30 avril 2021Paru dans le N°441
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Rédigé par : Patrick PHILIPON
Les baignades en eau libre (mer, cours d’eau, lacs…) font l’objet d’une surveillance sanitaire, qu’elle soit officielle (ARS) ou à l’initiative des collectivités responsables de plans d’eau. Différents dispositifs sont déployés et les constructeurs d’instruments innovants ne manquent pas. Petit tour d’horizon avant l’été…
La saison estivale approche, et avec elle les baignades en mer, en rivière ou en lac. Est-il sûr, cependant, de se baigner dans ces eaux ? Pour le garantir, les collectivités responsables des sites déploient des systèmes de surveillance, ou font appel à des délégataires. A cela s’ajoute un contrôle sanitaire réglementaire par les ARS. Mais que doit-on mesurer ? A quelle fréquence ? Selon quelles modalités ? Quels sont les moyens disponibles ?
Paramètres réglementaires et indicateurs de pollution
« Conformément aux dispositions de la directive 2006/7/CE, les paramètres réglementés sont les indicateurs Escherichia coli et entérocoques intestinaux. Leur présence dans l’eau indique une contamination d’origine fécale plus ou moins forte en fonction des concentrations relevées. Ces germes microbiens ne constituent pas en eux-mêmes un danger [...] mais peuvent indiquer, par leur présence, celle simultanée de germes pathogènes. Néanmoins, le contrôle des deux paramètres microbiologiques réglementés peut être complété par l’ARS en ajoutant d’autres paramètres (pH, transparence, cyanobactéries, etc.) si le suivi en est jugé pertinent […] ». Le ministère de la santé pose le cadre réglementaire. Le danger de la contamination fécale est assez évident : gastroentérites, hépatite A, salmonellose, poliomyélite, choléra, parasitoses diverses, etc. passent par cette voie. La contamination bactérienne est mesurée par des laboratoires agréés, avec une méthode normalisée qui implique une culture des bactéries. Les résultats arrivent donc en deux à trois jours. Les cyanobactéries constituent également un vrai problème car certaines peuvent, dans certaines conditions, libérer des toxines dangereuses voire mortelles pour les animaux, dont l’homme. Les ARS assument donc leur mission de contrôle sur les bactéries fécales – et éventuellement les cyanobactéries – mais les gestionnaires de plans d'eau, en général des municipalités, font également de l'autocontrôle, souvent sur un panel bien plus étendu de paramètres.
Nke instrumentation propose la sonde multiparamètres WiMo, qui peut être installée sur une bouée pour la surveillance des eaux libres.
Des données physico-chimiques sont en effet intéressantes car, si elles ne sont pas forcément gênantes en elles-mêmes, elles peuvent refléter une pollution, ou tout au moins signaler des conditions favorables à sa survenue. Turbidité, oxygène dissous, conductivité, pH, température, nitrates, MO, DCO, etc. sont donc autant d’indicateurs à suivre. « Si la conductivité de l’eau de mer diminue, cela signale une intrusion d’eau douce, donc un apport d’eau de pluie par les rivières, qui sont les principaux vecteurs de pollution fécale des eaux côtières », explique par exemple Goulven Prud'homme, responsable du service commercial chez Nke instrumentation. Il en va de même pour les cyanobactéries. « Azote et orthophosphates peuvent entraîner une eutrophisation avec un possible développement de cyanobactéries, une température élevée favorise leur croissance, la turbidité (ou MES) signale une multiplication de particules potentiellement porteuses de nutriments, une diminution de l’oxygène dissous peut signer un bloom algal, un pH élevé favorise la disponibilité du CO2.... » énumère ainsi Méhalia Medjahed, ingénieure Produits Solutions chez Xylem Analytics. Il s’agit là de paramètres classiques, pour lesquels de nombreux fabricants proposent capteurs, sondes, platines et autres dispositifs de mesure. Pour ces fournisseurs, la baignade en eau libre n’est d’ailleurs pas forcément un sujet en soi : ils développent des instruments pour analyser les eaux de surface en général (voir EIN 434 p 93). « Nous mesurons ces paramètres sur des eaux brutes qui peuvent à un certain moment être des eaux de baignade » résume ainsi Matthieu Bauer, responsable de marché Environnement Energie chez Endress+Hauser.
Bionef propose pour les paramètres physcico-chimiques les sondes multiparamètres Manta de Eureka.
Le suivi en ligne de la contamination
Pour aller au-delà du contrôle réglementaire de l’ARS et assurer une surveillance plus continue, les responsables de baignade peuvent certes effectuer leurs propres prélèvements et les envoyer à des laboratoires agréés. Ils ont de plus en plus recours à des dispositifs en ligne qui ont l’avantage de la réactivité, quitte à confirmer ensuite au laboratoire en cas d’alerte.
Hach, GL-Biocontrol ou Tecta, entre autres, proposent des instruments basés sur la bioluminescence. D’autres préfèrent la mesure enzymatique. C’est le cas des moniteurs en ligne BACTcontrol de microLAN, commercialisés entre autres par Aqualabo. Bionef propose également le BACTcontrol, un système de surveillance en ligne de l’activité bactérienne totale et spécifique (E. coli et coliformes). Basé sur la mesure de l’activité enzymatique – β-galactosidase (coliformes), β-glucuronidase (E. coli) et phosphatase alcaline (activité totale, biomasse) –, il donne des résultats en deux heures. « Paris en a installé en amont du canal de l’Ourcq. La lenteur de l’écoulement permet de donner l’alerte avant l’ouverture à la baignade », explique Yves Primault, directeur de Bionef.
Fluidion commercialise pour sa part l’Alert System, un dispositif de mesure en ligne de l’activité bactérienne reposant également sur l’analyse enzymatique… mais après une culture bactérienne, elle aussi automatique, qui demande quelques heures. « Toute la différence est là. Les autres donnent des résultats très rapides mais ils peuvent être trompés par des bactéries mortes, ou d’autres organismes avec les mêmes enzymes. Ils ne sont donc pas pertinents pour la baignade qui exige la surveillance des bactéries cultivables. Notre méthode le fait, et nous pouvons démontrer que nos systèmes sont équivalents aux mesures de laboratoire » insiste Dan Angelescu, PDG et directeur de la Recherche & Développement de Fluidion. La ville de Paris a installé ce système en amont de la baignade de la Villette. La ville de Royan et diverses stations balnéaires anglaises ont fait de même. « Nous instrumentons également la Seine à différents endroits. Il s’agit d’apporter des connaissances sur sa contamination microbiologique en vue des Jeux Olympiques de 2024 » révèle Dan Angelescu. Dans sa version actuelle, l’Alert System réclame régulièrement une maintenance d’une demi-heure par une personne formée : il faut nettoyer les circuits, renouveler les réactifs, changer la batterie. Fluidion annonce pour cette année une version 2 ne réclamant que deux minutes d’intervention par une personne non formée. « Nous utilisons pour cela des cartouches à usage unique contenant cellule optique, filtres, clapet anti retour, réservoir de réactifs et mélangeur » explique Dan Angelescu.
l’Alert System de Fluidion est le seul dispositif existant de mesure automatique en ligne des bactéries fécales après culture. Il est ici positionné sur le lac de Créteil.
Les cyanobactéries peuvent elles aussi être suivies en ligne. C’est la spécialité de Bionef, avec la sonde spectrofluorimétrique PhycoProbe. Elle détecte in situ et en temps réel divers groupes de phytoplancton, dont les cyanobactéries, et suit également la phycocyanine libre (méthode brevetée), témoin de la présence de cellules lysées risquant de libérer des toxines. « Nous sommes spécialiste de la mesure de l’excitation des photosystèmes, un phénomène qui ne se produit que dans les algues vivantes. Une simple mesure de la chlorophylle ou de la phycocyanine dans l’échantillon, comme le proposent beaucoup d’autres systèmes, ne dit pas si les algues sont vivantes ou non » souligne Yves Primault. Bionef propose également une déclinaison compacte, très utilisée sur le terrain pour la surveillance de baignade, que ce soit à poste fixe ou en version portable : l’AlgaeTorch. « C’est un tube 50 centimètres qui mesure la turbidité, les cyanobactéries et le phytoplancton total en quelques secondes, ce qui permet par exemple de réaliser la cartographie d’un site. La version en ligne exporte ses données vers un automate » explique Yves Primault.
Endress +Hauser fabrique des stations de mesure en ligne qui analysent automatiquement des échantillons prélevés dans les eaux brutes. Tous les paramètres physico-chimiques classiques sont disponibles.
Xylem peut équiper sa sonde EXO de capteurs à fluorescence pour la chlorophylle et la phycocyanine. Cette sonde peut rester dans l’eau plusieurs mois grâce à une batterie. Un balai nettoie automatiquement les capteurs. L’appareil enregistre les données et un agent peut venir les récupérer par adaptateur USB. Pour un suivi en temps réel des eaux de baignade, et aider les collectivités à décider d'ouvrir ou non une eau de baignade, la sonde EXO se fixe sur la bouée DB600 compacte et autonome, qui dotée d'un datalogger et d'un modem, transmet en temps réel les pics de pollution directement sur le cloud de l'utilisateur. Nke instrumentation peut également doter ses sondes WiMo de détecteur de fluorescence pour repérer la phycocyanine et la chlorophylle.
Paramètres physico-chimiques : où les mesurer ?
Les prélèvements à visée directement sanitaire (bactéries fécales, cyanobactéries) se font logiquement là où il y a le plus de baigneurs. Les indicateurs précoces d’une pollution possible, en revanche, n’ont de sens que s’ils sont mesurés à des endroits “stratégiques”, dépendant des sources potentielles de pollution : déversoirs d’orage, panaches de cours d’eau, STEP, accidents réseau, etc. Cela nécessite une bonne compréhension du fonctionnement du bassin versant commandant la baignade. « Où placer les systèmes d’alerte ? Nous travaillons avec des bureaux d’étude qui peuvent faire l’hydrologie du site et l’analyse des risques liés à baignade, souvent à la demande de la collectivité responsable » explique ainsi Dan Angelescu (Fluidion). « C’est une phase importante pour que le matériel serve à quelque chose. Les sondes placées dans le milieu naturel envoient leurs données par télémétrie, en temps réel, aux exploitants. Lesquels déclencheront éventuellement une alarme et dépêcheront un technicien pour échantillonner la masse d’eau potentiellement polluée » précise Goulven Prud’homme, de Nke instrumentation.
Le dispositif de surveillance Omer, proposé par la Saur, suppose des prélèvements programmés ou instrumentés sur les sites de baignade avant envoi à un laboratoire de la firme.
La sonde EXO de Xylem peut être munie de capteurs de profondeur, conductivité, oxygène dissous, demande en oxygène, pH, turbidité, ammonium, rhodamine… Nke Instrumentation propose pour sa part la sonde WiMo, adaptée aux eaux douces et aux eaux de mer et munie de capteurs plug-and-play. Elle permet de mettre en place des stations d’alerte ou des bouées instrumentées et adaptées au site. Nke instrumentation a par exemple équipé ainsi une plage de Douarnenez, ainsi que d’autres dans la région de Toulon. S::can propose la technologie UV-Visible, sonde immergeable qui permet de mesurer en continu et simultanément plusieurs paramètres physico-chimiques sur les eaux de surface (COT, COD, nitrates, chlorophylle, etc.) sans réactif. Endress+Hauser, Sdec France, Cifec, Datalink Instruments, Hach, Metrohm, ou Swan interviennent également sur ce marché.
Contrôle ponctuel : les appareils portables
Que ce soit pour réagir à une alerte, établir la cartographie d’une pollution ou simplement parce que les systèmes fixes sont surdimensionnés pour la tâche, les collectivités peuvent dépêcher des agents munis d’appareils portables. Fluidion propose ainsi une version portable de son Alert Lab. « On peut avoir plusieurs plages à surveiller, ou vouloir une information spatiale sur un site, ce qui nécessite plusieurs points mesure. L’agent prélève des échantillons, les place dans l’Alert Lab et l’analyse démarre immédiatement, au bord du plan d’eau » explique Dan Angelescu. Pour les cyanobactéries, Bionef suggère la version portable de son Algaetorch. « Nous l’avons fournie à la ville de Paris pour la baignade du canal de l’Ourcq. Ils réalisent plusieurs mesures par jour dans les bassins, à différentes profondeurs. Si l’appareil détecte un risque de présence de cyanobactéries, on prélève et on envoie au laboratoire » précise Yves Primault. Cet appareil peut d'ailleurs être porté par opérateur non humain… « Un partenaire intègre nos sondes sur un drone aquatique pour cartographier les plans d’eau, chaque jour avant l’ouverture de la baignade, par exemple » ajoute en effet Yves Primault.
L’AlgaeTorch est un instrument léger, étanche, pour la mesure de la chlorophylle et des cyanobactéries par fluorescence. La mesure complète nécessite moins de 20 secondes. Aucun échantillonnage ou préparation n’est nécessaire.
Xylem propose également en version portable la sonde Pro DSS de la marque Ysi, qui peut supporter quatre capteurs à choisir dans un catalogue de 21 paramètres disponibles en option (y compris algues totales et chlorophylle). Elle peut donc parfaitement être configurée pour la surveillance des eaux de baignade. La Pro DSS stocke les données que l’on récupère par adaptateur USB. Xylem fournit également des colorimètres portables classiques, comme le Photoflex Turb de WTW, capable de mesurer le pH, la turbidité (MES, algues), les nitrates, l’ammonium et les orthophosphates d’un prélèvement.
Délégataires : des services complets
Comment ces différentes technologies et méthodologies se combinent-elles dans la réalité ? Comment les responsables mettent-ils tout cela en branle pour assurer à la fois la sécurité de la baignade durant la saison et l’amélioration au long cours de leur plan d’eau ? Le menu des services “tout compris” que proposent les grands délégataires peut en donner une idée. La qualité des eaux brutes, que ce soit en entrée d’usine de potabilisation ou en sortie de STEP, est en effet une donnée essentielle pour eux. Il n’est donc pas étonnant qu’ils se soient saisis de la question de la qualité des eaux de baignade libre – sans compter le fait que les eaux usées sont souvent à l’origine de la pollution des baignades.
L’analyseur en ligne BactcontroL permet de détecter l'activité microbiologique dans l'eau (E.Coli, coliforme, activité bactérienne totale) en 90 minutes seulement.
Saur a démarré une démarche de gestion active des eaux de baignade depuis plus de 15 ans. Saur décline ainsi en prestations OMER (eaux littorales) et OSER (eaux douces) sa proposition qui concerne aujourd'hui 45 communes pour 178 plages. « Nous déployons pendant l’été un réseau de surveillance de 80 personnes formées, qui réalisent régulièrement des prélèvements et les envoient dans l’un de nos 9 laboratoires. Là, des outils analytiques rapides donnent les résultats en quelques heures (de 4h à 24h) au lieu de 2 ou 3 jours avec les méthodes classiques. Il s’agit de gestion active, en fonction de la météo ou des alertes que donnent des instruments que nous avons placés sur le territoire » explique Pascal Kohaut, chargé du projet à la Saur. « En 2021, nous allons introduire de nouveaux outils. Un outil de laboratoire compact et connecté et un outil portable, tous deux encore plus performants. L'outil portable se décline sur le terrain pour le suivi des cyanobactéries toxiques en eaux douces mais également pour la contamination fécale, avec un résultat rendu en moins de 2 heures. Nous les validons et comparons à notre parc d'outils rapides en conditions réelles, sur eaux de baignade littorales et douces » ajoute Frédérique Nakache-Danglot de la direction technique nationale de Saur. Sur le long terme, la Saur s’appuie sur la connaissance du bassin pour proposer des améliorations continues et réduire les sources de pollution. Une nouvelle tendance émerge : une vision globale du cycle de l'eau. La communauté d'agglomération de Lamballe Terre et Mer a par exemple intégré dans le contrat de délégation assainissement, la protection de la baignade d’Erquy (Côtes-d’Armor). Veolia et Suez ne sont pas en reste avec un dispositif basé sur la méthode d’analyse rapide Coliplage® (182 sites en 2017) pour le premier et des services régionalisés (côte basque, Marseille, …) pour l'autre.
« Les instruments apportent une aide à la gestion active mais n'enlève pas l'intervention du spécialiste sur le terrain pour valider les données de l'instrument, les comprendre et les interpréter. L'objectif est à terme de ne plus avoir besoin d'analyser le phénomène mais d'éradiquer les sources de contamination pour la santé des baigneurs », conclut Frédérique Nakache-Danglot.
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