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Mesure de la concentration en MES : peut-on corréler avec la turbidité ?

15 juillet 2019 Paru dans le N°423 à la page 57 ( mots)
Rédigé par : Jacques-olivier BARUCH

La concentration de matières en suspension dans une eau se mesure par filtration ou centrifugation. Mais ces deux méthodes peuvent prendre plusieurs heures. La turbidité, par contre, phénomène optique dû aux particules en suspension, peut être mesurée en continu. Or, il existe un rapport univoque entre la valeur de turbidité et la concentration de matières en suspension dès lors que sont connues les caractéristiques des MES. D’un point de vue opérationnel, il peut être intéressant de convertir des valeurs de turbidité en MES. Mais beaucoup de précautions doivent être prises pour obtenir des mesures fiables. Explications.

Le traitement des effluents urbains ou industriels et l’autosurveillance des ouvrages nécessitent la réalisation d’une mesure de concentration des matières en suspension (MES). De plus, pour les réseaux d’eau, l’arrêté du 22  juin 2007 impose également une estimation des matières en suspension (MES) rejetées au droit des déversoirs d’orage les plus importants. Il est donc important de mesurer la quantité de MES dans les effluents transitant dans le réseau ou déversés dans le milieu naturel. Deux méthodes sont habituellement appliquées.

MES : deux méthodes de mesure

Selon la norme NF EN 872 de juin 2005, la méthode par filtration se réalise en laboratoire sur filtre en fibre de verre. Il faut tarer le filtre, puis le peser avec l’effluent à mesurer, le filtrer, puis sécher le filtre à l’étuve à 105 °C jusqu’à obtenir une masse constante pour ensuite peser ce qui reste. Ensuite, il faut placer cette masse restante dans un creuset et le chauffer à 525 °C dans un four pendant 2 heures et enfin peser cette masse réduite. La différence entre la première pesée et la deuxième donnera la masse de MES totales, celle entre la troisième et la première fournira la mesure des matières en suspension minérales. La différence entre ces deux résultats donnera la quantité de matières en suspension organiques (détruites dans le four). La limite inférieure mesurable est de 2 mg/L.
Optisys SLM 2100 de Krohne monté 
sur la trémie d’un réservoir de sédimentation primaire.

Quand cette méthode ne peut s’appliquer (colmatage ou hautes teneurs en MES), la concentration en MES se mesure par centrifugation à 4.000 ou 5.000 tours/minute puis séchage, toujours à 105 °C, puis à 525 °C, selon la norme NF T 90-105 du 2 janvier 1997, mise à jour en 2008.

Capteur optique pour solides en suspension Visolid® 700 IQ de Xylem Analytics.

Ces méthodes posent des problèmes aux gestionnaires de réseaux d’assainissement ou d’eau potable ainsi qu’aux exploitants de stations d’épuration, car d’une part l’échantillon doit être déposé en laboratoire avec les risques de transformation que le transport implique, et d’autre part parce que le temps nécessité par le test dépasse les quelques heures.

Opter pour une mesure de la turbidité ?

Depuis près de dix ans, les spécialistes poussent à ce que les MES soient mesurées en continu et en ligne, sur les lieux même de stockage, de transfert ou de traitement des effluents. « Mesurer c’est comprendre », approuve ainsi Damien Jacquier, responsable du marché de l’eau chez Krohne. Cela peut effectivement se faire en mesurant non plus la densité de MES mais la turbidité de l’eau. La méthode néphélométrique consiste en effet à évaluer la présence de particules en suspension en captant leur réflexion de lumière ainsi que le conçoit Endress+Hauser avec son Turbimax CUS 51D qui mesure la turbidité à 90 degrés pour l’eau claire ou en rétrodiffusion à 135 degrés pour les boues de moins de 300 g/L de MES. C’est aussi le cas du TSS portable de Hach, valable selon le fabricant pour des concentrations inférieures à 400 g/L.
Le turbidimètre modèle TU7685.010 commercialisé par Aquacontrol possède un coefficient ajustable MES / NTU en PSL ou SiO2.

Autre méthode, la mesure par absorption à 180 degrés pour le tout récent Turbimax CUS 50D d’Endress+Hauser adapté aux effluents chargés au maximum de 25 g/L de MES comme l’Optisens 3000 de Krohne, 18 g/L pour l’Optisens 2000 de Krohne ou le MES5 de Ponsel, commercialisé par Aqualabo. Swan, ABB, Xylem Analytics, EFS, Metrohm, s::can, Thermo Fisher, ou encore Bamo Mesures développent des équipements capables de fournir des valeurs de turbidité de 0 à 4.000 NFU avec une précision allant jusqu’à 0,001 NFU.

Le capteur MES du SCA d’Insiteig, commercialisé par Equipements Scientifiques est basé sur une technologie infrarouge qui élimine les erreurs et écarts de mesure dues à la couleur de l’échantillon mesuré.

Le modèle HU-200-IM, fabriqué par Horiba, fournit quant à lui une double mesure. Comme la lumière passe difficilement dans des eaux très turbides, un capteur est placé à 90 degrés, un autre à 180°, qui mesure l’absorption directe du rayonnement par les matières en suspension, c’est-à-dire son atténuation. « Cela permet de travailler sur des boues ayant une turbidité supérieure à 2.000 NTU, et ce jusqu’à 4.000 NTU », indiquait Jean-Clair Ballot, responsable du département Process & Environnement chez Horiba France à EIN (n° 412).

Le Soli::lyser de S::can est une sonde optique qui mesure les concentrations de solides en suspension directement dans l’eau. Il intègre la mesure de correction en temps réel de la température. En utilisant le principe de l’absorption infrarouge, les valeurs ne sont pas affectées par les couleurs.

Mais ces mesures ne sont pas spécifiques de la concentration des solides en suspension. Des particules, en concentrations très différentes, peuvent avoir les mêmes valeurs de turbidité si elles sont de types très différents. Car la mesure néphélométrique de turbidité est fonction de la concentration, de la taille, de la forme et des coefficients de réfraction des particules présentes.

Il faut donc corréler la mesure de turbidité et la concentration en MES.

Corréler mesure de turbidité et concentration en MES

Corréler mesure de turbidité et concentration en MES n’est pas chose facile.
L’encrassement des capteurs optiques ne permet pas toujours aux exploitants de pouvoir se fier aux mesures : une dérive est-elle due à un surplus de MES ou à l’encrassement ? Pour pallier ce problème, Cerlic (groupe Eletta) a développé un nettoyage par air ou eau avec buses intégrées à ses sondes de mesure MES (Modèle ITX). L’arrivée d’air ou d’eau est pilotée par l’unité de contrôle et la buse de nettoyage est alimentée par l’intérieur du capteur.

D’abord parce que les deux mesures ne reposent pas sur les mêmes unités. Les MES sont comptabilisés en mg/L ou en g/L ou encore en parties par million (ppm). La turbidité se mesure en FNU (formazine nephélométric unit) ou FAU (formazine atténuation unit) selon que la mesure s’effectue par réflexion à 90 degrés ou par absorption à 180 degrés. « Ce principe de corrélation est acceptable si l’on travaille sur des particules à peu près homogènes qui ont des tailles qui varient peu, reconnaît Christophe Barbier, chez Sigrist-Siemens, qui produit des analyseurs de turbidité mais aucun de ses instruments ne donne des valeurs de MES. À partir du moment où l’on ne retrouve pas cette constance, la corrélation devient difficile, voire impossible. Sur des eaux brutes non filtrées, en cas de fortes précipitations, la corrélation ne sera plus applicable ».

La nature des MES dépend ainsi de la géographie, selon que l’on sera plus ou moins éloigné d’une embouchure de fleuve, de la nature des sols et de la pluviométrie saisonnière. D’une manière générale, la corrélation entre le coefficient de diffusion et la teneur en MES est tout à fait satisfaisante pour une région donnée. Pour obtenir une relation cohérente entre la turbidité et les matières en suspension, il faut se référer à un même milieu, et ce, à condition que toutes les mesures de turbidité aient été faites avec le même appareil, calibré avec les mêmes étalons.

Selon l’étude parue dans TSM et menée Ali Hannouche, de l’université Paris-Est et ses collègues en 2011, « la relation entre la turbidité et la concentration en MES reste une question difficile à traiter. En effet, elle dépend de plusieurs paramètres, notamment des caractéristiques géométriques et optiques des particules en suspension qui sont variables et hétérogènes dans les eaux résiduaires ou pluviales urbaines. Ces paramètres sont liés à la nature des effluents et peuvent varier en temps sec, selon les heures et les jours, et en temps de pluie, en fonction des événements pluvieux ». L’équipe conclut son étude en calculant le rapport entre la concentration en MES et la turbidité des 6 sites qu’elle a étudiés. Il varie de 0,5 à 0,8 (mg/L*FAU) par temps sec et de 0,6 à 1,4 (mg/L*FAU) pour la plupart des événements pluvieux.

Multiplier les étalonnages sur site

TMR propose des panoplies de mesure de turbidité à base de capteurs de type Pyxis construits en PVC-C ou Inox, pour des gammes de turbidité très faibles (0 à 10 NTU), moyennes (0-100 ou 0-500 NTU) à très élevées (0 à 10.000 NTU) pour des applications de contrôle des eaux potables, industrielles, les stations d’alerte, les eaux usées et les  boues. 

Même si les fabricants de sondes de turbidité étalonnent leur équipement en usine selon différents types d’eaux chargées, seuls les étalonnages sur site peuvent permettre de renseigner sur les différents types d’échantillons. Ils proposent ainsi d’étalonner leur équipement en fonction de leurs eaux avec au minimum un point de mesure. La turbidité étant nulle en absence de MES, il ne passe qu’une droite passant par 0 et ce point d’étalonnage. Mais la mesure étant souvent incertaine, un nombre plus important d’étalonnage doit être réalisé et ce, pour chaque échantillon, par temps sec comme par temps pluvieux, le contenu des effluents étant complètement différent. « Cela donne en moyenne des erreurs avoisinant les 5 %, estime Aurélia Genet, Chef de marché Environnement chez Endress+Hauser. Cette erreur importante n’est pas si grave, le plus important étant d’avoir une bonne répétabilité de la mesure pour vérifier que le process fonctionne parfaitement ». Et même entachée d’erreurs, la mesure de MES par la turbidité est fondamentale car « l’utilisation de sondes de turbidité permet de piloter finement l’injection de floculants ou autres polymères, mais aussi de gérer la recirculation des boues aux bons moments », insiste Damien Jacquier chez Krohne.

Parmi ces 10 %, figure en premier lieu la précision des capteurs que les fabricants annoncent à quelques pourcents. Elle est de 3 % pour l’analyseur fixe SCA d’Insiteig commercialisé par Équipements Scientifiques, 2,5 % pour l’Optisens 2000 de Krohne et même 2 % de la valeur mesurée pour le Turbimax CUS51D d’Endress+Hauser ou le Optisens 3000 de Krohne qui bénéficie de 4 faisceaux (deux émetteurs, deux récepteurs) dont l’écartement donne la gamme de mesure des MES (de 40 mm pour des MES inférieures à 2,5 g/L jusqu’à 10 mm pour des MES inférieures à 25 g/L).

L’appareil portable Odeon d'Aqualabo, associé au capteur numérique MES5 assure une mesure fiable et rapide sur trois paramètres : MES (g/l), (FAU) et Voile de boue (%). Le capteur peut être connecté à n’importe quel transmetteur ou automate grâce à sa sortie Modbus RS-485 / SDI-12.

« La perte de précision par rapport à des mesures de laboratoire est largement compensée par la bien meilleure représentativité obtenue par des mesures en continu par rapport à des campagnes de prélèvement », insiste Claude Joannis, expert indépendant et co-auteur du guide technique de mesurage de la turbidité dans les réseaux d’assainissement, publié par l’Onema en 2015. Il insiste toutefois sur le fait que ce guide s’adresse aux réseaux d’assainissement, voire aux entrées de stations d’épuration, mais pas au suivi de process ni en sortie de traitement. Les règles à suivre consistent à réaliser des campagnes de prélèvements d’échantillons (à l’aide d’un préleveur automatique) sur un maximum (au moins 5) de situations possibles (temps sec, événements pluvieux), puis mesurer la turbidité, les MES de ces échantillons en laboratoire (réaliser des triplicats). Il faut aussi estimer l’incertitude de chacune de ces mesures sans négliger l’incertitude sur les résultats d’analyse pour enfin caler une fonction de corrélation entre turbidité et MES en utilisant la méthode des moindres carrés à partir de simulations de Monte-Carlo. Des connaissances mathématiques s’imposent… 


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