Les ressources d’eau potabilisables se dégradent tant en termes de quantité que de qualité. Pour y faire face, les collectivités ou délégataires déploient différentes stratégies: changer de ressource, jouer sur l’interconnexion, intensifier le traitement, se tourner vers des ressources non conventionnelles…
« L'Angleterre, la Belgique et certaines régions françaises font face d’ores et déjà à un vrai problème de disponibilité de la ressource, et doivent traiter des eaux plus dégradées qu’auparavant. En France, le marché municipal en est au stade de la prise de conscience. Du fait de l’évolution du climat, les ressources disponibles en eau de bonne qualité diminuent et il va falloir traiter des eaux de qualité inférieure » prévenait dans nos colonnes, en 2020, Anne-Cécile Valentin, alors directrice générale d’Aquasource (Suez). La situation ne s’est pas améliorée depuis et les collectivités ou délégataires en charge de la production et distribution d’eau destinée à la consommation humaine (EDCH) doivent désormais faire des choix. Faut-il diluer la pollution ? Chercher de nouvelles ressources naturelles ? Potabiliser coûte que coûte ce dont on dispose ? Se tourner vers des ressources alternatives ?
Une seule certitude : il existe des solutions technologiques pour toutes les situations. Mais à quel prix économique et/ou environnemental ?
QUELLE DÉGRADATION ?
À l’évidence, la réponse à une pénurie d’eau ne sera pas la même qu’à une pollution par les pesticides ou un risque de bloom algal. Il convient donc, pour chaque opérateur, de préciser la nature de la menace avant d’envisager d’éventuelles actions correctrices. De manière générale, sur un fond de lente amélioration due en particulier aux directives européennes sur les eaux usées, la qualité des eaux brutes recommence aujourd’hui à se dégrader en France, et la quantité disponible diminue fortement, surtout en été. En cause, tout d’abord, le changement climatique, mais aussi la poursuite de pratiques délétères, en particulier agricoles (usage immodéré de produits phytosanitaires, irrigation non contrôlée) et urbanistiques (imperméabilisation des sols). « En diminuant le débit des cours d’eau, le changement climatique implique nécessairement une plus forte concentration des polluants : il met les ressources à mal en termes de quantité comme de qualité. Qui plus est, même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une dégradation, on recherche et détecte aujourd’hui des composés, comme les résidus de pesticides, dont on ne se préoccupait pas auparavant » affirme Laurent Brunet, directeur technique Eau France chez Suez.
Philippe Sauvignet, industrialisation manager chez OTV (Veolia), détaille pour sa part cinq grandes problématiques liées au changement climatique et rendant de plus en plus difficile la production d’eau potable. Toutes sont présentes, bien qu’à des degrés divers, dans les eaux de surface comme de forage. La turbidité, tout d’abord, qui subit des variations brutales du fait d’une pluviométrie perturbée et d’effets de courant. « Des rivières françaises comme la Lys (Hauts de France), la Garonne ou la Loire avaient auparavant des débits relativement stables, et une turbidité peu variable. Nous constatons désormais de plus en plus de « grands écarts », avec une turbidité bondissant rapidement de quelques UTN1 à plusieurs milliers. Même des ressources considérées comme protégées peuvent être touchées » relèvet‑il. Ainsi des prises d’eaux dans des estuaires peuvent voir leur turbidité monter de 20 à 1000 NTU en une vingtaine de minutes, à l’été 2022. En cause : la mise en suspension par les marées d’équinoxe de sédiments vaseux que les fleuves du fait d’un étiage estival très sévère, n’ont pas pu repousser au large comme d’habitude. Pour répondre à ces cas, EFS propose depuis quelques années un turbidimètre autonome le Turbiprobe 4000+ qui permet de mesurer la turbidité sur n’importe quelle source d’eau même isolée grâce à son fonctionnement autonome sur un an avec nettoyage automatique tout en effectuant des mesures toutes les 5 minutes. Il peut transmettre par radio ses résultats tous les jours pour avoir un suivi de la ressource en continu. « Ceci permet une surveillance accrue de toutes les sources d’eau potable sur ce paramètre avec un investissement réduit tant à l’achat que pour l’entretien » explique Alexandre Huchon, directeur commercial.
Autre conséquence du changement climatique : un phénomène généralisé de «brunissement» des eaux. Le taux de matière organique, mesuré par le COT, augmente tant dans les eaux de surface que les nappes, sous l’effet de la modification des cycles végétatifs et des régimes de pluies (sans compter les feux de forêts). « Cela implique une consommation accrue de coagulants et de charbon actif dans les usines de potabilisation pour éliminer ces matières organiques, qui sinon réagissent avec le chlore pour donner des sous-produits nocifs» explique Philippe Sauvignet. Certaines retenues ont ainsi vu leur taux de COT doubler en 2 décennies. Autre conséquence, évidente : la température des eaux monte. La Garonne a ainsi atteint 26°C en 2022, or une eau destinée à la consommation humaine ne doit pas dépasser 25°C. Les producteurs d’eau potable ont donc dû demander des dérogations. « La température élevée modifie de plus les cinétiques de traitement et, surtout, augmente l’activité bactérienne. Cela a un double impact en termes de désinfection et de lutte contre les métabolites de pesticides » souligne-t‑il. La question des pesticides et de leurs métabolites prend également plus d’importance avec le changement climatique.
D’une part, l’évaporation accrue augmente les concentrations
dans ce qu’il reste d’eau et, d’autre
part, la matière organique, elle-même
en augmentation, entre en compétition
avec les métabolites de pesticides lorsqu’il s’agit de s’adsorber sur du charbon
actif. Enfin, dernier problème souligné par Philippe Sauvignet, une masse
d’eau plus chaude et plus concentrée en
nutriments (azote et phosphore) est plus
facilement sujette à des blooms algaux,
lesquels deviennent donc plus fréquents
et intenses.
Delphine Marty, directrice d’exploitation Affermages et Qualité de l’eau chez
BRL, le rejoint d’ailleurs sur ce dernier
point - entre autres. « Nous détectons
aujourd’hui la présence de cyanobactéries dans l’eau que nous prélevons
dans le Rhône. Elles ne présentent pas
de caractère toxinogène mais une telle
évolution pourrait se produire, comme
cela s’est produit sur le Lez l’été dernier.
Nous suivons désormais systématiquement ce paramètre » explique-t‑elle.
En revanche, et malgré les alertes à
ce sujet, BRL assure le suivi des PFAS
(substances per- et polyfluoroalkylées)
et confirme que leur concentration est
bien au dessous des normes réglementaires au niveau de ses captages dans
le Rhône.
PERDRE DES CAPTAGES ?
Face à ce type de situation, un producteur d’eau potable dispose de plusieurs options : soit diluer l’eau problématique d’un captage avec celle(s) d’autre(s) provenance(s), éventuellement en jouant avec l’interconnexion des réseaux, soit détecter en temps réel et traiter la pollution dans son usine. En dernier recours, il lui faudra abandonner son captage pour se tourner vers d’autres ressources, naturelles ou alternatives. «Sur quelque 35000 captages en France, nous constatons une moyenne de plus de 400 abandons par an, essentiellement pour des raisons de qualité des eaux brutes» révèle Jérémy Da Prato, de l’association Amorce. Un phénomène encore minoritaire mais qui devient significatif. «Nîmes Métropole a dû abandonner le forage de Générac en raison de fortes teneurs en nitrates et pesticides. Ils nous demandent donc une alimentation complémentaire en eau du Rhône traitée» signale par exemple Delphine Marty (BRL).
«De manière générale, le risque d’abandon va augmenter car nous recherchons de plus en plus de molécules, donc nous allons trouver de plus en plus de captages non conformes» estime pour sa part Laurent Brunet (Suez). Avant d’en arriver à l’abandon pur et simple, il reste toutefois des possibilités de lutte…
INTERCONNEXION, DILUTION : « NOYER » LA POLLUTION
Sans même se lancer dans des traitements poussés pour potabiliser une eau de mauvaise qualité, les exploitants peuvent redescendre sous les seuils réglementaires en mélangeant tout simplement des eaux brutes de qualités différentes… si toutefois ils disposent de plusieurs sources. «Aujourd’hui, avec le changement climatique, nous constatons que chaque ressource est fragile en termes de quantité et de qualité, donc nous avons tendance à les multiplier: disposer de plus de captages, plus petits, avec des traitements plus simples, et les interconnecter. Et ce d’autant plus qu’en été, l’eau potable est de plus en plus en concurrence avec d’autres usages, agricoles en particulier» affirme Lionel Turpin, directeur général Exploitation chez Aqualter. «Sur les petits circuits de distribution, il est souhaitable d’avoir au moins une ressource de secours. Pour les gros pôles de distribution, il vaut mieux disposer d’une capacité de production trois fois supérieure aux besoins afin de faire face à l’éventuelle indisponibilité de l’une ou l’autre» ajoute-t‑il.
En charge de l’alimentation de Chartres Métropole, Aqualter a ainsi recherché et récemment mis en service trois nouvelles ressources pour sécuriser le réseau de distribution urbain – et régler du même coup la question des nitrates par dilution. Même type de démarche dans le Sud pour BRL. «Certains barrages sur l’Orb ne sont pas assez remplis et ne pourront pas assurer à la fois l’usage agricole et l’alimentation en eau potable du littoral audois. A la demande de collectivités menacées, nous allons sécuriser leur approvisionnement par interconnexion avec notre ouvrage Aqua Domitia» révèle ainsi Delphine Marty (BRL). Reste qu’il n’existe pas toujours de nouvelle ressource à proximité, ou de possibilité d’interconnexion avec un autre réseau. Dans ce cas, il faut s’accommoder de la ressource telle qu’elle est et renforcer le traitement.
DÉTECTER LA POLLUTION
Afin d’adapter le traitement de potabilisation à la qualité de l’eau entrante, les exploitants placent des instruments mesurant en continu la pollution soit en entrée d’usine, soit plus en amont dans des stations d’alerte. Des fournisseurs comme Anael, Aquacontrol, Aqualabo, Burkert, EFS, Endress + Hauser, Datalink Instruments, Hach Lange, Ijinus, Neroxis, nke Instrumentation, Prominent, S::can, Swan ou Xylem, entre autres, se partagent ce marché, détectant la plupart des paramètres utiles. Des sociétés comme Bionef, Microbia Environnement (et aussi Hach), commercialisent pour leur part des solutions de détection de la pollution microbiologique.
«Nous avons des stations d’alerte en amont chacune de nos prises d’eau, dans le Rhône ou dans l’Orb, mesurant des paramètres comme le pH, l’oxygène dissout, la turbidité et la température. Ainsi que quelques COTmètres. Le tout fonctionne en continu pour lancer des alertes et, le cas échéant, arrêter le pompage. Et nous avons désormais placé des biocapteurs pour détecter les cyanobactéries toxinogènes» énumère ainsi Delphine Marty (BRL).
Philippe Ménard, directeur commercial chez l’instrumentiste Hach Lange, distingue trois demandes principales. Tout d’abord la mesure des nitrates, avec des capteurs installés en entrée d’usine. «En général, plusieurs sources différentes arrivent à l’usine et l’exploitant joue sur le mélange pour diluer les nitrates s’ils sont trop élevés sur une des sources. Nous proposons notre sonde Nitratax, qui mesure directement l’absorbance UV à 190 nm, sans réactif.
Les exploitants en installent en général une sur chaque entrée et une à la sortie du mélangeur» explique-t‑il. Le syndicat des eaux de La Garde (Var) a ainsi installé trois Nitratax en entrée (pour autant de ressources) et une en sortie. La pollution organique, due par exemple à la chute des feuilles en automne, est également très suivie étant donné le risque de formation de composés délétères (chloramines) avec le chlore de désinfection.
Hach, comme beaucoup de ses concurrents, propose une sonde UV à 254 nm, appelée UVAS, qui donne indirectement le taux de matière organique. «Il faut établir une courbe de corrélation absorbance/taux de matière organique propre à chaque source. C’est en général suffisant mais, dans certains cas, des collectivités préfèrent opter pour un véritable COTmètre, plus cher, comme notre Biotector B 3500. Nous en avons vendu en Auvergne ou dans la Loire, par exemple à Sainte-Sigolène» affirme Philippe Ménard. Enfin, les collectivités exploitant des nappes côtières surveillent les intrusions d’eau de mer avec des sondes de conductivité. Les mêmes appareils, ainsi que des sondes physicochimiques (pH, conductivité, redox, oxygène dissout, HAP par fluorescence…), peuvent s’installer dans des stations d’alerte. «Dans ce cas, nous installons un transmetteur multivoies SC 1000. Nous avons par exemple créé une station d’alerte à l’aéroport de Nice, lequel potabilise luimême l’eau destinée à ses sanitaires» cite Philippe Ménard.
Swan commercialise peu ou prou les mêmes solutions. «Pour les matières organiques, nous proposons l’AMI SCA 254, une mesure dans l’UV à 254 nm. La ville de Loigné, en Mayenne, s’en est équipée. La chute des feuilles en automne, les algues vertes en été peuvent en effet augmenter le COT dans cette ressource. La mesure, avec un retour en 4-20 mA, leur permet d’adapter les doses de floculants et coagulants. Pour maintenir la chambre de mesure en état, nous proposons un module de nettoyage automatique qui envoie de l’acide chlorhydrique et de la soude à intervalles choisis» explique Laurent Oliva, chargé d’affaires Nord Est-Belgique chez Swan. La société propose également des analyseurs pour les paramètres classiques (turbidité, pH, température…). Etant donné le nombre croissant de micropolluants (résidus médicamenteux, pesticides, perturbateurs endocriniens, etc.) susceptibles de poser problème, il n’est plus possible de multiplier les sondes spécifiques. C’est pourquoi des sociétés proposent des systèmes basés sur l’observation d’organismes vivants afin de donner une image de la qualité globale de la ressource. C’est le cas de Cifec, dont le détecteur biologique de pollution TruitelTruitosem est principalement utilisé pour la surveillance des ressources d’eau potable, sur une cinquantaine de site en France.
Pour Biomae, Hydreka, Viewpoint ou Watchfrog, ces solutions, bien que conçues initialement pour la surveillance des rejets de STEU ou du milieu naturel, peuvent être déployées en entrée d’usine de potabilisation. Les industriels collaborent très régulièrement, car il s’agit d’approches complémentaires autour du traitement d’une part et de la surveillance d’autre part, confirme Laurent Brunet soulignant que le groupe Suez a dans son centre de recherche un département spécifiquement dédié aux capteurs de qualité l’eau qui permet de correctement dimensionner les traitements. Alexandre Decamps, directeur des marchés environnement chez Viewpoint Biosurveillance de l’eau est du même avis.
«La ressource peut subir des dégradations brusques, par exemple en cas de pluie, ou si une STEU en amont dysfonctionne. L’exploitant doit donc prendre une décision instantanée: arrêter de pomper, ajuster le traitement… C’est pourquoi nous installons désormais des Toxmate en amont d’usines de potabilisation, par exemple à Lunéville. Sur l’une d’elles, nous avons détecté différents pics de pollution (médicaments, phtalates, bisphénol A) qui étaient passés inaperçus avec une station d’alerte classique et les analyses réglementaires de l’ARS.
Il y a aujourd’hui une méconnaissance de ces variations de qualité» regrette-t‑il. Viewpoint a également installé un Toxmate sur un forage souterrain pour Chambéry. Microbia Environnement a développé et commercialise les kits CARLA utilisant des biocapteurs génétiques. Cet outil moléculaire, pour l’instant utilisé en laboratoire, donne en moins de trois heures l’identité génétique et le niveau d’activité cellulaire de cyanobactéries toxinogènes (algues bleues) dans un échantillon. «Nous travaillons depuis 2019 avec BRL Exploitation pour surveiller un site alimentant une usine d’eau potable. Un échantillonnage intégré est habituellement réalisé deux fois par semaine et envoyé chez nous. Nous donnons les tendances de proliférations le jour de réception de l’échantillon, d’où une forte réactivité pour les agents de BRL Exploitation en cas de soucis» explique Delphine Guillebault, directrice générale de Microbia Environnement.
Hydreka s’appuie sur la technologie de
capteurs microbiens NODE pour mesurer de manière autonome ou intégrée à
des systèmes existants, dans des délais
très courts, la Demande Biologique
en Oxygène (DBO5), les variations de
la charge organique ou encore pour détecter la présence de composés
toxiques.
L’amélioration des connaissances sur le
transfert des micropolluants dans les
eaux de surface intensifie également les
partenariats de recherche. Le Sedif et
le SIAAP ont tout récemment renouvelé
leur convention de partenariat dont un
des axes de recherche vise la surveillance à haute fréquence de la matière
organique présente dans les eaux de
surface. Le capteur Fluocopée®, développé dans la cadre de la programmation innEAUvation en partenariat avec
l’UPEC (Université Paris-Est Créatil) est
en cours de déploiement en amont de
l’agglomération parisienne sur les prises
d’eau du Sedif afin de suivre les dynamiques spatiotemporelles de la matière
organique et anticiper son impact sur
le fonctionnement des filières de production d’eau potable.
ADAPTER LE TRAITEMENT… OU CHANGER DE FILIÈRE
«Pour faire face à la dégradation de l’eau du Rhône, nous avons adapté nos traitements, en particulier installé une étape de charbon actif en poudre en continu, avec des doses importantes, du fait des pesticides. Par ailleurs nous suivons les cyanobactéries et certains nouveaux paramètres, et ajusterons les traitements en fonction» affirme Delphine Marty (BRL). Tous les producteurs d’eau potable en sont là : augmenter les doses de réactifs (coagulants, floculants) et/ ou de charbon actif pour continuer à distribuer une eau conforme. Jusqu’à quand ? Récemment, par le biais de sa filiale Stereau, Saur a installé 10 réacteurs CarboPlus® de grande envergure permettant de produire quotidiennement 150000 mètres cubes d’eau potable dans le cadre de la modernisation de l’usine de production d’Eau de Paris, située à Orly. «À Orly, l’utilisation de la technologie brevetée CarboPlus® dans la nouvelle filière de traitement ne se contente pas de transformer l’eau de la Seine en une eau potable exempte de micropolluants. Elle renforce également la flexibilité opérationnelle de l’usine, tout en réduisant considérablement la consommation d’énergie et de réactifs.
L’emploi du charbon actif micrograins régénérable garantit une performance de traitement des micropolluants de haut niveau, sans générer de déchets, contribuant ainsi de manière durable à la réduction de l’empreinte environnementale de l’usine», souligne Hugo Bardi, président de Stereau et directeur général de Saur Water Engineering. «La filière classique avec clarification, flottation, affinage sur charbon puis désinfection associée ou non à une ultrafiltration (ou des filtres à sable avec désinfection UV) va atteindre ses limites. On ne pourra pas indéfiniment augmenter les doses de réactifs ou ajouter des étapes» prévient toutefois Philippe Sauvignet (OTV). Pour lui, seules des filières séparatives poussées, autrement dit de l’osmose inverse basse pression (OIBP) ou une nanofiltration par fibres creuses, seront à terme capables de faire face à la dégradation des ressources. «Nous allons vers une électrification des filières de traitement: on passera de techniques basées sur des réactifs à des solutions sous pression demandant de l’énergie.
Des MOA commencent à nous le demander, de plus en
plus d’études et de préparations d’appels
d’offres se font en ce sens» affirme-t‑il.
Les spécialistes des membranes, comme
Chemdoc, Dow Chemicals, Elmatec,
Polymem, John Cockerill, DuPont Water
Solutions, NX Filtration ou Toray proposent d’ores et déjà des solutions pour
cet usage.
Si l’usine du Sedif, de Méry-sur-Oise
équipée de membranes de nanofiltration
depuis 1999 fait figure de précurseur,
elle est aujourd’hui rejointe par d’autres
réalisations. OTV a ainsi construit une
petite usine (150 m3
/h) entièrement
membranaire à Glenties, en Irlande.
«Ils puisent dans un lac, le Lough Anna,
aux eaux brunies par les matières organiques à cause du changement climatique. Il aurait été difficile de faire face
avec des coagulants et du charbon actif»
affirme Philippe Sauvignet.
Autre réalisation d’OTV à base de membranes : l’usine de Farys (1100 m3 /h), en Belgique, qui traite l’eau du canal Bruges-Ostende.
Ce genre de solution existe aussi à petite échelle. Aqualter a par exemple installé en Polynésie, avec son partenaire Osmosun, des petites installations à haute pression (60bars) alimentées par des panneaux solaires. «Nous allons aussi réaliser deux usines au Sénégal pour traiter une eau de surface de mauvaise qualité. On trouvera toujours de l’eau mais il faudra mettre en œuvre une certaine technicité pour la traiter» estime Lionel Turpin (Aqualter). Enfin La technologie de nanofiltration directe sur fibres creuses (dNF) constitue une avancée prometteuse pour garantir la qualité de l’eau traitée à partir de ressources dégradées, selon Rémi Duvillard, ingénieur commercial chez NX Filtration. «Les membranes dNF développée par NX Filtration sont capables de retenir un large éventail de contaminants en une seule étape de traitement, ce qui inclut la turbidité, les matières en suspension (MES), les virus, les bactéries, les matières organiques et de nombreux micropolluants comme cela a été prouvé, notamment, lors d’essais à l’échelle industrielle avec d’excellentes rétentions du métabolite du chlorothalonil R471811 et des PFAS. Elles fonctionnent à basse pression (4-6 bars), et tolèrent des eaux chargées en MES jusqu’à 300 mg/l. Elles simplifient la filière de traitement en réduisant le nombre d’étapes et en éliminant le besoin de réactifs (ni coagulant, ni séquestrant)». Sous le nom AcvaMod®, John Cockerill propose une gamme polyvalente de systèmes membranaires par osmose inverse, nanofiltration ou par ultrafiltration, s’adaptant aux débits recherchés et aux qualités d’eau entrante.
Certifiée «eau potable», la gamme AcvaMod® permet de retenir l’essentiel des sels minéraux indésirables (nitrate, sulfates, etc.) présents naturellement dans l’eau potable, ainsi que de traiter les micropolluants comme les métabolites de pesticides, les résidus médicamenteux, les PFAS etc. Conçus sur une base modulaire et compacte, dotés de systèmes automatisés de contrôle et de gestion, les skids membranaires AcvaMod® permettent de produire une eau de qualité sur mesure. Outre la mise à disposition d’unités mobiles (containerisées) ou fixes (skids installés sur dalle) d’AcvaMod®, le spécialsiet propose la mise en œuvre de filières complètes pour la production continue d’eau potable intégrant préet post-traitements selon besoin.
Polymem fournit quant à elle des unités d’OIBP, souvent containérisées (avec ou sans UF Neophil® en prétraitement) pour répondre au besoin de filières séparatives poussées. Elles sont notamment installées dans l’usine de Saint-Cloud d’Eau de Paris et sur les sites d’intervention à l’international de l’Armée Française. Très prochainement, elles équiperont les containers de traitement d’eau potable alimentés par panneaux solaires et batteries rechargeables proposés par Tergys dans les régions isolées ou sinistrées. Dans le cas d’un système multi-barrière, la lumière à large spectre émise par la technologie UV en fait un système extrêmement bien adapté au traitement de nombreux polluants, qu’il s’agisse de résidus médicamenteux ou de polluants émergents.
Bio-UV Group, Trajan
Technologies ou encore UV-Germi ont
développé entre autres une gamme
complète de systèmes de désinfection
UV pouvant être installés facilement
avant rejet au milieu naturel, ou lorsque
l’eau est réutilisée pour des besoins
variés. C’est le cas de la commune de
Tarbes de 20000 EHB qui vient d’inaugurer un système de réutilisation des
eaux usées dans la station d’épuration
exploitée par Veolia, grâce à la technologie UV-C d’UV-Gemi. Pour les mesures
des paramètres de matière organique
COTeq, DBO eq, DCOeq, Aqualabo propose la sonde StacSense dont le coefficient de lecture spectrale à 254 nm
combinée à une gestion rigoureuse de
l’allumage, permet d’offrir une dérive
très optimisée du signal.
DES RESSOURCES ALTERNATIVES ?
Face à la pure et simple pénurie, les exploitants en viendront-ils à potabiliser autre chose que de l’eau provenant du milieu naturel, à aller vers des ressources dites «alternatives»? Plusieurs voies se dessinent mais en restent actuellement au stade expérimental. Tout d’abord, la «recharge maîtrisée des aquifères» qui consiste à infiltrer dans le sol, en hiver, une eau de rivière que l’on pompera en été dans la nappe. «Le Plan Eau prévoit d’élaborer une stratégie nationale et d’éditer un guide technique. A Suez, nous sommes depuis longtemps persuadés que cette voie est sous-utilisée en France» signale Laurent Brunet (Suez). Il existe déjà des opérations de ce type.
La plus importante a été mise en place il y a plusieurs décennies par Suez, au Pecq-Croisy (Yvelines). De l’eau de Seine, décantée et filtrée sur charbon actif est infiltrée dans une douzaine d’hectares de bassins. Plus récemment, Suez a également mis en place une recharge de nappes à Hyères. On peut également citer, entre autres, le projet R’Garonne, fruit d’un partenariat entre le BRGM et Réseau31. Il s’agit dans un premier temps de recharger la nappe d’accompagnement du fleuve via le canal Saint-Martory. Autre idée, plus récente: réutiliser de l’eau usée traitée (REUT), autrement dit considérer les effluents de STEU comme des ressources. La réutilisation directe pour faire de l’eau potable n’est pour l’instant pas envisageable en France. Toutefois, la REUT pourrait indirectement contribuer à la réponse aux pénuries. Tout d’abord en fournissant de l’eau pour des usages autres, évitant ainsi que de l’eau potable soit utilisée pour, par exemple, de l’irrigation. «En Israël, le taux de REUT atteint 80%, dont 71% servent aux cultures. L’Italie et l’Espagne recyclent respectivement 8% et 14% de leurs eaux usées. Autant dire qu’avec moins de 1% de réutilisation des eaux usées, la France peut paraître très à la traîne. Si au cours des cinq prochaines années, on arrivait à passer à 10%, ce serait 15% de prélèvements en moins pour le monde agricole, soit une économie d’environ 500 millions de m3 sur les ressources en eau» avance ainsi Philippe Sauvignet (OTV).
«On en parle de plus en plus. L’idée est de donner une seconde utilisation – irrigation, arrosage d’espaces verts, etc. - à l’eau sortant des STEU, au lieu de la rejeter dans le milieu. Cela représente, indirectement, une ressource alternative pour la potabilisation» confirme Laurent Brunet (Suez). «Un exemple est le polissage des effluents en sortie de STEU par une combinaison d’un procédé de nanofiltration directe sur fibres creuses (dNF) avec un procédé d’oxydation avancée (POA). L’eau traitée par cette combinaison répond à la classe A de qualité de l’eau de récupération destinée à l’irrigation agricole et à ses exigences supplémentaires en termes de micropolluants» poursuit Rémi Duvillard (NX Filtration).
La REUT pourrait constituer une ressource alternative plus directe avec
des opérations comme le programme Jourdain de Vendée Eau, avec le soutien de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne,
le département de Vendée, la Région
des Pays de Loire (et même l’Europe via le Fonds européen de développement régional). Au lieu d’être rejetés en
mer, les effluents de la STEU des Sables
d’Olonne (ou tout au moins une partie d’entre eux) subissent un traitement
d’affinage et sont dirigés vers une zone
végétalisée en bordure de la retenue du
Jaunay. Retenue dans laquelle puise…
l’usine de potabilisation du Jaunay.
Enfin, le dessalement de l’eau de mer,
pratiqué dans certains pays méditerranéens, reste en suspens en France.
«Malgré de vrais progrès, cela reste une
technologie énergivore, à n’envisager
qu’en dernier recours. Une des conclusions du projet Jourdain est que potabiliser - indirectement- des effluents de
STEU est nettement moins onéreux»
affirme Philippe Sauvignet (OTV).
«Dessaler de l’eau de mer pour la potabiliser reste extrêmement rare en France,
sinon dans les territoires d’outremer, à
petite échelle. L’évolution des ressources,
autour du littoral méditerranéen, nous
amènera sans doute un jour à nous
reposer la question» imagine toutefois
Laurent Brunet.