Drones : de nouveaux outils pour l'analyse des eaux et l'étude des milieux
29 mars 2019Paru dans le N°420
à la page 71 ( mots)
Rédigé par : Antoine BONVOISIN
Plusieurs entreprises proposent depuis quelques années l’usage de drones pour réaliser les études sur les milieux aquatiques?: en milieu marin ou continental, pour l’analyse, la mesure ou l’observation, les drones télé-opérables, nautiques, aériens ou sous-marins, permettent d’accélérer les études et d’affiner les résultats avec une plus grande facilité de mise en œuvre et des coûts souvent attractifs. Tour d’horizon.
De moins en moins chers, de plus en plus agiles et de mieux en mieux équipés, les drones constituent des outils adaptés à la surveillance de l’environnement. Difficile d’imaginer dès le premier abord tout ce que peut apporter comme services ces petits aéronefs ou embarcations équipés d’une caméra, de sondes, de capteurs ou de caméras thermiques. Ils sont capables de survoler ou de naviguer sur toutes les zones dangereuses, polluées ou difficiles d’accès et désormais sur de grandes distances, sans risque pour l’environnement ni pour l’homme puisque sans pilote à bord.
De plus en plus sollicités par les scientifiques, les professionnels de l’environnement, les écologistes ou les associations de protection de la nature pour la surveillance de la faune, de la flore et toutes zones terrestre ou maritime, les outils développés par ADCPro, AOIP, CT2MC, Fluidion, ECA Robotics, Spyboat, Technivue, Pedon Environnement ou encore Heliceo sont désormais capables de réaliser des prises de vues aériennes en très haute définition.
ADCPro fait partie des acteurs proposant aujourd’hui ces outils d’un nouveau genre pour étudier les milieux aquatiques. « Nous proposons plusieurs gammes de drones, explique Dany Engel, gérant d’ADCPro. Nous avons à disposition des monocoques, des trimarans et des catamarans. Ces différents types de coques permettent de gagner en performance suivant le milieu où on utilise les drones. Dans le cadre d’un cours d’eau calme, avec un débit de moins de 5 mètres par seconde, ou sur une étendue d’eau, on utilisera plutôt des monocoques. Si on veut acquérir plus de performances en termes de vitesse ou d’autonomie, on va passer sur des trimarans, pour affronter des courants jusqu’à 5 mètres par seconde ».
Surveiller les milieux et effectuer des prélèvements
Les appareils proposés par ADCPro sont utilisés dans trois cas de figure distincts. Tout d’abord pour les jaugeages en rivière. Actuellement, les DREAL ou certains bureaux d'études utilisent des supports flottants non motorisés, avec du matériel ADCP embarqué, mais ces équipements nécessitent de rester aux abords des ponts pour pouvoir diriger, à l'aide d'une corde, les embarcations. Cette solution est souvent peu pratique, et entraîne des imprécisions dans les mesures, en raison des piles de ponts ou des embâcles qui perturbent parfois le courant. « L’avantage du drone est qu’il peut être piloté ou être autonome et permet de faire un jaugeage en s’affranchissant de ces contraintes » poursuit Dany Engel. « Notre technologie embarquée, le RiverSurveyor, permet de faire des mesures de débit. Nous avons deux modèles à disposition, le S5 pour des profondeurs allant jusqu’à 5 mètres, et le M9 pour des profondeurs allant jusqu’à 40 mètres. On réalise une mesure du débit par ultrasons, en utilisant l’effet Doppler ».
Le deuxième type d’usage concerne les mesures de bathymétrie, pour cartographier des fonds marins, des plans d’eau ou des rivières, notamment dans les carrières. Un bathymètre est alors embarqué sur les drones pour réaliser les analyses.
Enfin, les drones ADCPro peuvent être utilisés pour effectuer des prélèvements afin d’effectuer des analyses de l’eau. Ces analyses peuvent se faire a posteriori ou directement sur le drone si les sondes multiparamètres sont embarquées. « Actuellement, nos drones permettent de prélever des échantillons à 50 cm sous l’eau, précise Dany Engel. Et nous sommes en train de voir pour aller jusqu’à dix mètres, et faire des prélèvements sur une même colonne d’eau à différentes profondeurs. Cela devrait être opérationnel courant 2019 ».
Les coques des drones proposés par l’entreprise sont en fibres et tissu de carbone, utilisables aussi bien dans les eaux douces que les eaux marines, un usage en eau marine impliquant simplement un lavage du drone à l’eau douce après utilisation.
Récemment, ADCPro a renouvelé l’ensemble de ses drones : les monocoques et les trimarans ont été complètement revus, et vont encore bientôt évoluer. Le trimaran a notamment gagné en vitesse de pointe et en puissance lui permettant ainsi d’affronter de gros courants. Aussi, un mode de fonctionnement "autonome" a été ajouté grâce auquel le drone équipé d'un GPS, suit un parcours programmé à l'avance. Ceci, entre autres, s'avère particulièrement utile en matière de prélèvement afin de s'assurer que chaque analyse correspondra bien, dans le temps, toujours au même point géographique précis.
ADCPro propose enfin une dernière catégorie de drones pour les océans d’une taille beaucoup plus conséquente qui pèse 400 kg et peut embarquer 65 kg de matériel comme des sonars, écho-sondeurs, et bien d’autres instruments. ADCPro peut, par ailleurs, étudier et réaliser tous types de drones sur demande et sur mesure (par exemple, pour surveillance de la radioactivité).
Chez AOIP, le drone Piranha est un compromis judicieux pour explorer, préalablement à des plongeurs, les milieux subaquatiques difficiles d’accès, éloignés, protégés, hostiles ou dangereux. Par sa légèreté, son faible encombrement, sa bobine de fibre optique embarquée, ce drone se met en œuvre aisément et sans palan à partir d’une embarcation légère. Flexible par la modularité des capteurs embarqués, maniable et très précis, il peut être utilisé pour un grand nombre de domaines d’applications : bassins, canaux, écluses, structures immergées, aquaculture, recherche en mer, etc....
Cyanobactéries : évaluer les risques sanitaires
Au-delà des mesures habituelles réalisées sur l’eau, les drones peuvent être utilisés pour des usages plus spécifiques notamment comme un outil d’aide à la cartographie des macrophytes aquatiques et terrestres en rivière et plans d’eau. C’est ce que propose Minyvel Environnement, qui s’est spécialisée en plus sur la mesure et l’étude des cyanobactéries dans le milieu naturel dans le cadre de l’évaluation des risques sanitaires vis-à-vis des activités nautiques et de baignades. « Les drones nous permettent de travailler en toute sécurité sur les zones envahies par les cyanobactéries, explique Yves Le Medec, gérant de Minyvel Environnement. Ces micro-organismes sont les premières formes de vie sur Terre, à qui nous devons ces 10 % d’oxygène et la couche d’ozone pour nous protéger du rayonnement solaire. Mais leur particularité est leur capacité à produire des toxines, d’où l’intérêt de pouvoir les identifier rapidement sur la surface totale des plans d’eau de plusieurs hectares afin de connaître leur répartition. En effet, ces cyanobactéries possèdent des vacuoles à gaz qui leur permettent de flotter et de se retrouver en amas au gré des vents dans des secteurs protégés. Nous pouvons comprendre là l’intérêt pour un animateur de voile à connaître cette information dans la journée pour limiter les risques des usagers ». Équipés de différents capteurs de mesure de pigments et autres paramètres physiques et chimiques, ces drones prélèvent des échantillons d’eau qui peuvent être asservis à ces différentes mesures de qualité d’eau, et ceci dans toute la colonne d’eau.
Minyvel Environnement travaille essentiellement avec des collectivités et gestionnaires de plans d’eau, et utilise aussi un drone aérien pour mener les études de diagnostic nécessaires sur les moyens de gestion des cyanobactéries et des macrophytes afin de les cartographier et rendre utilisable les informations de terrain par les SIG des clients. Ce drone aérien est équipé de différents capteurs optiques permettant de distinguer entre-autres des pigments de chlorophylle et de phycocyanine, spécifique aux cyanobactéries.
« Nous utilisons ces drones depuis 2016, avant nous utilisions le plus souvent des bateaux ou l’ULM, précise Yves Le Medec. Les drones nous ont apporté plus de détails dans la qualité des images, et surtout une certaine rapidité de mise en œuvre ». Au-delà de l’aspect réduction des coûts, les mesures sont surtout plus précises et plus exhaustives. L’avantage de ces deux types de drones est d’apporter des informations dans des zones difficilement accessibles à l’homme (marais, vases, végétation dense, etc.) voire dangereuses pour leur toxicité.
Les méthodes développées par Minyvel Environnement ont notamment été déployées sur le lac du Der, l’un des plus grands d’Europe, et le lac de Petit-Saut, le plus grand lac de France, situé en Guyane. Dans les deux cas, ces nouveaux outils ont permis de mettre en évidence la répartition des cyanobactéries sur l’intégralité des plans d’eau. « Du point de vue de la recherche scientifique, les drones sont donc très intéressants, ajoute Yves Le Medec. Nous travaillons par exemple avec des universitaires, qui souhaitent mieux comprendre la genèse des lieux de production spécifiques des cyanobactéries mais aussi de pouvoir évaluer le développement des macrophytes dans le cadre notamment des effets de marnage en queue de retenue ou de mises en assec partielles des différentes masses d’eau ».
Réaliser des mesures précises et fiables
Fluidion est une société basée en région parisienne, qui propose aujourd’hui un drone très complet pour l’étude des milieux. Capable de mener un grand nombre d’analyses, cet appareil est adapté à de nombreux contextes d’études. « Nous souhaitons développer de nouvelles technologies permettant de faire des mesures difficiles à réaliser dans le milieu naturel ou sur l’eau potable, explique Dan Angelescu, Directeur R&D de Fluidion. Nous avons développé un certain nombre de capteurs pour le milieu naturel, notamment notre analyseur de microbiologie avec la technologie ALERT, qui permet de qualifier et quantifier les bactéries directement dans l’eau avec une précision très proche de celle d’un laboratoire. Les mesures sont précises et fiables, et cela permet par exemple de savoir si les eaux respectent les normes pour la baignade ou d’autres utilisations. Nous sommes les seuls sur le marché à proposer aujourd’hui un analyseur autonome, qui fonctionne sur batteries et peut transmettre ses données à distance ».
Par ailleurs, la technologie de prélèvement, embarquée sur le drone, a été certifiée par l’ETV, ce qui démontre sa qualité et sa capacité à être parfaitement équivalente aux technologies manuelles ou toutes autres solutions dans ce domaine.
Le drone proposé par Fluidion est un bateau télécommandé, qui peut être dirigé jusqu’à 2 kilomètres de distance, avec une transmission des données en temps réel. Une caméra est intégrée au bateau et permet d’obtenir des images en direct. Cela permet de diriger le drone avec précision en visualisant le milieu, et de faire des observations très précises de la biodiversité. La caméra peut être placée sous l’eau, pour observer notamment le phytoplancton ou les cyanobactéries. Le drone peut enfin prélever des échantillons sur le terrain pour mener des analyses.
« Notre idée est de proposer un drone qui regroupe le plus large panel de solutions pour pouvoir s’adapter à des utilisations très diverses, en facilitant le travail et en permettant de faire une cartographie des différents paramètres mesurés, poursuit Dan Angelescu. Le drone peut également être équipé de sondes multi-paramètres pour mesurer les facteurs physico-chimiques habituels (oxygène, température, etc.) mais aussi la présence d'algues et de cyanobactéries, ou bien la bathymétrie, avec toujours une transmission des données en temps réel ».
Cette solution a été présentée pour la première fois en décembre 2018, et est le fruit de deux ans et demi de recherche et développement par l’entreprise. « Les drones apportent aujourd’hui beaucoup de facilité pour réaliser des études ou des opérations qui étaient auparavant très difficiles, coûteuses, et nécessitaient beaucoup de personnes. Cela rend les études des milieux aquatiques plus faciles et plus abordables » conclut Dan Angelescu.
Hélicéo, fabricant de drones professionnels et d’outils de mobile mapping pour la mesure de précision, a développé de son côté un produit unique associant une propulsion dans l’air avec deux hélices et quatre moteurs pour l’eau. Ainsi, lors de missions où le plan d’eau est chargé d’algues ou de sédiments, la propulsion aérienne, préférable, peut être utilisée. Les moteurs aquatiques sont démontables par un astucieux système quart de tour pour le rinçage.
Adapter les technologies satellitaires
La solution HyDrones, dont les premiers stades de développement se sont faits au sein de la société toulousaine CLS (Collecte Localisation Satellites), a quant à elle tiré parti des technologies satellitaires pour réaliser et embarquer un système innovant d’altimètre léger à bord de drones aériens afin étudier les multiples paramètres physiques des surfaces hydrologiques, à commencer par le niveau de la surface de l’eau. « AvecHyDrones, nous proposons un système de télédétection embarqué sur un drone aérien. La spécificité de notre solution est de pouvoir faire des mesures de hauteur d’eau en restant en dehors du milieu, ce qui peut être très intéressant par exemple lors d’événements extrêmes tels que les inondations, car il est parfois difficile d’intervenir sur le terrain » explique Guillaume Valladeau, cofondateur de la solution HyDrones. Cette technologie permet actuellement de mesurer la hauteur de la surface de l’eau et proposera prochainement des estimations de vitesse d’écoulement, avec l’objectif de proposer à terme des mesures précises de débit. Le drone est également muni d’une caméra pour observer simultanément les surfaces inondées et tout élément contextuel d’intérêt. L’entreprise a également prototypé une solution de bathymétrie par télédétection et réfléchit actuellement à la prochaine version de ce nouvel instrument. Le drone, qui peut quant à lui voler jusqu’à une hauteur de 100 mètres, permet de ne pas perturber l’écosystème observé. « Nous nous sommes focalisés en premier lieu sur la qualité des mesures réalisées, en complément des systèmes existants, pour le suivi des systèmes hydrologiques. Nous proposons ainsi un service de mesures continues des niveaux de surface de l’eau avec une précision centimétrique », complète Guillaume Valladeau. Cette solution est la première en son genre. De par son poids inférieur à 1 kg et sa compacité, cette solution est embarquable sur tout type de drone. De plus, le système HyDrones s’affranchissant totalement de la nativité du drone, celui-ci peut également être positionné en station fixe afin de permettre une mesure locale des objets hydrologiques, garantissant ainsi une mesure temps réel des hauteurs d’eau et donc un produit d’aide à la décision.
En plein essor, les drones ne cessent de gagner en précision, en autonomie, en rapidité et en légèreté. Les progrès liés à la miniaturisation leur ouvrent de nouveaux accès même s’ils s’intègrent le plus souvent dans des activités existantes. De manière générale, leur apport repose sur une combinaison entre une sécurité accrue pour les personnels, une meilleure précision pour les mesures, une augmentation de leur fréquence ainsi qu’une baisse des coûts. Les utilisateurs finaux, qu’ils soient exploitants, aménageurs ou agents de l’État suivent de près les évolutions des capteurs, des porteurs, de la réglementation et des outils d’exploitation.
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