Dans certains cas, lorsqu’il s’agit d’effectuer une mesure sur un liquide, sur un gaz, sur de la vapeur ou sur des boues, il peut être nécessaire d’obtenir la quantité de matière transférée, c’est à dire une masse plutôt qu’un volume. Deux possibilités s’offrent alors à l’exploitant. La première consiste à la calculer en associant par exemple le volume transféré à la densité du produit. Une autre possibilité, plus simple, consiste à opter pour un débitmètre massique, qui permet, sur la base d’un seul capteur, d’obtenir une mesure précise du débit massique, et parfois bien plus encore…
Comme toujours en débitmétrie, un choix éclairé passe par le rappel de quelques définitions simples. La mesure que l’on souhaite obtenir, le débit, peut en effet être exprimée en masse ou en volume. « Le débit volumique exprime un volume par rapport à une unité de temps, typiquement le m³/h, tandis que le débit massique exprime une masse, c’est à dire une quantité de produit par unité de temps, qui va par exemple s’exprimer en g/h ou en kg/h », précise Christian Jay, Responsable débitmétrie massique, vortex et ultrasons chez Krohne.
La première des considérations consiste donc à savoir exactement ce que l’on souhaite mesurer avant d’opter pour la solution la plus adaptée. Car la mesure d’un débit volumique s’obtient relativement simplement en recourant à un débitmètre électromagnétique, à ultrasons ou à flotteur, palette, clapet, turbine..., selon la nature du fluide à mesurer et les conditions dans lesquelles la mesure doit s’effectuer. C’est la mesure la plus couramment réalisée en eau potable comme en eaux usées. L’obtention d’une mesure massique passe par un éventail plus large de solutions qui ne reposent pas nécessairement sur la mise en œuvre d’un débitmètre massique, nettement plus cher à l’achat, qu’un débitmètre électromagnétique ou à ultrasons.
Des solutions qui ne reposent pas nécessairement sur un débitmètre massique
« Les débitmètres massiques sont principalement utilisés sur des applications où la densité du fluide est susceptible de varier, ajoute Jacques Marionneau chez Kobold Instrumentation. Sur les applications dans lesquelles le fluide a une densité fixe, il est plus économique d’opter pour une mesure volumétrique (électromagnétique, roues ovales, flotteur, turbine, vortex, ultrason). Dès que la densité varie, et c'est le cas pour des liquides avec concentration variable où pour les applications où une masse est demandée (yaourt, produits pétroliers, ...), et pour les gaz dès que la pression ou la température varient, il convient de faire appel aux débitmètres massiques ou bien de corriger en pression et température le débit volumique mesuré ».
Une mesure massique peut également s’avérer nécessaire lors des opérations de dosage, notamment de polymères. Lorsque ceux-ci sont conducteurs d’électricité, un débitmètre électromagnétique peut fournir une mesure suffisamment précise pour répondre aux besoins. Sur le terrain, c’est souvent le cas : le débit d'injection de floculant est calé sur le débit volumique des boues qui ne prend pas en compte les variations de concentration des boues. Si celle-ci diminue, sans que le débit d'injection de floculant n’en soit modifié, il y aura surdosage de floculant. Pour écarter ce risque, il faut asservir le débit à la masse et non au volume, et pour ceci convertir la mesure volumique obtenue en mesure massique, ce qui est possible dans ce cas là puisque l’on connaît la masse volumique du floculant. Le recours à un débitmètre massique n’est alors pas nécessaire, sauf en cas de polymère non-conducteur.
Dans le domaine des gaz, une mesure massique peut également être obtenue via la mise en œuvre d’un débitmètre à ultrasons. Claude Schelcher, Chef de marché Energie chez Endress+Hauser, cite par exemple la mesure de biogaz brut en sortie de méthaniseur, « un véritable défi, compte tenu du taux d’humidité élevé, des faibles pressions et de la formation de condensats ». Un débitmètre à ultrasons comme le Prosonic® B200 embarque une sonde de température qui va permettre de corriger la mesure pour obtenir un débit massique. Sur cet appareil, le principe des ultrasons permet en outre de déterminer en continu la teneur en méthane. L’Optisonic® 7300 de Krohne, qui intègre différentes fonctions telles que le calcul du volume standard et la mesure de la teneur en méthane, permet également une mesure de ce type. Mais d’autres principes de mesure peuvent être mis en œuvre. TH Industrie, distributeur de Hontzsch et de Systec, propose ainsi un capteur vortex dont le principe de mesure repose sur l’effet Karman, une technologie indépendante de la pression et de la température. Sans pièce en mouvement, il présente une résistance exceptionnelle en conditions difficiles, une bonne répétabilité et une stabilité sur le long terme.
Chez ifm electronic, les contrôleurs de débit des séries SI et SA reposent sur la calorimétrie. Ils utilisent l’effet de refroidissement d’un liquide ou d’un gaz en circulation pour contrôler son débit. Autre domaine d’application, le contrôle d’air surpressé en bassin d’aération, une mesure très pratiquée en Grande-Bretagne, qui commence à monter en France. La production d’air surpressé ou comprimé est en effet la plus chère des énergies dans les usines de production. En station d’épuration, elle peut représenter jusqu’à 70 % des dépenses totales en énergie ! La mesure, si l’on ne souhaite pas recourir à un débitmètre massique thermique, peut reposer sur une mesure de débit par deltaP de type plaque à orifice, ou tube de Pitot moyenné en pression et en température. « Cela permet de réduire considérablement les longueurs droites amont aval, et donc le génie civil et les coûts qui y sont associés », comme le souligne Christian Jay chez Krohne.
Reste qu’il peut être intéressant d’obtenir directement une mesure massique avec un seul capteur. Cela passe par le recours à un débitmètre massique.
Recourir à un débitmètre massique
« Les plus utilisés dans le domaine de l’eau, les débitmètres à effet Coriolis, reposent sur la mesure d’une force dite de Coriolis, explique Claude Schelcher chez Endress+Hauser. Un liquide ou un gaz dense passe à travers un tube, généralement en U, qu'un petit actionneur fait vibrer. Cette oscillation produit sur le tube une force proportionnelle à la masse du produit mesuré. Le débit massique s’affiche sans qu’il soit nécessaire de connaître le type de fluide ou de gaz circulant dans le débitmètre ». Développés par Emerson Process Management, ABB, Endress+Hauser, GE Sensing, Krohne, Kobold, Engineering Mesures qui distribue en France les débitmètres Honeywell, ou encore Yokogawa, ils ont des avantages indéniables. D’abord par leur précision, pour les liquides entre 0,2 et 0,1 % et jusqu’à 0,05 % en option, et par les résultats qu’ils permettent d’obtenir. Ainsi, outre le débit massique, on peut obtenir la masse volumique, la température et la viscosité. A partir de ces grandeurs de mesure primaires, on peut calculer d'autres grandeurs importantes comme le débit volumique, la teneur en particules solides dans un fluide, la concentration dans des fluides multiphasiques ou des valeurs de masse volumique spécifiques telles que la masse volumique de référence. Le principe de mesure étant indépendant des propriétés physiques du fluide mesuré et du profil d'écoulement, presque tous les produits peuvent être mesurés : liquides, gaz, gaz liquéfiés, solvants, carburants, huiles végétales, graisses animales, latex, huile silicone, boues,… etc.
Et parce qu’ils ne nécessitent que peu de contraintes en termes de montage (pas de longueurs droites, ni en entrée, ni en sortie) un débit massique peut s’avérer plus intéressant qu’un débit volumique, même dans le secteur de l’eau ou la densité, proche de 1, varie peu et ou la température n’est pas toujours un paramètres stratégiques. Christian Jay, Krohne, cite « la mesure en concentration de boues, le dosage de polymères lorsque ceux-ci ne sont pas conducteurs, et surtout les eaux industrielles, notamment en pharmacie et parapharmacie, les applications mettent en jeu de l’eau osmosée, des eaux ultrapures, et plus généralement des eaux dont la conductivité n’est plus mesurable par un débitmètre électromagnétique ». « En agroalimentaire, le débitmètre massique à effet Coriolis est omniprésent car les industriels raisonnent en masse et pas en volume. En chimie également, sur des dosages et des mélanges de produits, les industriels raisonnent le plus souvent en masse pour être sûrs de coller très précisément aux compositions recherchées » complète Claude Schelcher, Endress+Hauser.
La masse est insensible aux conditions de mesure et aux caractéristiques du produit mesuré tandis que le volume peut varier en fonction de la température, de la pression, et de la compressibilité du produit. Leur prix reste cependant sensiblement plus élevé qu’un débitmètre électromagnétique ou à ultrasons même si l’écart s’est un peu resserré. Pour répondre aux besoins ne nécessitant pas un degré élevé de précision, Engineering Mesures distribue également une marque “low cost” accessible à un prix plus abordable. « Sur certaines applications, typiquement en mesure de débit sur chaudières industrielles, ces appareils suffisent amplement », explique Max Stellmacher, directeur d’Engineering Mesures.
Autre principe de mesure, le débitmètre massique à effet thermique, nécessite de bien connaître les caractéristiques du fluide mesuré. La mesure repose sur le transport de chaleur dans les flux par réchauffement du matériau qui traverse le débitmètre. Ce réchauffement se fait via le tube d’échantillonnage ou par le biais d’une sonde. Le débitmètre va mesurer la puissance thermique nécessaire pour maintenir un différentiel de température constant entre deux sondes l’une étant placée à l’entrée et l’autre à la sortie. En connaissant la composition du fluide le traversant, il est possible de connaître la capacité calorifique massique de ce fluide et par extension la quantité de matière le traversant. C’est le domaine de Bronkhorst, Burkert, Endress+Hauser, ifm electronic, TH Industrie, CT Platon, Kobold, Sierra distribué par Eletta ou encore de Engineering Mesures. « La nécessité de connaître exactement la composition du fluide mesuré le réserve plutôt aux applications industrielles, lorsque l’on à affaire, par exemple, à un produit dont les caractéristiques sont connues et constantes, explique Max Stellmacher, chez Engineering Mesures qui distribue l’américain FCI en France. FCI a cependant développé une nouvelle gamme de débitmètres massiques compensés en température intégrant une bibliothèque de 5 calibrations, ce qui le rend capable de mesurer 5 gaz différents, qu’ils soient purs ou en mélanges. La calibration se fait sur le gaz lui-même et non sur une interpolation, et la mesure offre un niveau de précision équivalent à un massique thermique classique ».
Dans le domaine de l’eau, on trouve les débitmètres massiques thermiques dans des applications mettant en jeu de faibles débits de gaz, par exemple en contrôle d’air surpressé en bassin d’aération, ou sur des applications spécifiques telles que les analyses en laboratoire, en chromatographie en phase gazeuse, par exemple. Max Stellmacher cite également l’industrie nucléaire et le biogaz. « En mesure de biogaz brut, l’association d’un faible débit, d’une faible pression, de l’humidité et des impuretés peut rendre les massiques thermiques plus économiques que d’autres technologies exigeant une compensation en pression et en température » explique-t-il. Le Thermatel TA2 de Magnetrol, par exemple, procure des avantages certains en termes de mesure de débit massique, de rangeabilité, de sensibilité en débit, de faible perte de charge et de facilité de montage. Le modèle QuadraTherm ®640 i de Sierra distribué par Eletta, atteint une précision de 0.75 % du débit mesuré grâce à ses 4 capteurs de température intégrés, ce qui lui donne des caractéristiques très proches des débitmètres Coriolis.
Grâce à l’application qMix®, l’utilisateur a aussi la possibilité de modifier sur site le type de gaz à mesurer. Bürkert fabrique en France une gamme assez large de débitmètres massiques thermiques sur des plages de débit allant de 0 à 2.500 l/min. « Trois technologies sont disponibles, explique Thierry Levesque, responsable du Marché gaz chez Burkert. La technologie In-Line qui place le capteur directement dans la veine fluide pour les débits moyens, la technologie CMOS qui permet d’obtenir une bonne réactivité puisque l’on est en contact direct avec le gaz et puis la technologie capillaire qui permet une calibration à air sur des gaz très divers ». La rangeabilité est de 1/50eme en standard et peut aller jusqu’à 1/100eme. Associés à une électrovanne, ces régulateurs massiques, trouvent de nombreuses applications en injection d’air ou d’oxygène. « Nous travaillons avec un important gazier sur des skids permettant l’injection d’oxygène pur pour oxygéner des effluents industriels ou urbains, explique Thierry Levesque. Nous fournissons également des régulateurs massiques pour des skids d’injection de CO2 pour la neutralisation et également pour des applications d’oxygénation en production d’eau potable ».
Une mesure multivariable
Ainsi, pour contourner les limites inhérentes à la technologie Coriolis, Burkert a développé un nouveau débitmètre reposant sur la technologie d'ondes acoustiques de surface (SAW). « C’est un débitmètre volumique car on reste sur une mesure de la vitesse, mais il permet de calculer d’autres paramètres tels que la densité pour déterminer un débit massique, explique Thierry Levesque. Il est également capable, grâce à l’association de sondes de compression dont l’angle particulier varie en fonction du liquide et des algorithmes, de déterminer des changements d’état et ainsi de reconnaître les produits qui transitent au sein du débitmètre. Cette nouvelle fonctionnalité est en cours de commercialisation ».
Pour l’heure, les progrès enregistrés en matière de débitmètre massique concernent surtout la facilité de mise en service et l’autocontrôle de l’appareil. « Très logiquement, ces appareils bénéficient des mêmes avancées que la débitmétrie en général, notamment en matière d’électronique », observe Max Stellmacher chez Engineering Mesures.
Chez Krohne, tous les débitmètres massiques à effet Coriolis Optimass® en versions compactes et déportées peuvent être dotés de l’option Profinet I/O après les options de communication existantes Hart 7, Foundation Fieldbus, Profibus PA et DP, ainsi que Modbus. L’entreprise proposera courant 2019 le Bluetooth pour faciliter le paramétrage de l’appareil. De son côté, Endress+Hauser a équipé sa gamme de débitmètres massiques de la technologie Heartbeat® qui permet de suivre en temps réel l’état de santé du capteur ouvrant ainsi la voie à la maintenance prédictive.