Dans le domaine de l’eau, en particulier l’eau potable, les réseaux intelligents deviennent une réalité. Les composants en sont connus : des capteurs, un support de communication, des capacités de traitement des données recueillies, le tout autant que possible en temps réel. Toutes ces briques existent aujourd’hui sur le marché, l’enjeu étant de les faire fonctionner ensemble. Reste surtout aux exploitants de réseaux à déterminer leurs besoins : l’intelligence pour quoi faire ?
Tout cela suppose évidemment un canal de transmission des données. « Cela dépend des situations locales, mais dès lors qu'un téléphone portable passe dans un secteur, la télégestion peut contribuer à rendre un réseau intelligent, explique Benoît Quinquenel chez Lacroix Sofrel. Pour les zones d'ombre, il existe d'ailleurs d'autres solutions, basées sur la radio propriétaire, par exemple. Les infrastructures sont toutefois de plus en plus ouvertes, tournées vers Internet, ce qui permet de communiquer en permanence, donc de gagner en réactivité. Les réseaux deviennent “tout IP”, c'est la révolution du moment ».
La détection de fuites : un souci d’actualité
La détection “intelligente” de fuite peut se réaliser par plusieurs approches.
Pour les canalisations de transport de gros diamètres (Feeders de plus de 600 mm), que l'on ne peut pas équiper de multiples loggers classiques, Gutermann propose un hydrophone à poste fixe pourvu de la fonction corrélation quotidienne, une première pour ce type d'appareils. Le Hiscan, qui peut s'intégrer à une solution de type Zonescan, est équipé d'un panneau solaire pour l'énergie. Il exploite la propagation du son dans l'eau pour capter des bruits jusqu'à 800 mètres, quel que soit le matériau de la conduite. Il peut donc se placer sur les vannes situées à l'extrémité de chaque chambre de conduite. Depuis début 2018, le Grand Lyon est en phase de déploiement de cette solution sur des conduites en fonte de 600 mm.
« Nous avons fait le choix de ne pas utiliser la corrélation fixe mais de proposer la sectorisation acoustique » affirme pour sa part Maxime Kieffer chez Sewerin, qui développe des loggers de bruit communicants. Pourquoi ? « Nous posons un capteur tous les 400 mètres au lieu d'un tous les 100 à 150 mètres pour la corrélation. De plus, nos capteurs n'envoient qu'une information de fréquence triée - c'est là que réside leur intelligence propre - et non des fichiers son. D'où de moindres besoins en bande passante et une consommation énergétique minimale, d'autant qu'ils n'ont pas à faire de corrélation. Nous pouvons ainsi garantir le fonctionnement sans changement de pile pendant plusieurs années. Et comme la corrélation fixe ne fait gagner que peu de temps sur chaque recherche de fuite par rapport à notre solution, et pour un investissement plusieurs fois supérieur, nos clients font vite le calcul… » Résultat, la firme a installé en France près de 20.000 loggers SePem de différentes générations depuis 2004.
En général, les réseaux sont équipés de loggers communicant par GSM, de type Ortomat chez VonRoll Hydro, HydroCorr chez SebaKMT ou SePem 150 chez Sewerin, auquel va bientôt succéder le SePem 300. Mais Sewerin propose aussi le SePem 200, muni d'un câble sur lequel peut s'adapter n'importe quel module radio, ce qui permet d'utiliser des systèmes radio propriétaires comme Suez Smart Solutions ou Homerider opéré par Birdz si l'exploitant du réseau en dispose. Quel que soit le mode de communication, l'information remonte vers le logiciel Sewerin implanté dans le serveur du client, utilisable sous Windows XP et Vista. « Certains grands comptes, comme par exemple Veolia, utilisent leur propre logiciel, souvent couplé à un SIG, alors que notre logiciel maison utilise plutôt des interfaces de type Google maps ou Bing maps », explique Maxime Kieffer.
Le SEDIF a ainsi posé plus de 1.000 loggers de bruit Sewerin en banlieue parisienne. La communauté urbaine du Grand Poitiers a également opté pour cette solution, avec l'aide financière et technique de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne. « Avec la sectorisation classique de nos 1.200 kilomètres de tuyaux, nous obtenions des résultats juste corrects en termes de rendement du réseau. Entre 2016 et 2017, nous avons installé 600 capteurs Sewerin… et le rendement a bondi de 78 % à 88 %. Nous prélevons aujourd'hui environ 10 % d'eau en moins (soit un million de m³ économisés chaque année) dans la ressource » se félicite Laurent Lucaud, vice président du Grand Poitiers en charge de l'eau et de l'assainissement. François Vacossin, directeur technique de la régie des eaux, précise les choix : « Suez opérait déjà un réseau radio avec les bailleurs sociaux. Sewerin s'est donc associé avec eux pour fournir des loggers radio compatibles avec le réseau ON'Connect, et envoyant les données dans le logiciel Aquadvanced de Suez. Celui-ci est implanté dans le serveur d'Ondeo (Suez) auquel nous nous connectons grâce à un lien extranet. Tous les matins, notre agent allume son ordinateur et voit immédiatement si un capteur du réseau est passé au rouge, indication d'une fuite. C'est très motivant pour nos équipes qui interviennent à coup sûr et peuvent voir le résultat de leur action ».
Chez VonRoll hydro, l’intelligence numérique repose sur le concept d’« Internet Des Wassers » (IDW) qui utilise une plateforme de supervision des infrastructures des réseaux d’eaux appelée Hydroport, permettant, via internet, de simplifier et sécuriser l’utilisation des objets connectés installés sur ceux-ci, y compris ses propres équipements. « Grâce à l’IDW, tous les services des eaux peuvent déployer quasi-instantanément un réseau d’objets connectés pour la surveillance des fuites sans besoin d’investissement lourd en infrastructure », explique Alain Siozard, Président-Directeur Général de VonRoll hydro France. Ce concept peut être testé grâce au déploiement du “Projet Pilote”, une façon simple et rapide de déployer sur son propre réseau une solution de surveillance des fuites d’eau. Concrètement sur le terrain, avec la mise en place de ce projet pilote IDW, VonRoll hydro s’engage à fournir, installer et paramétrer une dizaine équipements de recherche de fuite Ortomat-MTC O3G. Ceux-ci sont ensuite reliés à l’Hydroport, la plateforme web qui permet d’être alerté de toute anomalie sur la zone couverte, aussi bien des fuites que des ouvertures d’organes de réseaux (poteau/bouche incendie, vanne, etc…). L’utilisateur sera ainsi formé et bénéficiera d’un suivi personnalisé par un expert technique. « Après 2 semaines d’utilisation, j’effectue une prestation de recherche de fuites et remet un bilan complet indiquant toutes les fuites détectées », explique Maxime Hodemon, expert recherche de fuite et chargé de mission IDW. VonRoll hydro va même plus loin en facilitant l’accès à ce projet innovant avec le remboursement sous conditions des frais de mise en place.
Le compteur apprend à communiquer
Qu'il s'agisse de compteurs mécaniques classiques (ALTAIR) ou de compteurs statiques à ultrasons (HYDRUS), les produits développés par Diehl Metering communiquent par radio, en 868 MHz, grâce aux émetteurs et centrales de relevé IZAR. Les centrales peuvent envoyer les données vers la télégestion par GPRS/UMTS ou réseau LAN. Là, le logiciel IZAR@NET assure le traitement : sauvegarde dans une base de données Oracle SQL, présentation, importation/exportation… Les briques logicielles de Diehl Metering peuvent évidemment s'intégrer dans des plateformes plus globales.
Moyennant quoi des villes comme Bourges (38.000 compteurs), Reims ou Rouen utilisent cette solution sur leurs réseaux. Belfort a préféré une version drive-by : les récepteurs radio sont installés sur les bennes à ordures de la ville qui effectuent ainsi automatiquement la relève des compteurs lors de leur tournée.
Les données parviennent ensuite au serveur par GSM, via une carte SIM.
Sensus France a développé de son côté un portail de centralisation des données de relève des compteurs pour permettre aux collectivités de bénéficier d’une mise à disposition des données utilisateurs via un outil simple. L’application, en mode SaaS, ne nécessite aucune installation sur un ordinateur et permet aux collectivités d’accéder à un espace en ligne sécurisé qui recense l’ensemble des données issues des relèves effectuées sur son parc de compteurs, quel que soit le mode de relève (manuel, à distance, télérelève), et quelle que soit la marque du compteur (si ce dernier est équipé de module de communication Sensus).
Surveiller en permanence l'état réseau
Si l’instrumentation connectée© selon Ijinus est déjà 3G et SIGFOX ready depuis quelques années, la technologie NB-IoT (Narrowband-IoT) vient d’être industrialisée dans les loggers Ijinus et ses premières installations sur le terrain sont déjà programmées. En pratique, le NarrowBand-IoT devrait offrir, en plus de la réduction de consommation d’énergie du logger, un avantage certain au niveau des coûts face aux technologies concurrentes en raison d’un vaste écosystème de fournisseurs.
Leader sur le marché des loggers, Lacroix Sofrel propose sa désormais classique gamme LX, un ensemble de data loggers IoT pour la télérelève de compteurs, la sectorisation et la gestion dynamique des pressions des réseaux d’eau potable, auxquels il faut rajouter la détection de surverses, le pilotage des capteurs physico-chimiques et de préleveurs, dans le cadre de l’autosurveillance des réseaux d’eaux usées. Autonomes en énergie, robustes et étanches (IP68) et communicants en 2G-3G pour une fiabilité maximale des données transmises, ils assurent eux-mêmes la première étape du traitement des informations (calcul des débits moyens, de nuit, archivage, détection de seuils, contrôle des fréquences de mesure).
Commercialisé depuis 2017, le poste local de télégestion S4W, quant à lui, surveille et gère à distance tous les ouvrages du cycle de l’eau. Il automatise le pompage, acquiert l’ensemble des capteurs de l’installation, alerte sur dépassement de seuils ou défauts de fonctionnement, voire pour les stations plus importantes, s’interface avec les automates et envoie l’ensemble des données horodatées vers la supervision (ou des terminaux mobiles). S4W télégère les réseaux d’eau par son modem 2G/3G ou par ADSL. « C’est une solution tout IP connectée en permanence, souligne Benoît Quinquenel chez Lacroix Sofrel. Aujourd’hui, le faible coût des abonnements permet de communiquer avec ses installations en temps réel. L’immédiateté des transmissions permet à l’exploitant d’avoir une visualisation plus fine et de prendre des décisions à la fois pertinentes et réactives. Évidemment, tout réseau connecté doit se protéger contre les cyber-attaques, le S4W accompagné de son écosystème (S4-Manager pour la gestion du réseau, SG4000 qui définit un tunnel VPN pour les postes locaux, S4 keys pour la certification des équipements et des personnes accédant au réseau…) offrent un très haut niveau de sécurité des réseaux d’eau ».
Chez Aqualabo, c’est le SmartLOG, un datalogger entièrement paramétrable à distance conçu pour résister à l’environnement particulièrement sévère des regards susceptibles d’être inondés, qui s’adapte aux réseaux d’eau potable comme aux réseaux d’eaux usées. Son mode de communication SMS ou GPRS permet la transmission, en temps réel, d’une masse de données très importantes pour un coût de communication réduit.
L’intelligence numérique des réseaux d’eau passe également par la densification des points de collecte de données. Pour ce faire, les opérateurs instrumentent leur réseau en compteurs d’eau afin de mieux contrôler les consommations, mais aussi détecter et localiser les fuites. La qualité de l’eau fait aussi partie des données importantes à surveiller. « Dans ce domaine, les réseaux LPWAN ont apporté de nombreuses possibilités en permettant par exemple de connecter des capteurs autonomes en énergie ou sur batterie, estime Grégory Guiheneuf chez Factory Systèmes. Nous avons ainsi travaillé avec Actility pour proposer une solution de réseau privé LoRaWAN avec un cœur de réseau centralisé permettant de gérer en un point unique l’administration de toutes les antennes LoRaWAN ainsi que tous les objets sur le réseau. Cette solution industrielle innovante permet de gérer à moindre coût l’ensemble des points de collecte et de construire une architecture sécurisée entre les objets et les applications SCADA ». Galium IoT Hub, la solution développée par Factory Systèmes, est bien adaptée aux besoins des exploitants privés ou publics. Elle leur confère une totale indépendance avec les opérateurs de réseaux et leur garanti une bonne connectivité, en tous lieux. Galium IoT Hub a aussi été pensé pour s’intégrer très rapidement avec la solution de SCADA Wonderware. Elle intègre également de multiples ouvertures en termes de connectivité avec des interfaces MQTT, Modbus ou encore JSON.
Supervision, SIG et autres outils centraux : “comprendre” et exploiter les données
Point d'arrivée de toutes les données issues des instruments placés sur le réseau, les outils de supervision développés par Arc Informatique, Areal, Codra, COPA-DATA ou IT Mation relèvent par définition du traitement de l'information. Dès lors, à quoi peut bien correspondre l'émergence de “réseaux intelligents” dans ce domaine ? Arnaud Judes, directeur commercial chez Areal, suggère une réponse : « il ne suffit pas d'acquérir puis présenter les données brutes, il faut les analyser pour en tirer des indicateurs de fonctionnement ou de performance parlants pour l'exploitant. En tant qu'éditeurs de logiciels de supervision dédiés à des métiers déterminés, c'est là que nous mettons l'intelligence ». Avec une dimension particulière aux métiers de l'eau : « tous les superviseurs savent faire des calculs sur des données en temps réel mais, dans le domaine de l'eau, il faut aussi savoir exploiter des données historisées, et qui proviennent de sources différentes ».
Topkapi, le logiciel d'Areal, qui fonctionne en environnement Windows, se veut une solution complète et facile d'utilisation. « L'exploitant n'est pas obligé d'utiliser un logiciel pour le traitement des données, un autre pour le reporting, un frontal de communication, etc », souligne Arnaud Judes. En constante évolution, Topkapi comprend désormais un client HTML5 permettant d'accéder, en prenant en compte la cybersécurité, aux données de n'importe où, à partir de n'importe quel équipement (smartphone, tablette, PC…) pourvu qu'il soit connecté à internet. Plus besoin d'installer des logiciels particuliers sur les postes de consultation : le navigateur Web suffit.
« L'enjeu, pour nous, est l'ouverture du superviseur pour qu'il puisse s'interfacer avec d'autres applications métier présentes chez le client, qui iront plus loin dans l'analyse, le traitement, voire la reconstruction des données », ajoute Arnaud Judes. Et de fait, les superviseurs ne constituent qu'une des briques d'un centre de gestion de réseau “intelligent”.
Et parmi ces briques, il y a bien souvent un système d'information géographique (SIG). Le développement de solutions dédiées à l’eau et l’assainissement telles que celles proposées par Geomod (distributeur des solutions développées par Innovyze), GISmartware, DHI, Geosoft ou Carl Software, permet d’exploiter de façon cohérente et efficace la multitude de données recueillies en permanence sur les réseaux (Voir EIN n° 405). « Le SIG joue un rôle central, fédérateur : il intègre les données provenant d'autres systèmes d'information pour en tirer des cartes intelligentes, des rapports intelligents, etc », explique Thierry de Tombeur, Business Manager France chez 1Spatial, qui édite Elyx Aqua, un SIG destiné aux réseaux d'eau (potable et assainissement). Emilien Debaecke, responsable géomatique de Noreade – un syndicat regroupant 700 communes dans 4 départements du Nord de la France – voit pour sa part dans le SIG la “première marche” vers un réseau intelligent. « Le SIG fournit une représentation virtuelle du patrimoine, les autres outils nous donnent la mémoire des actions et des états des éléments de ce patrimoine », explique-t-il. « Nos clients utilisent le plus souvent des SCADA, et demandent au SIG d'échanger les informations avec lui. Cela permet également au superviseur d'afficher une vraie carte en temps réel », ajoute Jérôme Boncompain, Consultant Avant-ventes chez 1Spatial. En fait, le SIG peut être soit placé dans le serveur du client – un grand opérateur de l'eau ou une collectivité, qui peut alors compiler des réseaux différents (eau, électricité, transports, ...) dans un même SIG – soit hébergé par le fournisseur du SIG ou d'un prestataire spécialisé dans l'hébergement. Peu importe, tant que le système de supervision dispose au moins d'une passerelle vers lui.
Elyx Aqua est désormais portable sur un environnement de type web compatible avec toutes les plateformes courantes (Windows, Androïd, IOS), donc accessible avec un smartphone, une tablette, etc. « Les agents de terrain partent avec la base de données et l'application, connectée ou non. Arrivés sur place, ils peuvent savoir exactement quelle vanne manipuler pour couper un tronçon, par exemple », explique Thierry de Tombeur. Une expérience qui sera peut-être encore enrichie dans l'avenir puisque 1Spatial collabore à l'élaboration d'un prototype de réalité augmentée. L'utilisateur positionné dans la rue pourra alors voir, en 3D, la configuration du réseau sous ses pieds. Pour la plupart des acteurs, le SIG est ainsi devenu un outil indispensable. François Vacossin, responsable technique de la régie des eaux du Grand Poitiers, précise ainsi que sa communauté urbaine « utilise un SIG multi-usages : eau, cadastre, électricité… En ce qui concerne le réseau d'eau, il nous donne une connaissance maximale de chaque canalisation (date de pose, matériau, diamètre…) de manière à optimiser le renouvellement. C'est essentiel dans une ville ancienne comme Poitiers, où chaque fouille peut mettre à jour des vestiges archéologiques… ».
Reste que le SIG n'est pas la seule brique nécessaire à un réseau intelligent. Emilien Debaecke, explique en particulier que sa régie dispose d'outils comme un SIG, une supervision mais aussi de GMAO (gestion de la maintenance assistée par ordinateur), de capacités de modélisation pour faire vivre un réseau virtuel et de Business intelligence (pour historiser les données du réseau). « L'état de maturité d'un réseau intelligent se mesurera, entre autres, à sa capacité à faire discuter ces blocs entre eux, à leur interopérabilité », estime-t-il. Même si « les performances du SCADA et du système de communication restent au cœur d'un réseau intelligent », précise-t-il aussitôt.