères, se font à des fréquences de deux semaines, voire un mois, ce qui ne permet pas aux professionnels - conchyliculteurs, pisciculteurs, collectivités responsables d’une baignade ou d’une usine d’eau potable - de réagir à temps et entraîne des périodes d’interdiction subites et très longues. Des analyses d'auto contrôles peuvent néanmoins se faire en fonction du site et du risque ; un calendrier est à adapter au cas par cas. On peut par ailleurs suivre les algues en continu par des sondes algales installées in situ, ou de façon ponctuelle selon les besoins/alertes pour gérer le risque. Résultat, des grands traiteurs d’eau comme Veolia, des acteurs de l'eau comme BRL (Bas Rhône Languedoc), des régies des eaux comme à Nice, ou Montpellier, des sites touristiques comme le lac de Villeneuve de La Raho ou conchylicoles comme l’étang de Leucate, travaillent avec Microbia. Fonctionnant actuellement sur un modèle de prestation de service, Microbia développe des kits de réactifs pour que les grands opérateurs puissent réaliser l’analyse dans leur propre laboratoire.
Appréhender la toxicité
Certes il existe déjà en laboratoire des tests normalisés de toxicité sur des organismes vivants : daphnies, bactéries, diatomées, etc. C’est le domaine de laboratoires comme Carso, Eurofins ou Wessling par exemple. Ils sont cependant plus destinés au contrôle des process ou de la qualité de l’eau potable qu’à la surveillance du milieu. Dès lors, comment surveiller de manière plus réaliste la toxicité des eaux brutes ? Premier test de ce type, développé à l’origine par la SEM (société des eaux de Marseille) : une cinquantaine de truitelles placées dans un aquarium, dont les mouvements sont surveillés par sonar. Il est toujours commercialisé, sous le nom de Truitel, par Cifec, avec quelques améliorations comme le passage d’un aquarium tout en parois de verre, susceptible de fuir à la moindre tentative de déplacement, à un caisson monobloc en PVC avec une fenêtre en verre. Aujourd’hui l’appareil héberge plus volontiers des vairons, tout aussi sensibles à la pollution mais acceptant des températures d’eau plus élevées que les truites. « Il est habituellement implanté en station d’alerte en amont d’un captage. Il ne s’agit pas d’identifier telle ou telle pollution mais de signaler la survenue d’un problème - un camion qui se renverse par exemple - afin d’arrêter le pompage pour éviter de contaminer toute la filière de traitement » explique David Mariet. Les poissons réagissent en quelques dizaines de minutes à la présence de divers polluants. Canal de Provence, par exemple, est un client régulier. Parmi les autres adeptes : Veolia à Toulon, la SEM, l’usine d’eau potable de Pech David à Toulouse, les villes du Havre ou de Lyon. Le Truitel peut aussi se placer en sortie de STEP, ne serait-ce que pour convaincre les pêcheurs de l’efficacité du traitement. « Si les vairons survivent dans l’effluent, pas besoin d’en dire plus aux pêcheurs, ils comprennent… » affirme David Mariet.
Biomae utilise pour sa part des gammares (crustacés d’eau douce) placés dans une cage immergée pendant trois semaines dans le milieu à contrôler. Les crustacés sont ensuite retirés, expédiés au laboratoire de la firme et la concentration de micropolluants dans leurs tissus est analysée par spectrométrie de masse. Il ne s’agit donc pas d’une surveillance continue. « Au début, nous procédons à des mesures rapprochées puis, lorsque nous avons une vision sur 1-2 ans de l’impact des pollutions sur un site, nous préconisons une à trois campagnes par an, souvent en saisons de hautes et basses eaux » explique Laurent Viviani, directeur du développement chez Biomae. Au laboratoire, l’analyse porte sur une base de 200 micropolluants. Outre ceux définis par la directive européenne, la recherche est ciblée en fonction de la demande : un industriel qui sait ce qu’il risque de rejeter, une collectivité qui sait quelles sont les menaces sur ses ressources. La firme peut aussi mesurer le niveau d’alimentation, la fécondité ou la perturbation endocrinienne, tous tests normalisés AFNOR. « Chez les invertébrés, une perturbation endocrinienne signale en général la présence de produits phytosanitaires » précise Laurent Viviani.
Watchfrog observe exclusivement la perturbation endocrinienne sur des vertébrés, têtards et poissons, proches de la santé humaine. Ces modèles sont sensibles à l’ensemble des micropolluants (résidus de médicaments, pesticides, herbicides, hydrocarbures, etc…) qui agissent sur notre physiologie. « Le système endocrinien est un bon baromètre de l’impact global des polluants chimiques sur notre organisme » justifie Gregory Lemkine, dirigeant de Watchfrog. Les larves transgéniques apparaissent fluorescentes en cas de contamination et l’intensité de cette fluorescence est proportionnelle aux effets des polluants. L’eau est ainsi prélevée pour exposer les larves en dehors du milieu. Watchfrog propose deux types de fonctionnement. Tout d’abord l’analyse au laboratoire de prélèvements envoyés par les utilisateurs, par exemple en sortie de STEP. « Certains le font depuis une dizaine d’années, ce qui nous permet de suivre l’évolution des performances de la STEP » précise Grégory Lemkine. « Nous avons aussi développé, à certains endroits pilotes comme au SIAAP, des dispositifs de surveillance en continu, les Frogbox. Ces systèmes d’alerte sont placés sur les ouvrages ou le milieu récepteur » ajoute-t-il.
Commercialisé depuis septembre 2020, ToxMate est utilisé tant en surveillance de la ressource potabilisable, comme sur un site en Bretagne exploité par Saur, qu’en sortie de STEP comme à Saint Fons, au sud de Lyon, et nouvellement à Chartres. Des usines de potabilisation utilisent ToxMate car l’hypersensibilité des 3 espèces utilisées permet de s’assurer de la bonne efficacité des traitements et grâce à des pics très fins, d’affiner le traitement, le suivi de la qualité et le coût. Des industriels sont également intéressés dans une démarche RSE et afin d’identifier des événements problématiques au cours de leurs process. Dans le cadre du programme H2020, ToxMate a aussi été installé en Suisse allemande sur le site d’Altenrhein pour mesurer les performances des traitements des micropolluants et au SIAAP pour les tests sur les eaux de STEU et de la Seine.
Enfin, Tame-Water propose l’Insitox, un analyseur de biosurveillance terrain, qui permet un diagnostic rapide et automatique de la toxicité de l’eau en quelques heures. Grâce aux signaux bioluminescents émis par trois souches bactériennes et à leurs interprétations, l’Insitox délivre une information fiable afin d’aider à la prise de décisions.
« Grâce à la complémentarité de tests unicellulaires, Tame-Water propose aussi des analyses diverses de biosurveillance ciblant différentes thématiques : toxicité générale, génotoxicité, perturbation endocrinienne, etc. Alors qu’il n’existe pas encore de réglementation poussant à utiliser la plupart de ces tests, Tame-Water espère contribuer à faire évoluer les normes, avec son approche en panel analytique et ses clés d’interprétations spécifiques », assure Erwan Michelin, responsable du laboratoire Testing et production.