Rassurée sur son avenir, la filière de la méthanisation cherche désormais à améliorer l’efficience énergétique des installations et valoriser leurs sous-produits. Les technologies sont là, reste à s’assurer de la pertinence économique des projets.
La méthanisation des boues et
biodéchets est techniquement
au point mais la filière française
vivait jusqu’à récemment dans l’incertitude. Cet été, une évolution du cadre
réglementaire a changé la donne. Dès
lors, comment se présente aujourd’hui
le « paysage » en France ? que reste-t-il
à améliorer ? de quelles options techniques disposent les exploitants pour
répondre aux exigences réglementaires ? comment atteindre la rentabilité économique? que faire des
sous-produits ?
QUI MÉTHANISE QUOI, ET POURQUOI ?
La méthanisation recouvre des réalités diverses, tant en termes de matières premières que de types d’opérateurs, voire de motivations. Des collectivités en charge d’un territoire méthaniseront des biodéchets provenant des ménages, des restaurants, des commerces alimentaires, voire d’industriels ou/et des déchets verts, les exploitants de STEU municipales ou industrielles souhaiteront valoriser les boues de traitement des eaux usées, et certains industriels génèrent assez de sous-produits digestibles pour envisager de les méthaniser eux-mêmes.
Le monde agricole que nous n’aborderons pas ici s’est quant à lui déjà lancé depuis plusieurs années dans la méthanisation des fumiers, lisiers, pailles et autres déchets… On méthanise pour produire et éventuellement vendre de l’énergie, cela semble évident. Mais pas seulement. Les traiteurs d’eaux usées, municipales ou industrielles, méthanisent leurs boues pour en diminuer le volume, donc les coûts liés à leur prise en charge et les stabiliser. « C'est souvent la motivation majeure des projets de méthanisation en STEU, avant même la production de biogaz » affirme ainsi Davy Ringoot, directeur commercial Europe-Moyen-Orient-Afrique du Nord chez Cambi.
De même, le biogaz produit aura diverses utilisations selon les opérateurs… et leur proximité ou non du réseau de gaz naturel. « La co-génération de chaleur et d’électricité peut avoir du sens pour de petites installations moins de 1000 tonnes annuelles de matière sèche, soit 30000 Eh pour une STEU qui ne produisent pas assez de méthane pour être autorisées à l’injecter sur le réseau de gaz naturel.
Il est également possible d’utiliser directement la chaleur,
par exemple pour du chauffage urbain.
Au-delà de 2000 tonnes de matière sèche,
toutefois, l’injection devient systématique, au moins en France » énumère
Vincent Chevalier, directeur du marché Transition énergétique chez Veolia.
La question des acteurs pourrait aussi se poser dans l’autre sens : qui ne méthanise pas, ou pas encore ? « En France, seules 20% des STEU de plus de 30000 Eh sont équipées de méthaniseurs. Il y a donc un gros potentiel de croissance pour la filière » explique par exemple Luc Budin, délégué général de l’ATEE1 . « Il existe aujourd’hui une cinquantaine d’installations en service en France. Nous estimons que 150 collectivités pourraient potentiellement installer des méthaniseurs » affirme pour sa part Vincent Chevalier (Veolia).
S’il est impensable de généraliser
la méthanisation sur les « petites » STEU,
la centralisation de leurs boues vers une
grosse unité, encore peu pratiquée en
France, est une solution. C’est déjà le cas,
par exemple, à la STEU de Valence, opérée par Veolia, qui méthanise ses boues
ainsi que celles de Porte-lès-Valence et
Romans. « S’ils ne sont pas encore communs en France, les centres de traitement
méthanisant les boues de plusieurs STEU
sont déjà très courants ailleurs en Europe,
par exemple en Grande-Bretagne et aux
Pays-Bas » confirme Julien Chauzy, Sales
Director APAC & Project Development
Manager chez Cambi.
La méthanisation territoriale, encore
peu pratiquée, elle aussi a un fort potentiel de croissance en France.
CADRE RÉGLEMENTAIRE : UNE EMBELLIE INDISCUTABLE MAIS…
À en croire les commentaires des différents acteurs, les craintes de la filière méthanisation quant à son avenir semblent avoir été entendues, au moins partiellement, par le gouvernement. « Un bol d’air pour les porteurs de projets » (Luc Budin, ATEE), « il est trop tôt pour voir un impact mais cela répond aux inquiétudes des acteurs et va sans doute relancer des projets. C’est une bonne nouvelle pour le secteur » (Julien Chauzy, Cambi), « nous sommes satisfaits de l’évolution récente des règles » (Olivier Bernat, directeur général Technologie chez John Cockerill), « le tarif d’achat intègre l’inflation et a significativement augmenté, c’est positif » (Vincent Chevalier, Veolia) : la profession accueille très favorablement l’arrêté du 10 juin 2023 « fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel ».
« Ces tarifs, qui existent depuis 2011, étaient devenus insuffisants pour assurer la pérennité des projets de méthanisation. Le nouveau décret comprend une dizaine de dispositions tarifaires qui permettent d’envisager une reprise assez conséquente de la filière. Les tarifs vont augmenter d’environ 18% » estime ainsi Luc Budin (ATEE). Dans le détail, chaque filière biodéchets ménagers, boues de traitement d’eaux usées (municipales ou industrielles) ou produits et déchets non dangereux bénéficie d’un calcul particulier.
Qui plus est, le biogaz autoconsommé, par exemple pour l’hygiénisation de la ration, la lyse thermique ou le chauffage du digesteur, est également éligible à un tarif d’achat. C’est un point essentiel, car le décret durcit par ailleurs, ou au moins précise, certaines conditions et exigences en matière d’efficacité énergétique et environnementale des installations. Tout d’abord, il prohibe l’utilisation du charbon, du gaz naturel d’origine fossile ou d’un autre hydrocarbure d’origine fossile pour satisfaire les besoins en énergie de l’installation (préparation des intrants, chauffage du digesteur, épuration du biogaz).
Et en ce qui concerne l’efficacité énergétique, les installations ne doivent pas consommer plus de 0,15 MWh d’électricité par MWh PCS de biométhane injecté. Au-delà de ce seuil, le tarif d’achat du biométhane est recalculé à la baisse. Les STEU, en particulier, devront être vigilantes pour atteindre ce seuil d’efficacité énergétique. « Cette condition peut être contraignante si la STEU a installé des pompes à chaleur sur l’eau de sortie pour chauffer son digesteur, comme cela se fait de plus en plus. L’autre choix est d’autoconsommer une partie (de 20 à 30 %) du biogaz produit.
La réglementation devrait évoluer sur ce point » espère Olivier Bernat (John Cockerill). Vincent Chevalier, de Veolia, souligne également ce problème du seuil d’efficacité énergétique. « Le principe est bon mais le seuil fixé est inadapté. Aujourd’hui les digesteurs sont souvent chauffés avec des pompes à chaleur, qui consomment de l’électricité. Cela remet en cause la conception des installations développées ces dernières années.
Il faudra utiliser une partie du biogaz pour chauffer le digesteur, donc la méthanisation ne pourra s’appliquer qu’à des STEU plus grandes » estime-t-il. Le 21 août, deux décrets précisaient le propos. Le premier 3 , « portant diverses dispositions relatives à la vente de biogaz injecté dans le réseau de gaz naturel », est plutôt bien accueilli. « C'est un pas majeur car il ouvre les mêmes conditions de rachat au biométhane de méthanation du CO2 , de gazéification ou de pyrolyse de déchets ou produits non dangereux. L’absence de tarification pour la méthanation était un frein pour ces technologies, dans lesquelles nous investissons beaucoup » se réjouit Olivier Bernat (John Cockerill).
L’intitulé de second décret 4 « relatif aux sanctions applicables aux installations de production de biogaz » est explicite : il s’agit de lutter contre les fraudes et les non-conformités. Par ailleurs, au niveau européen, la nouvelle DERU 5 , qui devrait être validée incessamment (au moment où nous mettons sous presse), comporte un volet sur l’autonomie énergétique des systèmes d’assainissement, comme nous l’avions déjà évoqué (voir EIN 462).
Objectif affiché : que tous les systèmes de plus de 10000 Eh atteignent la neutralité énergétique d’ici 2040 et 75% d’entre eux dès 2035. Qui plus est, au niveau national, le projet de texte stipule que « les États membres devront veiller à ce que l’énergie renouvelable annuelle totale produite au niveau national par toutes les stations d’épuration urbaines soit équivalente à l’énergie annuelle totale utilisée par toutes ces stations d’épuration urbaines ».
« Cela implique de manière incontournable le recours à la méthanisation des boues » estime Olivier Bernat (John Cockerill). Vincent Chevalier, de Veolia, abonde : « ces niveaux élevés d’autonomie énergétique seront difficiles à atteindre sans méthanisation ». Autre évolution à venir, qui concerne cette fois la méthanisation territoriale : à compter du 1er janvier 2024, les collectivités seront tenues de mettre à disposition des ménages des moyens de collecter séparément leurs biodéchets 6.
Cela concerne également les établissements publics ou privés générant des biodéchets (restaurants, cantines, commerces, etc.). D’où l’arrivée prévisible d’une importante quantité de matières digestibles ou compostables. « Le potentiel de méthanisation territoriale deviendra donc considérable. On peut imaginer installer jusqu’à 200 digesteurs d’une capacité de 15000 à 20000 tonnes, répartis sur le territoire » entrevoit Fabrice Aichelmann, directeur commercial de Methavos. Ainsi, l’ensemble de la chaine de valeur à travers les sociétés Naskeo, qui exploite près de 40 sites en France, Agripower France, spécialiste d’unités de méthanisation avec digesteur en acier inoxydable, traitant les biodéchets et à destination de l’industrie agroalimentaires, Bioconservacion, Global Water Engeneering ou encore Séché Environnement s’organise.
Des équipementiers, à l’image d’Andritz, mettent l’accent respectivement sur l’utilisation de dispositifs de déshydratation du digestat ou de séparateur compacteur pour le contrôle de la siccité des intrants, fumiers, tandis qu’Opal Ingénierie propose quantà‑lui son affineur de soupe pour réduire le taux d’indésirables contenu dans les soupes organiques issues des déconditionnements, en conséquence de la directive du 2 mars 2023, laquelle impose un ratio maximum de 0.5% sur la matière sèche.
Biome intervient de son côté autant en amont qu’en aval, ie. du diagnostic à la conception de procédé clés en main, pour apporter les solutions économiques plus adaptées. En revanche, rien de nouveau sur le front de la co-méthanisation des boues de STEU avec des déchets d’autre nature, toujours interdite en France. « Etant donné la vitesse à laquelle évolue aujourd’hui la réglementation, on peut espérer une ouverture rapide» imagine toutefois Olivier Bernat (John Cockerill).
D’autant plus que cette situation est une spécificité française. Cambi, par exemple, peut citer des références de telles installations en Corée du Sud, aux Etats-Unis ou en Scandinavie. « L’évolution de la réglementation relative à la cométhanisation est l’une des finalités du projet COMETHA porté par le Syctom et le SIAAP et développée par le groupement Gicon et sa filiale française France Biogaz, associée à Tilia » fait remarquer Vincent Aumaître, responsable France de la société franco allemande Tilia, spécialisée dans le pilotage de projets énergétiques.
Sur le point de démarrer, l’usine va fonctionner 15 mois pour évaluer ses performances. « Les opportunités techniques, économiques et environnementales offertes par les projets mutualisés et les mélanges sont incontestables. Les verrous sont aujourd’hui réglementaires, tout particulièrement sur le sujet des mélanges de déchets organiques, par exemple boues-biodéchets triés à la source. Une évolution réglementaire sur ces sujets permettrait d’optimiser la gestion et la valorisation de ces flux de déchets à l’échelle locale sur des unités territoriales », reconnait Arnaud Diara chef de projet Setec Energie Environnement, assistant à maîtrise d’ouvrage sur le projet.
L’INDISPENSABLE ANALYSE
Il n’est plus question de méthaniser « à l’aveugle ». Les opérateurs de digesteurs se doivent désormais de connaître la composition de leur ration comme celle de leurs effluents et bien sûr celle de leur biogaz. Les instrumentistes comme Cleanair Europe, Chromatotec, Endress+Hauser, Krohne, Hach Lange, Purecontrol, Sewerin, SRA Instruments, Vaisala ou Xylem Analytics proposent divers capteurs. SRA Instruments recommande le R990 développé par Agilent pour mesurer la composition, le pouvoir calorifique et les impuretés présentes dans les mélanges gazeux.
L’architecture analytique est constituée de modules contenant un injecteur, une colonne et un détecteur micro TCD, installés en parallèle et choisis en fonction de leur nombre (jusqu’à 4) et du type de colonne pour assurer la séparation des composés. « Le bon fonctionnement d’un méthaniseur résulte en partie du rapport entre la production d’Acides Gras Volatiles (AGV) et le pouvoir tampon du milieu, rappelle Frederic Soumet, Customer Support Manager chez Hach.
L’AT1000 Fos/Tac permet de suivre régulièrement l’évolution de ce rapport notamment pour éviter l’acidification qui rendrait les bactéries méthanogènes inactives (acidose). Les manipulations étant simples et peu couteuses, nos clients mettent en place cette analyse pour surveiller leurs installations notamment lors d’évolutions des intrants en qualité ou en quantité ». Pour suivre quotidiennement ce ratio, Xylem propose le titrateur TL 5000 FOS TAC qui de façon rapide et précise mesure le risque d’acidification du système de biométhanisation.
« Il est indispensable de suivre ce ratio quotidiennement afin d’éviter les sous-performances de l’usine pouvant causer un redémarrage complet et donc une perte de temps, d’argent et de production de biogaz » confirme Méhalia Medjahed Ingénieure Produits Solutions. Les analyses complexes, ou le contrôle réglementaire, restent l’affaire de laboratoires indépendants comme Carso, Explorair, Inovalys, Intertek, Quad-Lab, SGS France, Wessling ou de courtier en analyse comme Analytice. Ces derniers interviennent à plusieurs stades. En amont tout d’abord, lors du dimensionnement financier ou structurel d’un projet d’installation de méthanisation.
Il s’agit alors d’évaluer la valeur de la ration pour déterminer la validité de l’opération. « Les clients font appel à nous pour évaluer le potentiel méthanogène de leur gisement de matières premières. Nous venons par exemple d’achever une analyse de ce type (avec un résultat positif) pour un industriel de l’agroalimentaire qui envisage de méthaniser les sous-produits de son procédé » révèle Robin T’Jampens, responsable du pôle Valorisation des déchets chez Wessling.
En cours de process, la qualité du biométhane et du biogaz peut être contrôlée par différents laboratoires dont SGS. « Afin de satisfaire nos demandes clients, nous avons adapté nos méthodes de contrôle de la qualité des gaz d’unités de cogénération aux contrôles de la qualité du biométhane. Le biométhane présente, en effet, souvent des débits plus élevés. Nous avons donc mis en place une méthode conciliant: simplicité sur le terrain, temps de prélèvement court, respect des limites de quantification du client et conservation du support de prélèvement avant analyse.
L’échantillon peut également être conservé après réception au laboratoire, cela permet ainsi de réaliser une contre analyse si nécessaire sur la plupart des paramètres. Nos équipes formées à ce type de prélèvements peuvent intervenir sur tout le territoire français. Le client peut aussi décider de réaliser le prélèvement lui-même avec notre matériel. Nous acceptons également les supports de prélèvements classiques : sacs Tedlar, canisters, ogives…
Outre un panel analytique très complet, nous étudions toute demande de faisabilité de nouveaux paramètres et nous pouvons rendre les résultats dans des délais ultracourts sur les paramètres les plus courants (jusqu’à 6 heures après réception de l’échantillon ) » détaille Audrey Piechocki, chargée du développement des prestations Air chez SGS. Plus routinier : les laboratoires mesurent les concentrations en polluants (PCB, hydrocarbures, métaux lourds…) des boues avant le retour au sol, afin de vérifier leur conformité réglementaire.
Enfin, de manière plus prospective, ils peuvent participer à des programmes de R&D. « Nous réalisons beaucoup d’essais « sur mesure ». Des clients qui testent différents types d’additifs (oligoéléments par exemple) pour améliorer la digestion nous confient l’analyse des rations et des effluents. Un industriel qui produisait de 200-300 m3 de méthane par tonne de ration, en 40 jours, a ainsi pu mettre au point une combinaison d’oligoéléments qui augmente sa production tout en diminuant le temps de séjour, avec la même ration initiale » explique Robin T’Jampens.
« Si nous réalisons de plus en
plus d’analyses de pouvoir méthanogène
sur les intrants, c’est surtout pour les analyses en vue de la valorisation des digestats qu’Inovalys est particulièrement sollicité :
analyses complètes selon le cahier des
charges Digagri, analyses pour la valorisation en compost selon NF U44-051,
ou dans le cadre de l’épandage agricole.
Par ailleurs, Inovalys réalise les analyses
microbiologiques réglementaires demandées pour l’obtention de l’agrément sanitaire délivré par les DDPP » fait remarquer
Philippe Leroi, chargé d’étude environnement et membre fondateur du cluster
biogaz Methatlantique en Pays de Loire.
LA DIGESTION « CLASSIQUE » : UNE TECHNIQUE MATURE
La plupart des installations actuelles utilisent un principe largement rôdé, la digestion mésophile en voie liquide, avec un fonctionnement par batch. Pas de grande nouveauté technologique, donc, mais des optimisations incessantes, en particulier en ce qui concerne la consommation énergétique. C’est l’affaire de constructeurs comme Atlantique Industrie, John Cockerill, Tilia ou Waterleau et d’opérateurs comme Saur, Sources, Suez ou Veolia, sans compter les collectivités elles-mêmes.
Atlantique Industrie intègre des process de méthanisation clés en main, en voie liquide continue. Veolia, à l’instar de ses grands concurrents, intervient dans différents cas de figure: auprès de STEU individuelles comme à Nancy, Saint Malo et bientôt Rambouillet, en méthanisant dans une seule installation les boues de plusieurs STEU, comme à Valence, ou en pratiquant la « bi méthanisation ». En clair, s’il est exclu de co-méthaniser boues de STEU et autres intrants, rien n’interdit de les traiter en parallèle dans deux digesteurs distincts sur le même site et de mutualiser ainsi l’épuration et l’injection du biométhane (le mélange est permis à ce niveau), ainsi que le personnel.
« C’est ce que nous faisons à Melun avec d’un côté les boues d’épuration et de l’autre des intrants industriels. Cela évite d’ailleurs de devoir construire un seul digesteur, qui serait alors énorme » explique Vincent Chevalier. En sortie de digesteur, le biogaz contient en général 35 à 40% de CO2 . Il faut donc l’épurer avant d’envoyer le méthane (CH4 ) dans le réseau. La plupart des séparateurs reposent sur une technologie membranaire, qui consomme de l’électricité et intervient dans le calcul de l’efficacité globale de l’installation.
Il existe toute fois des alternatives. « Nous venons mettre en service à Bordeaux -précisément au Clos de Hilde, près Bègles une technologie de lavage du biogaz aux amines, qui consomme moins d’électricité. Elle est toutefois réservée aux très gros sites. Au Mans, nous utilisons le PSA (pressure swing adsorbtion) qui consiste à adsorber spécifiquement le méthane sur du charbon actif dans des cylindres en pression, puis le récupérer en relâchant la pression » énumère Vincent Chevalier (Veolia). Suez Organique, une branche de Suez Recyclage & valorisation France, opère spécifiquement des méthaniseurs territoriaux d’autres branches du groupe s’occupant, par exemple, des boues de STEU ou industrielles.
« Nous nous intéressons à des gisements comme les déchets
de l’industrie agroalimentaire, des commerces (grandes et moyennes surfaces), de
la restauration collective, et les déchets
organiques des particuliers » énumère
Frédéric Gelz, responsable national
méthanisation et déconditionnement
chez Suez Organique. La « soupe » obtenue en déconditionnant ces déchets autrement dit en les séparant de leur
emballage est dirigée vers de gros
digesteurs classiques. Suez Organique
en opère quatre sur le territoire. Datant
de 2012, les installations de Combrée
d’Anjou (Maine en Loire) et Faulquemont
(Moselle) valorisent directement leur biogaz par cogénération d’électricité et
chaleur. Plus récentes, celles de SaintSelve (Gironde) et Saint-Quentin (Aisne)
séparent le biométhane pour l’injecter
dans le réseau de GDRF. Dans ce cas,
le CO2
est ou sera valorisé de son côté.
LA « VOIE SÈCHE », UNE ALTERNATIVE POUR LES TERRITOIRES
Il existe un autre principe de méthanisation, qui accepte des rations pâteuses (environ 30% de matière sèche), essentiellement à base de biodéchets, déchets verts et agricoles. Les mêmes matières premières, donc, que des opérateurs territoriaux comme Suez Organique, entre autres, traitent par voie liquide … en y ajoutant de l’eau. C’est cette voie «sèche» que propose par exemple Methavos, avec un fonctionnement en continu.
La ration, pré-mélangée pour arriver à la bonne sicccité, est constamment introduite à une extrêmité du digesteur en l’occurrence un long tunnel parallélépipédiqueoù elle séjourne de 20 à 30 jours, et le digestat en ressort à l’autre extrêmité. Il est ensuite déshydraté à la presse à vis pour récupérer une fraction solide compostable, tandis que l’effluent liquide repart en tête dans la ration, ce qui permet une innoculation bactérienne. « On peut traiter des mélanges hétérogènes puisqu’il n’y a pas de phénomène de sédimentation ou de flottation dans le digesteur.
Cette technologie concerne plutôt de grosses unités, au-delà de 15000 à 20000 tonnes de matière sèche par an » explique Fabrice Aichelmann. Le principe est connu depuis longtemps mais Methavos apporte deux caractéristiques propres. Le système d’agitation breveté, d’une part, met en jeu plusieurs axes verticaux leur nombre varie selon la longueur du tunnel entraînant des pales assurant un brassage « multizones » lent (1,2 tour/ minute) afin d’homogénéiser le milieu et évacuer les poches de gaz.
Autre originalité : l’ensemble est préfabriqué en atelier, permettant une mise en œuvre rapide. Le système de chauffage est placé à l’extérieur du tunnel (sous un isolant), l’acier de la paroi transmettant la chaleur à la ration. C’est un réchauffement «doux », réparti sur toute la surface, afin d’éviter les phénomènes de croûtage et d’améliorer le rendement énergétique. « Nous utilisons de 2 à 3% du méthane produit pour chauffer le méthaniseur, le reste est injecté dans le réseau.
Nos digesteurs sont en général thermophiles. Le couple température-temps de séjour assure un abattement important des germes, même si le traitement n’est pas officiellement considéré comme hygiénisant » précise Benoît Wernette, directeur de Methavos. En France, Methavos opère un digesteur « vitrine », celui du groupe Lingenheld auquel appartient la société, sur son site d’Oberschaeffolsheim, près de Strasbourg (Bas-Rhin).
Au menu : des
intrants industriels, agricoles et municipaux (biodéchets). A cette exception
près, Methavos agit comme constructeur. La société a par exemple fourni
et mis en œuvre des installations pour
Engie: en Eure-et-Loir à Marboué et
Auneau, en Seine Maritime à SaintLéonard, Saint-Jean-de-Folleville et
Hautes Falaises ou dans le Loiret à
Chaumont.
Suez Organique, bien qu’opérant actuellement des digesteurs mésophiles en
voie liquide, a également lancé des
recherches sur la voie « sèche ». « Nous
avons quelques projets en ce sens. Il s’agit
de trouver des procédés moins consommateurs d’eau puisque nous devons en
rajouter à la ration pour opérer en voie
liquide » explique Frédéric Gelz.
OPTIMISER LES INSTALLATIONS
Dans un contexte d’attention accrue portée au rendement énergétique, plusieurs technologies permettent d’optimiser la filière classique. L’hydrolyse thermique consiste à chauffer les boues à 160-170° C, à une pression de 5-7 bars, puis les refroidir brutalement ( on récupère les calories directement via de la vapeur flash par exemple Cambi ou indirectement via des échangeurs ), ce qui fait éclater les parois cellulaires et rend la matière organique plus accessible aux bactéries.
Outre une augmentation significative de la production de biogaz, elle permet de réduire la taille du digesteur pour un même flux d’intrants et augmente la siccité des boues lors de la déshydratation finale du digestat. C’est le domaine de spécialistes comme Cambi ou Haarslev, rejoints aujourd’hui par John Cockerill. « La plupart de nos projets concernent des méthaniseurs de STEU, plutôt au-delà de 100000 Eh. Beaucoup, en tout cas hors de France, sont des installations centralisées regroupant les boues de plusieurs STEU » expose Davy Ringoot, de Cambi.
« L’hydrolyse thermique apporte également des bénéfices non quantifiables économiquement mais bien réels : l’hygiénisation des boues, la réduction des odeurs et la tenue en tas des boues, qui exigent de ce fait moins d’espace de stockage » ajoute Julien Chauzy (Cambi). Cette année, Cambi a remporté des contrats, entre autres, pour les installations de Be’er Sheva (Israel), Moa Point (Wellington, Nouvelle Zélande), VEAS (Oslo, Norvège), Frevar (Fredrikstad, Norvège), Woodman Point (Perth, Australie), Tuas (Singapore) ou Louisville (USA).
Cette technologie est désormais mature, même si Cambi continue à l’optimiser, développant par exemple des solutions à moindre consommation énergétique. « Il existe plusieurs dizaines d’installation de ce type en Europe : la technologie a donc fait ses preuves. La nouvelle réglementation tarifaire française pourrait lui donner une nouvelle vie ici. On ne peut pas l’envisager sur de petites STEU mais elle devient pertinente au-delà de de 2000 tonnes annuelles de matière sèche. Nous en avons installé pour le syndicat de l’Ondaine (80000 Eh), près de SaintEtienne, ou à Ternier (80000 Eh), près de Chauny dans les Hauts-de-France, ainsi que sur de plus grosses STEU comme à Toulouse ou Bonneuil-en-France (Vald’Oise) » explique pour sa part Vincent Chevalier (Veolia).
Un développement récent chez Cambi : dans certaines usines, l’hydrolyse est installée en aval du digesteur, donc appliquée au digestat et non à la ration. C’est le cas par exemple à Anvers (Belgique). Dans cette configuration, la déshydratation du digestat chaud (et hydrolysé) permet d’atteindre des siccités de boues très élevées : plus de 40% de matière sèche. Le jus de déshydratation, très concentré en matière organique, retourne au digesteur, ce qui augmente la production de biogaz. « Nous réalisons des études projet en ce sens pour le marché français.
Cette configuration est intéressante pour des projets
où le coût d’évacuation des boues est élevé,
ou lorsque le client veut les incinérer »
justifie Davy Ringoot (Cambi).
« Nous venons de signer un partenariat avec Tomorrow Water, une société
coréenne ayant une forte implantation
aux Etats-Unis. Nous distribuons désormais en Europe leur procédé d’hydrolyse
thermique Draco®, qui a de grossses référence partout dans le monde » affirme
pour sa part Olivier Bernat, de John
Cockerill. Il cite les mêmes avantages :
une augmentation de 10 à 20%, voire
plus, de la production de biogaz, une
meilleure déshydratation des digestats
et l’hygiénisation des boues. « L’opération
a un coût énergétique mais les calories
sont récupérées pour la mise en température du digesteur » ajoute-t-il.
L’hydrolyse thermique n’est pas la seule : plusieurs technologies (comme par exemple la méthanation du CO2 ) peuvent améliorer la production d’un digesteur existant. Il existe toutefois une autre manière d’aborder le problème, en tout cas pour les STEU en projet. « Il s’agit de réfléchir globalement en repensant les files boue et eau. Tout d’abord penser à installer un traitement primaire des eaux usées, devenu rare dans les STEU françaises mais qui produit une matière organique fraîche à ajouter aux boues de traitement biologique dans la ration du digesteur.
Il faut
également envisager le retour en tête de
l’effluent de déshydratation du digestat »
estime Olivier Bernant (John Cockerill).
Même constat chez Veolia: « seules 15%
des STEU comportent un traitement primaire en France. Il faut donc soit investir
sur la file eau pour installer un traitement
primaire puis utiliser une méthanisation
classique, soit garder la STEU inchangée et traiter les boues avec des procédés avancés comme la lyse thermique »
affirme Vincent Chevalier.
QUE FAIRE DU CO2 ?
Si le CO2 issu du biogaz est en général rejeté dans l’atmosphère, il existe des méthodes pour le valoriser, soit en tant que tel, soit transformé lui aussi en méthane par réaction avec de l’hydrogène (H2 ). Cette dernière opération, la méthanation, peut se faire par voie catalytique ou biologique. John Cockerill a choisi la voie biologique car ses conditions opératoires (10 bars et 60-65° C), proches de celles d’un digesteur classique, facilitent la maintenance et l’exploitation des installations. La réaction du CO2 avec l’hydrogène étant exothermique, elle produit de plus une chaleur fatale récupérable.
« La méthanation est envisageable dès 50000 Eh. L’intérêt est bien sûr d’augmenter la production de biométhane d’environ 50%. De plus, en traitant le biogaz en sortie de digesteur, les systèmes de séparation membranaires deviennent inutiles puisque notre solution produit directement un méthane de pureté compatible avec les exigences de l’injection » affirme Olivier Bernat. La solution V’COOL® de Prodeval permet, quant-à-elle, de valoriser le CO2 sur les installations membranaires.
Elle permet également d’augmenter le rendement épuratoire de l’unité d’épuration du biogaz en biométhane en recirculant le méthane issu des off-gaz en entrée de procédé. Provenant des incondensables issus de la liquéfaction des off-gaz, elle permet donc d’augmenter la quantité de biométhane vendu. La rentabilité de la méthanation dépend toutefois fortement de la disponibilité de l’hydrogène. Les vues sont partagées à ce sujet… « Sur les grosses usines, on peut imaginer le produire insitu par électrolyse, idéalement à partir d’électricité verte.
Pour les plus petites, il faut faire venir l’hydrogène de l’extérieur. Cela dit, certaines collectivités peuvent envisager d’en produire pour différents usages. Les projets en ce sens se multiplient » avance Olivier Bernat (John Cockerill). Récemment, John Cockerill a conclu un partenariat avec Enosis visant à augmenter significativement la production de méthane renouvelable, tout en capturant et en transformant le CO2 des déchets en ressource. Baptisée LysoThane H2™, la solution, qui associe le système de méthanation biologique d’Enosis, ENOBIO® avec la digestion haute performance de John Cockerill, permet d’augmenter de 60% la transformation de biodéchets en méthane renouvelable, sans nécessiter de matières premières supplémentaires. De plus, le procédé assure le recyclage du dioxyde de carbone (CO2 ) contenu dans le biogaz.
Lorsqu’elle est mise en œuvre dans une architecture "Power-toGas", la solution LysoThane H2™ inclut la production d’hydrogène vert par électrolyse, ce qui permet de stocker dans le réseau de gaz existant, de manière flexible et sans limitation de capacité, le surplus d’électricité renouvelable produit par les parcs solaires et éoliens, fait remarquer le spécialiste. « La technologie est au point mais elle est encore très coûteuse et le cadre tarifaire de rachat reste incertain. Tout dépend de l’orientation qui sera donnée à la production d’hydrogène, que les pouvoirs publics pourraient être tentés d’orienter plutôt vers des usages ayant besoin de se décarboner, comme le transport » tempère pour sa part Vincent Chevalier (Veolia).
Reste la possibilité de valoriser le CO2 lui-même, en général liquéfié pour le transport. C’est plutôt vers cette voie que se dirigent actuellement les exploitants de « gros » digesteurs. Débouchés possibles: l’alimentation des serres (le CO2 favorise la croissance végétale), la carboglace (pour le refroidissement) ou la gazéification des boissons. Suez Organique, qui exploite des grosses unités de méthanisation, voit les choses de manière pragmatique. « Nous utiliserions la méthanation si un de nos digesteur était situé près d’une installation de production d’hydrogène.
Nous valoriserons
le CO2
chez des serristes, ou auprès d’industriels » explique Frédéric Gelz. « L’enjeu
de la liquéfaction du CO2
est de lui trouver un usage. Nous voyons apparaître une
possibilité économiquement viable auprès
des serristes. Cela n’est possible que sur
des installations d’au moins 100000 Eh »
7 La plupart des engrais, dits NPK, contiennent de l’azote, du phosphore et du potassium.
confirme Vincent Chevalier pour Veolia.
Chez Prodeval, l’unité V’COOL® permet de
commercialiser un CO2
pour des usages
alimentaires ou industriels en répondant
aux différentes normes et spécifications.
Une unité d’une capacité de traitement de
500 m3
/h et dotée de la solution pourra
récupérer 441 kg/h, soit 3748 t/an de
CO2
par rapport à une installation sans
unité V’COOL® et ainsi éviter de les rejeter
dans l’atmosphère, précise le fabricant.
VALORISER LES « SOUS-PRODUITS »
La déshydratation du digestat génère un liquide (centrat ou filtrat selon la méthode utilisée) encore riche azote et phosphore, éléments recherchés pour la fertilisation des sols 7. Pourquoi ne pas les valoriser ? La récupération de l’azote se fait par stripping ou par des procédés biologiques. L’intérêt, outre la production d’un engrais, est de soulager la filière de traitement de l’eau puisque l’effluent encore chargé de matière organique est renvoyé en tête de STEU.
Or la nitrification-dénitrification des
eaux usées a un coût énergétique très
élevé. Le phosphore est pour sa part
récupéré dans des réacteurs à struvite
ou sur des cendres de pyrolyse.
« Nous avons développé un procédé de
stripping de l’azote à bas pH, ce qui diminue la consommation de soude. De manière
générale, les techniques de récupération
d’azote et phosphore sont au point. Leur
intérêt économique n’est pas évident
aujourd’hui mais les ressources mondiales
de phosphates, par exemple, se raréfient,
ce qui pourrait changer la donne » affirme
Olivier Bernat (John Cockerill).
Pour débarrasser l’effluent de l’azote,
afin de soulager la STEU, Veolia propose son procédé biologique Anita Mox
qui récupère environ 80% de l’azote. Il
est peu énergivore car les bactéries en
jeu ne consomment ni oxygène ni réactifs. « On peut aussi utiliser le stripping
pour récupérer l’azote et le valoriser en
engrais. Néanmoins, cela consomme de
la soude et de l’énergie, et il faut trouver
un débouché pour cet engrais liquide peu
concentré » souligne Vincent Chevalier.
QUEL AVENIR POUR L’ÉPANDAGE DES BOUES ?
Qu’elles soient digérées ou non, les boues de STEU contiennent des matières organiques et des éléments fertilisants. En France, et contrairement à ce qui se passe chez nos voisins européens, elles sont encore majoritairement épandues, telles quelles ou compostées. « Le devenir des boues des STEU de plus de 30000 Eh se partage entre l’épandage direct (28%), le compostage (44%) et l’incinération (27%) » explique Luc Budin, de l’ATEE. Mais cette pratique du retour au sol a-t-elle un avenir ?
« L’hygiénisation n’est plus un problème aujourd’hui, et les agriculteurs ont toujours besoin de ces matières. Les boues non compostées, avec le statut de déchet, font l’objet de plans d’épandage, alors que le compost est un produit normé (NF U44095) qui peut être commercialisé » affirme Luc Budin. Même relatif optimisme chez Frédéric Gelz (Suez Organique) : « l’épandage du digestat issu du biodéchet est favorable pour les sols. La tendance serait plutôt que le digestat devienne un engrais » soutient-il. « La réglementation, par exemple le socle commun 8 pour les matières fertilisantes et les supports de culture, pérennise le retour au sol des boues.
La méthanisation ne changera pas la donne » estime également Vincent Chevalier (Veolia). Les moins optimistes mettent en avant la charge polluante de ces boues, que l’hygiénisation ne supprime pas : micropolluants, métaux lourds, microplastiques… « L’épandage des digestats ne pose pas de problème majeur mais les microplastiques constituent actuellement un angle mort. Les premières publications scientifiques sur le sujet montrent pourtant une accumulation pérenne dans le sol.
Ce
sujet surgira dans les années à venir, pour
les sols comme pour les eaux » souligne
ainsi Olivier Bernat (John Cockerill).
Nesa, une entité de John Cockerill
Environment spécialisée dans les fours
à soles multiples (MHS pour Multiple
Hearth Furnace), fournit des solutions
de pyrolyse des boues, laquelle pourrait
constituer une solution au problème des
micropolluants. « Les boues sont injectées en haut et séjournent pendant un
temps déterminé à chaque étage, avec des
conditions spécifiques d’oxygénation et
de température, pour arriver en bas au
produit souhaité. Avec des boues biologiques, on peut aller jusqu’à du biochar, en
produisant au passage du syngaz » affirmait récemment Olivier Bernat dans nos
colonnes (voir EIN 457).