Radiorelève et télérelève, quels freins vers le smart metering ?
31 mars 2021Paru dans le N°440
à la page 90 ( mots)
Rédigé par : Jacques-olivier BARUCH
Les techniques de relève des compteurs d’eau se modifient très vite. Malgré les avantages en transmission de données, les technologies IoT souffrent de la profusion de standards, sans qu’on sache encore lequel sera pérenne. Comment choisir la technologie la plus adaptée?
Il y a 21 millions de compteurs d’eau en France. 5 millions appartiennent aux 4.000 services municipaux qui les gèrent, les autres sont la propriété de groupes privés, comme Veolia, Suez ou Saur.
Chacun de ces compteurs doit financer les infrastructures et servir tant à vérifier le bon fonctionnement du réseau et la quantité d’eau perdue lors des fuites inévitables, qu’à assurer la collecte des données et la facturation de l’usager au moins une fois par an. Un relevé mal effectué impacte le chiffre d’affaires des opérateurs et donc la facture d’eau des clients. « Auparavant, le relevé se faisait manuellement, rappelle Pierre-Yves Senghor, fondateur de Direxiot, une société spécialisée dans le télérelevé des compteurs d'eau avec l'IoT. Un agent entrait chez l’abonné, lisait l’index et le relevait, ce qui était source d’erreur, long et onéreux ».
La communication au cœur des préoccupations
Dès les années 2000 sont apparus les compteurs d’eau communicants. C’est le début du smart metering en mode radio-relevé (AMR). Un module radio est clipsé sur le compteur pour le rendre communicant. L’agent n’a plus qu’à passer à proximité en voiture (drive-by) ou à pied (walk-by) pour le relever à l’aide d’un terminal portable. Le relevé d’un compteur ne coûte alors que quelques centimes, alors qu’il est estimé entre 4 et 8 € pour un relevé manuel. Le coût d'un module radio, moins de 40€, est ainsi amorti en 7 ans environ. « Comme la durée de vie d’un compteur est de 10 à 15 ans, le gain pour le service de l’eau est patent, poursuit Pierre-Yves Senghor. De plus, on transforme ainsi des Opex (le coût salarial) en Capex (investissement sur les nouveaux compteurs). Pour cette raison, le monde des régies a très vite adopté ce principe ». Selon Pascal Perrière, directeur commercial chez Diehl Metering, « le changement n’est pas évident dans le monde de l’eau. Il faut bien faire attention à remplacer les compteurs par secteurs entiers et pas uniquement les compteurs qui sont en bout de course. Cela demande un investissement et donc d’initier une réflexion approfondie avant toute décision ».
L’impact de la fin du RTC
Surtout que la fin du RTC (Réseau Téléphonique Commuté) programmée entre 2023 et 2030, annoncée par Orange, oblige les régies à modifier leur communication entre les compteurs et les automates de la supervision. « Prenons l’exemple d’une régie des eaux, aujourd’hui, l’ensemble de ses compteurs sont interrogés à distance par un poste de supervision équipé d’un modem RTC. Pour relever leurs données, chacun doit être appelé l’un après l’autre, c’est ce qu’on appelle l’action de “pooling”. Cette procédure prend un temps conséquent et impose des limitations techniques et économiques (facturation en voix à la minute par exemple) », écrit la société Matooma, en proposant l’installation de cartes Sim multi-opérateurs comme le fait Lacroix-Sofrel avec son S4W.
L’équipement propose des tests pour choisir le meilleur opérateur (niveau de signal, latence du réseau, pourcentage de succès de transmission, etc.) et en cas de perte de l’ADSL, le S4W bascule automatiquement les communications sur l’interface 4G afin d’assurer la continuité de transmission de l’information. Le choix est aussi gagnant pour faciliter la gestion du parc d’équipements. « Le passage au réseau cellulaire avec une SIM M2M multi-opérateur couplée à un APN privé, permettra un accès à distance en temps réel, une sécurisation efficace du flux de données échangées, une réduction des coûts de communication par la mise en place d’une facturation flexible correspondant à l’usage et au volume de data, une simplification du système de collecte de données grâce à une supervision simplifiée, et un gain de temps considérable en termes d’accès aux équipements », rappelle la société Matooma. Mais dans le monde de l’eau, seuls les gros équipements comme les postes de supervision, les automates des châteaux d’eau ou les pompes communiquaient en RTC. Tout n’est pas à modifier.
La télérelève est bien mise en place
La télérelève est l’autre volet du smart metering (AMI). Les compteurs d’eau communicants, connectés à une infrastructure télécom déployée localement, sont relevés automatiquement par radio, au moins une fois par jour. Les grands fabricants de compteurs (Brunata Zenner, Diehl Metering, Honeywell pour Elster, Itron, Kamstrup, ou encore Sensus) et les sociétés spécialisées en informatique embarquée comme Dioptase, HMS (avec sa marque eWON), Nogema Technology ou Ypresia ont investi en R&D pour développer leurs technologies AMI et incité les régies à investir dans des réseaux privés dédiés au télérelevé des compteurs d’eau. Chacun a sa technologie, souvent propriétaire, et utilisant des bandes de fréquences radio différentes. Itron avait le protocole Radian en 434 et 868 MHz, Diehl avait Izar, basé sur le standard WMbus, Elster l'ancien protocole Coronis qui tend à disparaître au profit de l’OMS WmBUS. Sensus, le protocole de communication SensusRF qui repose aussi sur l'OMS wM-Bus. Veolia avec Birdz, en 868 Mhz et Suez avec Wize en 169 MHz, ont comme Saur, qui a opté pour un système normé, développé leur propre technologie. Au lieu d’une relève par an, on a eu ainsi accès à un relevé quotidien et une surveillance 24h/24 du compteur.
Nogema Ingénierie a fait le choix de la télérelève multiprotocole. Celle-ci permet de récupérer les index et alarmes des compteurs sur les réseaux LoRa, Sigfox et NB-IoT et offre aux collectivités travaillant en régie la possibilité de disposer de leurs propres systèmes d’information mis à jour quotidiennement, sans être obligé de mettre en place un réseau radio privé fixe représentant un investissement très lourd. Brunata Zenner recourt au protocole de communication LoRaWAN® pour intégrer ses compteurs connectés dans les Smart Buildings et Smart Cities. Idem pour Veolia avec Birdz qui a engagé, depuis plusieurs années, un virage vers les réseaux IoT interopérables, notamment LoRaWAN & Sigfox.
Pour les services de l’eau, c’est la possibilité de savoir en continu s’il y a des fuites sur le réseau de distribution ou chez l’abonné. Rappelons qu’en moyenne, en France, le rendement du réseau est de 80 %, mais dans certains cas, il n’est que de 60 % voire moins. Cela fait beaucoup de pertes dans le réseau. Les agences de l’eau pénalisent les services qui ont trop de pertes et incitent à s’équiper en compteurs communicants pour identifier rapidement les fuites. Mais installer un réseau fixe local dédié au télérelevé et investir dans la technologie propriétaire d’un fabricant est une solution onéreuse. Au moins jusqu’à présent.
Émergence de l’IIoT
Le dernier virage technologique pour le smart metering est arrivé au milieu des années 2010 avec l’émergence de l’IoT (Internet of Things) et sa déclinaison pour les entreprises, l’IIoT (Industrial Internet of Things). Aujourd’hui le prix des puces a baissé, les données peuvent être stockées dans le Cloud, un nouveau réseau de 5G émerge et sont apparus de nouveaux standards de communication spécifiques pour l’IoT comme LoRa et Sigfox. Orange et Bouygues ont chacun déployé un réseau public avec des antennes LoraWan couvrant toute la France et SigFox a déployé son propre réseau dédié à l’IoT. « Les régies des eaux se sont donc retrouvées dans un monde merveilleux dans lequel elles n’ont pas forcément besoin de déployer leurs propres réseaux fixe privé, analyse Pierre-Yves Senghor. Elles n’ont pas besoin non plus de choisir entre télérelevé et radiorelevé, puisque les nouveaux compteurs communicants hybrides font les deux ». Mais les petites régies, qui n’ont que peu de compteurs à relever, ne veulent pas s’équiper de réseau privé. Elles doivent alors prendre des abonnements chez les opérateurs de téléphonie, ce qu’elles rechignent à faire. Autre réticence de certains fabricants, « De plus, les réseaux SigFox et LoRA restent avec des bandes passantes limitées », remarque Ludovic Pertuisel, responsable produits poste local chez Lacroix-Sofrel, qui est prudent et propose son système S4W avec communication ADSL ou 4G. « Pour la 5G, nous attendons de voir », ajoute Ludovic Pertuisel. Contrairement à Diehl, Lacroix-Sofrel n’a pas investi les technologies dites LPWan (Low Power Wide Area Network) car, selon elle, la bande passante est trop faible pour les postes locaux. Il s’agit des protocoles IoT que sont LoRaWan, Sigfox ou NB-IoT (Narrowband IoT), que Diehl explore. « On ne sait pas encore quel protocole va prendre le pas sur les autres, reconnaît Pascal Perrière. LoRaWan, d’origine française, est américaine, alors que NB-IoT est chinoise et poussée par Huawei. Nos essais ont montré que NB-IoT consommait plus d’énergie que LoRaWan. On peut s’interroger sur son utilisation pour le comptage qui ne dispose que d’une batterie ».
Au fur et à mesure du développement de l’IoT, les anciennes technologies de radiorelève sont donc abandonnées. Certains comme Brunata Zenner se sont concentrés sur la technologie IoT LoraWan, alors que d’autres, comme Diehl, diversifient leur offre. « Nous sommes dans plusieurs alliances, déclare Pascal Perrière. Nous sommes dans Wize, initié par GRDF et Suez, et aussi dans Mioty, qui sont deux protocoles IOT industriels plus orientés mesure, donc plus adaptés au monde de la télérelève ». De plus, les technologies LoRaWan et Sigfox ne permettent de transmettre que peu de données comparées à la 4G. Ces réseaux généralistes, qui transmettent aussi bien des données de parking, de lumières ou de compteurs, seront peut-être saturés lorsqu’ils accueilleront des millions d’objets connectés. Alors que choisir ? « Il faut tout laisser ouvert, mais oser prendre des risques mesurés », conseille Pascal Perrière.
Croiser les données
Au-delà des compteurs, la tendance consiste donc à proposer d’intégrer tout type de capteurs communicant, gérer les données collectées et croiser des informations pour permettre d'orienter les interventions et les investissements nécessaires.
Chez Itron, la gamme de compteurs d’eau intelligents repose sur le compteur statique Intelis Water, le logger cellulaire Watermind et la série des modules universels Cyble, dont le dernier Cyble 5 avec support multi-protocoles IoT. Equipé de Cyble 5, le compteur mécanique devient "smart" communicant et transmet un ensemble de données métier pour détecter les fuites, les anomalies de consommation, de débit ou même de température. Toutes ces données sont accessibles à la fois par lecture en radiorelève (en mode “walk-by” ou “drive-by”) ou par télérelève via des réseaux publics dédiés à l’internet des objets (LoRaWAN ou Sigfox).
En intégrant la détection acoustique des fuites, le flowIQ® 2200 de Kamstrup aide à détecter les fuites dans les branchements de service et les réseaux de distribution. Le compteur surveille les courbes de bruit, donnant ainsi une meilleure idée de l’état du réseau en permettant d’identifier les tronçons à haut risque.
De son côté, après avoir développé des produits liés aux technologies LPWAN, Maddalena Spa propose une solution "cellular" NB-IoT dédiée au comptage d'eau, afin de pouvoir répondre aux différents besoins du marché et des différentes applications.
Le module compact ArrowWAN NB-IoT de type “cellular” proposé par Maddalena garantit une transmission bidirectionnelle à longue portée dans tous les contextes et est compatible avec les cartes SIM des principaux opérateurs de réseau mobile. Equipé d’un capteur de comptage à impulsions inductif et d’une alimentation à pile de longue durée, il permet de transmettre en plus des données de mesure sur l’eau de nombreuses autres informations comme les indices, les historiques et les alarmes. L’installation et le plombage sont effectués directement sur le compteur et un couvercle permet la lecture du totalisateur et des inscriptions présentes sur le cadran. La procédure d’activation et de configuration est effectuée à travers l’interface locale NFC et l’application Android ou OTA correspondante.
Enfin pour les petites-moyennes collectivités, les compteurs statiques iPERL de Sensus, couplés à l’application H2Olmes offrent désormais des solutions complètes de mesure et d’analyse des données des réseaux. « En croisant performance métrologique et data, les nouvelles fonctionnalités d’H2Olmes, 100 % web, constituent des outils d’aide à la décision puissants pour gérer les infrastructures en temps réel et les dimensionner au plus près des besoins des usagers » explique Sensus. L’application, qui s’adresse principalement aux régies disposant d’un parc de 10 à 10.000 compteurs, recense ainsi l’ensemble des données issues des relèves effectuées sur le parc de compteurs, quel que soit le mode de relève (manuel, à distance, télérelève), et quelle que soit la technologie du compteur (volumétrique ou statique). La cartographie proposée, permet par exemple de mettre en évidence les différentes alarmes et dérives de consommation sur chacun des points de comptage pour intervenir de manière ciblée et plus efficace. Des indicateurs de tendance, des séries de données calculées a posteriori par un algorithme permettent, quant à eux, d’analyser de manière prédictive les consommations d’un compteur pour identifier des dérives de consommation (compteurs en perte de rendements). Enfin, un moteur de recherche avec possibilité de tri des compteurs (taille, gamme, …), ou encore de tableau de bord des parcs de compteurs et des alarmes instantanées de la consommation permet de dispenser des conseils et de transformer ainsi la relation des releveurs avec les usagers.
Des aides des agences de l’Eau
« Le premier pas vers un réseau intelligent est le compteur communiquant. En radio ou télérelevé, le smart metering donne la visibilité nécessaire aux régies pour améliorer leur rendement et réduire leur impact environnemental, tout en optimisant leurs cycles de relève d’index et de facturation », souligne Vishal Mungra, Senior Manager of Product Management Communications at Itron. Les agences de l’Eau aident les régies à s’équiper en réseau intelligent, en premier lieu pour gérer la ressource en eau en évitant les fuites. En novembre dernier l’agence Seine-Normandie a inclus cette aide dans son appel à projet (axe 2 : les réseaux d’eau intelligents ; axe 4 : le numérique au service de l’aide à la décision et au partage de l’information en proposant jusqu’à 80 % de financement. Les dossiers sont à remettre avant le 30 avril 2021 à la direction territoriale de l’agence à laquelle vous appartenez.
Parmi les critères retenus on note l’efficacité environnementale dont fait partie l’amélioration du rendement) et base le niveau de réponse aux enjeux environnementaux du territoire notamment sur le fait de contribuer à la baisse de la pression de prélèvement sur les territoires à enjeu. Les autres critères concernent le caractère innovant du projet, l’exemplarité et le caractère reproductible notamment sur d’autres territoires du bassin, et bien sûr la faisabilité technique. Autant de critères que satisfait le smart metering. Le 30 avril 2021 est aussi la limite de dépôt des projets à l’Agence de l’eau Adour-Garonne dans son “plan de mesures incitatives pour l’eau - Renouvellement des canalisations d’eau potable” visant à dynamiser les investissements de réduction des fuites d’eau sur les réseaux d’eau potable. Alors, qui y va ?
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