Méthanisation des eaux usées et des boues : état des lieux
02 juin 2020Paru dans le N°432
à la page 97 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET et Pascale MEESCHAERT de EDITIONS JOHANET
Depuis 2014, on observe une véritable dynamique sur le marché de la méthanisation portée notamment par la réglementation qui favorise la valorisation des matières premières en produits de l’énergie. Collectivités, industriels et exploitations agricoles optent de plus en plus pour la méthanisation. État des lieux et retours d’expériences
Les stations d’épuration, qu’elles soient urbaines ou industrielles, se découvriraient-elles de nouvelles affinités en matière de méthanisation des boues issues des eaux usées ?
Partout sur le territoire français des unités de méthanisation de toutes tailles apparaissent. Au 1er janvier 2019, l’Ademe recensait 710 unités de méthanisation sur le territoire national, tous marchés confondus (agricole, territorial, industriel, steu), ce qui constitue une tendance nettement à la hausse puisque le nombre d’unités opérationnelles s’élevait à 514 en 2017.
Et ce n’est pas fini ! La filière pourrait être boostée pendant une décennie, selon la même source 1.700 unités de méthanisation sont prévues en 2030 et devraient favoriser la création de quelques 15.000 emplois dans le secteur ! Le phénomène n’est pas seulement franco-français. « On observe cette dynamique dans de nombreuses régions du monde, notamment dans les pays qui ont fortement investi ces dernières années dans des infrastructures de traitement des eaux usées, explique Nabil Mabrouk, Sales manager chez John Cokerill Proserpol. Plus on traite et mieux on traite, plus on favorise la méthanisation du fait, notamment, des quantités de boues produites. Même si c’est plus vrai en urbain qu’en industriel où l’on va plutôt réfléchir en termes de retour sur investissement grâce à l’exploitation du biogaz produit ».
« Il y a une vraie dynamique, confirme Vincent Chevalier, Directeur de marché transition énergétique chez Veolia, qui est naturellement portée par l’aboutissement des appels à projets lancés par les collectivités suite à l’autorisation réglementaire de 2014 d’injecter dans le réseau de gaz. L'ambition est d'avoir à horizon 2030, 10 % de gaz vert dans le réseau de gaz naturel. Les stations d'épuration représentent 10% du potentiel gaz vert en France. Si on regarde notre cœur de métier, c’est-à-dire les stations d’épuration au sens large sur la France entière, on exploitera pour le compte des collectivités, plus d'une quarantaine d’exploitations à horizon 2021 et une dizaine d’installations industrielles. Auxquelles se rajoutent plusieurs installations territoriales gérant plusieurs types de déchets. Sur le même périmètre, notre parc opérationnel s’élevait à 26 installations en 2017, autant dire qu’il s’agit d’un quasi doublement en 4 ans ».
Selon GRDF, le prévisionnel à 2023 est d'un peu plus de 70 stations d'épuration qui seront capables d'alimenter le réseau de gaz français en gaz vert et plus de 90 sites en 2030 pour une capacité de production globale comprise entre 1 et 1,5 TWh ce qui correspond à environ 10 % de l'activité globale de la filière biométhane via méthanisation en France.
A ce jour, ce sont d'ores et déjà 17 steu qui injectent au réseau gaz pour plus de 160 GWh/an de capacité installée équivalent aux besoins de plus de 27.300 nouveaux logements (RT 2012) ou 645 bus ou BOM roulant au bioGNV. Les capacités de production de ces 17 STEU sont variables de quelques GWh/an à plus de 20 GWh/an.
Le Service Public de l’Assainissement Francilien (SIAAP), en charge du transport et du traitement des 2,5 millions de m³ quotidien d’eau usée de la région parisienne au travers de l’exploitation de plus de 400 km de réseau et de 6 stations d’épuration, revisite également sa stratégie de gestion énergétique. « Les réflexions et travaux en cours n’ont pas pour unique objectif de tendre vers une plus grande autonomie énergétique des usines. L’idée est de dégager un volume excédentaire de biogaz en vue d’une réinjection », annonce Sam Azimi, Directeur adjoint de l’Innovation au SIAAP. Outre la refonte de la filière de digestion de la station Seine Aval, d’une capacité de production annuelle de près de 60 millions de Nm³ de biogaz, le SIAAP a également orienté sa stratégie d’innovation en ce sens, notamment au travers du programme de recherche Mocopée. « En collaboration avec les principaux acteurs scientifiques du monde de la méthanisation et en lien avec des associations partenaires comme le clusters Eau Milieux Sol, nous étudions activement les nouvelles voies de production de biogaz à partir des gisements organiques en mélange avec les boues d’épuration » complète Vincent Rocher, Directeur de l’innovation du SIAAP. Les connaissances issues de cette activité de recherche permettent, entres autres, de nourrir et d’accompagner le projet d’innovation que le SIAAP a entrepris en partenariat avec l’agence métropolitaines des déchets ménagères (SYCTOM), le projet Cométha et ses 90 millions d’euros d’investissement.
Même son de cloche chez Suez qui investit 120 millions d’euros en R&D par an et dédie 3 laboratoires à la méthanisation : “METHA’Lab” en tant que plateforme d’expertise, “WASTE’Lab” pour le traitement et à la valorisation des déchets, “BioRessourceLab” pour la valorisation des déchets organiques biodégradables en partenariat avec le laboratoire de biotechnologie de l’environnement Inrae. Le groupe exploite de son côté plus de 50 unités de méthanisation des boues de stations urbaines et 5 unités de méthanisation de déchets. Et les projets sont nombreux. « Nous avons identifié une soixantaine d’appels d’offres à venir dans les 5 ans en collectivités territoriales. La méthanisation existe depuis 40 ans sur les stations d’épuration, mais depuis 2014, elle connaît un nouvel essor, car les collectivités ont aujourd’hui la possibilité de mieux valoriser le biogaz en l’injectant au réseau sous forme de biométhane. Nous sommes toutefois inquiets quant à la baisse annoncée des tarifs biométhane pour les steu. Le développement d’une méthanisation en collectivité est long compte tenu du processus d’achat public (environ 4 à 5 ans), alors que les collectivités se sont lancées dans la dynamique depuis 2014, certains de ces appels d’offres n’aboutiront probablement pas si la baisse des tarifs d’achat est trop importante » estime Christelle Metral, Chef de Marché Transition Energétique et Economie Circulaire pour l’activité Eau France de Suez.
Ces baisses tarifaires inquiètent également Philippe Spannagel, Directeur général délégué du Groupe Keon, positionné sur le marché agricole, territorial et industriel, qui maîtrise l’ensemble de la chaine de valeur de la filière méthanisation à travers les sociétés Naskeo pour la construction des unités, Sycomore pour la maintenance et l’exploitation et Ter’Green pour l’investissement dans les projets de biométhane : « La visibilité est un facteur essentiel de notre métier qui reste assez complexe, explique-t-il. Entre les études de faisabilité technico-économique, les permis de construire et les autorisations d’exploiter, les projets nécessitent un temps de développement relativement long. Nous avons besoin de visibilité pour les sécuriser sur le long terme. Or, le gouvernement vient d’annoncer un objectif de 6 TWh de biométhane injecté en France en 2023 contre 1,2 actuellement. Pour cela, les engagements initiaux ont été revus à la hausse avec un prix d’achat du biométhane à 75 €/MWh en 2023 contre 67 € initialement. Cela reste encore 20 € inférieur au prix actuel et la filière va devoir travailler sur la réduction des coûts de production afin de maintenir un équilibre économique satisfaisant, d’autant plus que la baisse du prix du gaz vert doit se poursuivre pour atteindre un prix moyen de 60 €/MWh dans dix ans. Nous pensons que le rythme est trop rapide au regard du temps long requis par les projets, notamment ceux déjà signés. L’équilibre d’un projet dépend de nombreux facteurs, c’est à chaque fois une histoire particulière. Nous avons besoin de visibilité et de stabilité ». Outre les évolutions tarifaires qui préoccupent l’ensemble des acteurs de la filière, d’autres perspectives, en matière réglementaire, inquiètent les professionnels. Philippe Spannagel cite par exemple l’obligation pour les méthanisations agricoles et territoriales d’hygiéniser systématiquement, au-delà d’un certain volume, tous les intrants. « Une disposition de ce type nécessiterait des investissements lourds et des OPEX élevés, ce qui pourrait impacter durablement la performance des projets », souligne-t-il.
Des motivations diverses
Malgré tout, de nombreux facteurs encouragent les acteurs de la gestion des eaux usées en France (gestionnaires, exploitants, et équipes de R&D) à ne plus traiter simplement les eaux. La réactualisation de l’enquête de 2012 « la digestion des boues de stations d’épuration françaises », menée par Inrae et le GRAIE en 2018, démontre que les collectivités s’orientent de plus en plus vers la méthanisationn car elle présente le double avantage de réduire le volume des boues à évacuer, et de produire du biogaz. « Sur le parc des 35 stations d’épuration françaises ayant répondu à l’enquête, on relève que la méthanisation n’est pas considérée uniquement comme un moyen de produire de l’énergie à partir de la biomasse contenue dans les boues, mais en tout premier lieu comme un procédé qui réduit la production de boues. Les digesteurs permettent de valoriser une grande diversité de déchets organiques, y compris les déchets graisseux ou très humides en un concentré d’azote, de phosphore et de micro-organismes, qui pourront être épandus en guise d’engrais. Ce sont donc autant de déchets en moins à incinérer et à transporter en décharge soit des gains d’exploitation non négligeables », analyse Jean-Marc Perret, ingénieur en charge de l’étude à l’Unité de Recherche REVERSAAL d’Inrae Lyon.
Les résultats du questionnaire lancé auprès des 96 stations d’épuration françaises équipées d’un digesteur montrent en effet que les installations permettent de réduire jusqu'à 40 % les volumes des boues dans le cas de boues très organiques (cas des boues mixtes) avec des temps de séjour moyen de l'ordre de 32 jours. « La partie réduction des déchets est fondamentale, poursuit Vincent Chevalier chez Veolia. Elle guide le choix de la solution. Plus la gestion des boues coûte cher, plus la méthanisation a du sens. Aujourd’hui, la notion de retour au sol des boues devient un sujet très sensible dans les cahiers des charges . Il faut aussi noter que les exigences associées au retour sol des matières organiques seront renforcées d'ici juillet 2021. Le coût va donc augmenter, l'enjeu de réduire la quantité deviendra encore plus pertinent ». Selon l’Ademe, le coût de traitement aval des déchets par méthanisation est de l’ordre de 50 € la tonne, contre une centaine d’euros pour l’incinération ou le stockage des déchets non dangereux.
Jugés compatibles avec les matières organiques du sol, les digestats solides peuvent donc être valorisés pour l’épandage agricole, directement ou après compostage. SEDE Environnement, Ovive, Setec énergie environnement, proposent des solutions opérationnelles à cet égard. Plusieurs procédés peuvent être couplés à la méthanisation et permettent d’hyginéniser les boues avant un retour au sol. Suez biologique Digelis™ BH, l’hydrolyse thermique Digelis™ TH ou l’Ultra-déshydratation Dehydris™ Ultra. Ces procédés apportent une sécurité sanitaire supplémentaire pour le retour au sol.
Grâce au couplage de l'hydrolyse thermique et de la digestion anaérobie, Bio Thelys™ de Veolia Water Technologies, offre des performances supérieures à une digestion classique, et permet d'optimiser le traitement des boues, en produisant 25 à 35 % de matières sèches en moins et 30 à 50 % de biogaz en plus. « Les boues déshydratées subissent une phase d'hydrolyse thermique en batch, durant laquelle de la vapeur est injectée, dans des réacteurs opérant sous des conditions spécifiques de pression (9 bar) et de température (165 °C) pendant environ 30 minutes » explique Germain Bredin, expert Boue - Direction technique FBS chez Veolia Water Technologies. « L'hydrolyse thermique est réalisée sur tout ou partie du flux de boues avant digestion. Cette configuration permet de diviser par 2 à 3 le volume des digesteurs, de réduire la quantité de boues et garantir leur hygiénisation tout en augmentant la production de biogaz. Il est alors possible de soulager un digesteur saturé et de doubler sa capacité de traitement. L'installation d'un digesteur supplémentaire peut ainsi être évitée ».
Rentabiliser la méthanisation même sur des usines de petites tailles
Alors que l’accélération des projets de méthanisation est inscrite dans le Plan Climat Air-Énergie Territorial (PCAET) applicable à l’ensemble des intercommunalités de plus de 20.000 habitants, il n’est pas rare d’entendre dire que la filière considérée « à haute performance matière, énergétique et environnementale » requiert toutefois une taille critique, et que son efficacité sur des petites structures reste à démontrer en l’absence de quantité suffisante de déchets.
« De mon expérience, parler de rentabilité pour un projet de méthanisation dans le cadre du service public de l’épuration des EU ne me semble pas approprié, estime Jacques Wiart, méthanisation, Ingénieur Expert national à l’Ademe. Cela fait sens dans le secteur privé, comme un choix possible de projet par rapport à d’autres choix possibles, mais pas dans le cadre de service public : ici il s’agit de retenir la filière la “mieux-disante environnementale” pour traiter les boues et assurer leur meilleur traitement intermédiaire, avant le chaînon suivant de valorisation ou d’élimination finale. Tout en restant dans une optimisation et une maîtrise de la dépense publique, et in fine un prix de l’eau acceptable par l’usager. C’est dans cette logique que le processus de décision doit intervenir, la problématique PCAET ou TEPOS pouvant être un argument supplémentaire pour les élus ».
En deçà de 20.000 EH, la méthanisation ne serait donc pas la plus pertinente par comparaison avec une filière aération prolongée. Veolia Water Technologies propose ses solutions d’hydrolyse thermique positionnées en amont ou en aval de la digestion. « 17 sites au travers le monde sont équipés des technologies BIOTHELYS® et EXELYS®. Le séchage thermique BIOCO® reste toujours une alternative pertinente pour l’hygiénisation et la réduction des tonnages de boues évacués », rappelle Germain Bredin, Expert Boue à la direction technique FBS chez Veolia Water… Sauf richesse particulière de l’EPCI.
« Nous pouvons qualifier l’efficacité d’une méthanisation par la réduction de matière qu’elle permet et la production de biogaz. Plus les intrants sont organiques et facilement méthanisables plus la production de biogaz et la réduction de matière sont importants. Ainsi, l’efficacité de la méthanisation n’est pas une question de taille de steu mais de type de boues ou plus largement de qualité d’intrants » nuance Christelle Metral chez Suez.
Ainsi, la diffusion des procédés de méthanisation est souvent fonction des contextes locaux en termes de contraintes de rejets, de coûts d’élimination des boues et de conditions de rachat de l’énergie produite à partir de biogaz. Au plan quantitatif, l’anaérobie couvre facilement les besoins industriels : des unités susceptibles d’éliminer jusqu’à 500 t/jour de DCO peuvent être mises en service. Le problème réside plutôt dans le domaine des petits besoins, inférieurs à 1 t/jour.
De nombreux acteurs de la méthanisation comme Aqua Corp, Suez, OTV, filiale de Veolia, CMI John Cokerill, Groupe Keon, Valgo Innovative Upcycling, Exonia, Idex Aquaservices, Ovive, Solagro, SEDE, filiale de Veolia ou encore Aeroe développent depuis de nombreuses années des savoir-faire spécifiques permettant de valoriser la matière organique contenue dans les eaux usées et les boues pour produire du biogaz. Ces acteurs démontrent qu’il est possible de rentabiliser des process de méthanisation, même sur des usines de petites tailles. C’est vrai dans l’industrie, notamment agroalimentaire. Naskeo, créée en 2005, revendique une cinquantaine de clients en France dont 40 à 45 en exploitation, aussi bien en voie sèche qu’en voie liquide, tandis que CMI John Cokerill cite plusieurs dizaines de références en France mais aussi à l’étranger. Mais c’est également vrai en urbain. Les exemples des unités de Folschviller 30.000 EH ou de Weyersheim 30.000 EH construites par Suez avec valorisation du biogaz par cogénération en témoignent. « La taille critique est dépendante du mode de valorisation du biogaz, observe Christelle Metral. En effet, les coûts de location des postes d’injection biométhane au réseau (location à Grdf) sont fixes quel que soit le débit injecté. Sur les installations de petites tailles, les recettes de vente de biométhane ne compensent pas le coût de location du poste d’injection. Ainsi, la taille critique pour la valorisation du biogaz sous forme de biométhane avec injection au réseau est d’environ 35.000 EH. En dessous il est préférable d’envisager une valorisation par cogénération. La cogénération est une solution moins vertueuse que l’injection au réseau, le rendement de récupération d’énergie est nettement plus faible, l’énergie du biogaz est transformée en électricité (environ pour 30 à 35 %) et en chaleur (environ 45 à 50 %). Il est souvent difficile de valoriser la chaleur toute l’année, une partie de l’énergie est donc perdue. L’interdiction de mélanges des boues et des biodéchets constitue aujourd’hui un frein au développement des petites installations ».
Parmi les postes de charges d'exploitation les plus importants en méthanisation se trouvent la main d’œuvre, les dépenses d'électricité (agitation process, épuration biogaz) et les coûts de maintenance.
SEDE, en tant qu’exploitant, s'est penchée sur le sujet de l'optimisation des coûts opérationnels pour ses propres besoins en premier lieu, sur son installation SAS MEETHA à Soudan (44) et propose ainsi aujourd'hui des services à la méthanisation permettant d'optimiser ces coûts d’exploitation. Ronan Tréguer, Responsable Développement Méthanisation pour SEDE, explique ainsi : « Nous avons fait le constat concernant ces charges d'exploitation sur nos propres sites, et compris les nombreuses problématiques de croûtage, de difficultés d'incorporation de matières ou d’agitation, rencontrées chez des installations partenaires ou clients. Sur cette base, nous avons voulu développer une solution permettant de fluidifier la matière organique dans les ouvrages, et ainsi réduire le coût d’agitation à court terme, puis le coût de maintenance à long terme. C'est ainsi que nous sommes arrivés à MethaZyme, un service innovant à base d’enzymes. Cette solution est également particulièrement adaptée au marché français de la méthanisation qui s'appuie grandement sur des technologies en voie liquide avec des réacteurs infiniment mélangés. Si la filière méthanisation souhaite optimiser ses coûts comme attendu par le ministère, elle va devoir faire appel à de telles voies d’optimisation opérationnelle dans un futur très proche ».
Co-méthaniser en mutualisant les intrants
Malgré les restrictions réglementaires qui pèsent sur certains mélanges d’intrants, notamment les boues avec les biodéchets triés à la source, il reste cependant possible de réaliser, avec l’accord des préfectures, certains mélanges, notamment les déchets d’assainissement (boues et graisses urbaines et industrielles). « Le co-traitement avec des autres déchets organiques fait sens techniquement. Mais malheureusement, il devient vite compliqué, réglementairement parlant. Exigence d’hygiénisation, problème du retour en tête du traitement du centrifugat des digestats ; cahier des charges d’acceptation des digestats sur terres agricoles, etc. etc. Toutefois, si ces déchets organiques sont marginaux en quantité, le co-traitement avec les boues doit être possible, la filière finale de valorisation des boues n’étant pas perturbée vraiment », rappelle Jacques Wiart de l’Ademe.
Les sites qui méthanisent des intrants externes entrent alors dans le cadre des installations classées et sont soumis à la rubrique ICPE 2781.
Des solutions de mutualisation des intrants se mettent en place à l’échelle des territoires. « La co-méthanisation permet de sécuriser les intrants, c’est-à-dire de ne pas être dépendant d’une seule source et de créer des synergies dans les départements et les régions », souligne Nabil Mabrouk chez John Cokerill. La méthanisation dite territoriale agricole, c’est le cœur de métier de Naskeo, filiale du groupe Keon, qui s’est également diversifié vers des projets industriels, notamment en agroalimentaire. L’entreprise n’exploite pas à l’heure actuelle de méthaniseur sur station d’épuration mais pratique couramment la co-digestion. « Nous avons une solide expérience en co-digestion de boues d’épuration mélangées avec des déchets agricoles, des biodéchets, etc… », explique Philipe Spannagel, Groupe Keon. « Plusieurs collectivités ont lancé des projets de méthanisation territoriale visant à mixer des boues avec d’autres types d’intrants sur leur périmètre. C’est par exemple le cas de la future usine du SIARNC à Villiers St Frédéric opérée par Suez. Cette usine d’une capacité de 42.000 EH, actuellement en cours de travaux méthanisera les boues et graisses de plusieurs usines du Syndicat » poursuit Christelle Metral. « C’est aussi le cas du projet de la station urbaine de la communauté d’agglomération de Valence Romans qui regroupe en un seul site les boues de trois stations d’épuration. Elles vont être gérées de manière mutualisée sur un seul et même endroit, la steu de Valence, ce qui va permettre d’atteindre une taille critique et donner une réalité économique à ce projet » souligne Vincent Chevalier, chez Veolia. L’approvisionnement de l’unité de méthanisation recevra entre 4.700 et 5.100 tonnes de matières sèches par an. Les déchets reçus sur le digesteur sont des produits ou sous-produits issus de l’assainissement : les boues des trois stations d’épuration et des graisses. La méthanisation qui est réalisée par voie humide, de type mésophile sera réalisée dans un seul digesteur de 5.000 m³. A l’horizon 2035, l’unité de méthanisation produira en routine 1.500.000 Nm³ de biogaz et 1.000.000 Nm³ de biométhane. « La communauté d’agglomération Valence Romans agglo s’est inscrite d’autant plus facilement dans le cadre du projet que cela lui permettait de revisiter la gestion des boues de l'ensemble de son périmètre et de créer un projet fédérateur pour le territoire ».
De nombreux bureaux d’études et conseils spécialisés dans le traitement et la valorisation des déchets et des effluents accompagnent les maîtres d’ouvrage dans la mise au point des procédés les plus adaptés. Ils développent des expertises spécifiques dans l’application des traitements biologiques et plus particulièrement dans la production et l’utilisation du biogaz des outils. C’est le cas de SEDE Environnement, filiale de Veolia qui s’inscrit dans des partenariats de longue durée avec les collectivités et les industriels, mais aussi d’Antea Group, de Burgeap, ou d’EREP, qui bénéficient d’une solide expérience de la filière.
Bien caractériser les intrants
La méthanisation reposant sur un processus biologique plus complexe qu’il n’y parait, la caractérisation des intrants est fondamentale pour définir le procédé et le dimensionnement des installations. « Les boues biologiques n’ont pas un potentiel méthanogène très important, rappelle Jean-Marc Perret, en charge de l’enquête menée par Inrae et le GRAIE. Le fait de mettre un traitement primaire en amont permet d'extraire des boues primaires composées de matières en suspension organiques plus fermentescibles ». Sur les 36 stations ayant répondu à l’enquête, la concentration des matières en suspension recensée s’établit de 27 à 64 g/l ; le taux de matières volatiles sèches (MVS) varie entre 65 et 86 %. Le pH de 5,4 à 7,8.
Les résultats de l’enquête montrent que la filière eau a un impact très important sur la filière boue. Les procédés de prétraitement à boues activées sont privilégiés à 49 %, suivis par les procédés de biofiltration (40 %), et de culture fixée (11 % MBBR).
« Les usines produisant 100 % de boue biologique, avec un pouvoir méthanogène moindre que les boues primaires, ont besoin d’un coup de pouce. Les usines de Bruxelles Nord en 2007 ou Château Gonthier en 2007 avaient été traitées sur ce principe. L’effet de la lyse thermique sur les boues biologiques est d’avantage bénéfique que pour les boues primaires qui se dégrade très bien naturellement. Le principe de concentrer les “efforts énergétiques” uniquement sur les boues biologiques a été appliqué sur les usines en construction par OTV de Ginestous et Bonneuil pour maximiser le solde de biogaz valorisable » précise Germain Bredin.
« Sur une installation ne disposant pas de traitement primaire et produisant exclusivement des boues d’aération prolongée, un conditionnement thermique à plus de 150 °C complémentaire est pertinent, soit à l’amont du méthaniseur (procédé d’hydrolyse thermique Digelis™ TH) ou à l’aval (procédé d’ultra-déshydratation Dehydris™ Ultra), poursuit Christelle Metral chez Suez. Sur des intrants fibreux difficiles à dégrader comme les matières végétales de type fumier, pailles, cannes de mais, CIVE…. les temps de séjour dans les méthaniseurs doivent être adaptés jusqu’à 50 voire 60 jours alors que sur des boues d’épuration les temps de séjour sont de 18 à 20 jours voire moins avec certains procédés comme la méthanisation thermophile à 55 °C ou l’hydrolyse thermique. Sur des intrants chargés en azote (exemple les biodéchets), la concentration en azote dans le méthaniseur est à suivre de près car elle peut amener à des phénomènes d’inhibitions de la biologie dans le digesteur ».
Précurseur en 2008 avec le lancement des tout premiers titrateurs Biogaz, Hach est le spécialiste reconnu en Europe de l’analyse de fonctionnement du fermenteur et de sa variation. Les solutions développées se basent sur la méthode de Nordmann pour calculer automatiquement le rapport FOS/TAC ou AGV/TAC dans le digestat, actuellement considéré comme l’indicateur de référence pour le suivi d’un digesteur. Sa valeur permet de définir la bonne action à entreprendre pour un rendement optimum et la sécurité de l’installation. L’AT1000 Biogaz de Hach permet d’obtenir une information immédiate sur l’état de l’installation pour anticiper tout dysfonctionnement éventuel et maintenir constamment un rendement optimal. Il constitue une solution complète clé-en-main pour déterminer de manière simple et rapide les variations du rapport FOS/TAC (ratio acides organiques volatils et capacité tampon) d’un digesteur.
Les analyseurs en ligne de la série EZ de Hach fournissent plusieurs options pour mesurer le taux d'acides gras volatils l’alcalinité, dans les digestats’. Ils sont principalement utilisés pour le traitement anaérobie des eaux usées et des boues et pour les réacteurs de digestion anaérobie pilotes. Conçu pour effectuer des tests terrain dans les conditions les plus exigeantes, le spectrophotomètre DR 1900 du fabricant offre une bonne flexibilité grâce à sa prise en charge d’une large gamme de tests, dont l’ammonium.
Sous son boîtier robuste, le DR 1900 intègre la grande majorité des méthodes courantes préprogrammées. Il permet également aux techniciens de créer ses propres méthodes.
Soigner l’exploitation
Sécuriser l’exploitation, c’est l’un des objectifs privilégiés par les acteurs de la filière. Depuis une dizaine d’années, l’évolution est claire. Si le niveau de professionnalisme monte en puissance, les opérateurs et les concepteurs doivent continuellement appliquer les mesures de sécurité à toutes les phases de développement du projet. « Suivre l’état de santé du méthaniseur est un élément clé, un méthaniseur est un organe vivant. Il est nécessaire d’éviter toute “ indigestion”, de respecter un rythme régulier d’alimentation, d’éviter les à-coups de charge qui peuvent entraîner des moussages, d’éviter ou de limiter les intrants qui peuvent entraîner une inhibition du processus biologique, détaille Christelle Metral. Toute dérive sur les indicateurs de gestion constitue une alerte pour l’exploitant qui doit alors ajuster ses paramètres de fonctionnement. Les indicateurs de gestion principaux sont : l’Alcalinité (TAC), les Acides gras volatiles (AGV) et rapport AGV/TAC, qui sont des mesures à réaliser à minima 1 fois/semaine. Le pH, qui doit se situer entre 7 et 7,5. La teneur en MV du digestat en sortie, une augmentation pouvant être un indicateur d’une baisse de l’oxydation dans le méthaniseur. La production de biogaz et sa composition (la production de biogaz devant être suivie via un débitmètre massique), la teneur en CH4 mesurée avec un analyseur fixe ou avec un analyseur portable à minima 2 fois par semaine. Et enfin les moussages par un contrôle visuel au quotidien ».
Le souci d’optimiser l’exploitation a conduit à l’émergence de structures dédiées. L’aide à l’exploitation, voire l’exploitation pure, c’est par exemple le métier de Sycomore, une filiale du groupe Keon crée en 2014 pour développer une expertise au service des exploitants sur l’ensemble du parc français. « Sycomore travaille à la fois sur le gisement, sur l’optimisation des process, sur la maintenance, l’organisation et la formation », souligne Philipe Spannagel.
Car la formation est bien entendu essentielle. En partenariat avec la région Auvergne Rhône Alpes et GRT gaz, dans le cadre du cluster Energie Tennerdis, Veolia travaille à l’élaboration d’une formation pour les exploitants de méthanisation de steu ayant pour but de prendre en compte toutes les dimensions d’une exploitation réussie, performante et sécurisée.
De nombreuses innovations en amont comme en aval de la filière
Bien sûr, la méthanisation des eaux usées et des boues, pratiquée depuis une cinquantaine d’années, se situe davantage dans une phase d’industrialisation que d’innovations. Mais, des champs d’innovations existent encore à l’amont et à l’aval des process, tant pour maximiser la production de gaz, que pour produire des résidus facilement valorisables, et atteindre ainsi plus facilement l’équilibre économique.
Nabil Nabrouk, chez John Cokerill Proserpol, note d’importantes avancées en matière de prétraitement. « De nombreux travaux de recherches sont centrés sur les prétraitements à mettre en œuvre avant la phase de digestion pour augmenter le pouvoir méthanogène des boues, explique-t-il. Beaucoup de laboratoires et certains essais pilotes sont d’ores et déjà en place pour tenter, par le bais des prétraitements, de mieux exploiter les matières fermentescibles contenues dans les effluents et les boues et rendre ces matières plus disponibles pour les bactéries méthanogènes ».
De fait, les rendements progressent. « Les retours d’expérience tels que celui de la steu d’Anger (cf. encadré) montrent qu’un pas très significatif vers l’autonomie énergétique des collectivités est engagé. Par ailleurs, la méthanation qui permet à partir de gaz de synthèse de produire du gaz renouvelable est en train d’être explorée », note de son côté Vincent Chevalier chez Veolia.
Le projet Cométha, fruit du partenariat d’innovation pour la co-méthanisation des ressources organiques du SIAAP et du Syctom est assez emblématique de ce qui se fait actuellement en termes d’innovations. Entré en phase 2 en début d’année 2020, il se fixe trois ans pour concevoir, construire et exploiter une ou deux unités pilotes de co-méthanisation. Deux groupements lauréats ont été retenus. Le premier rassemble Tilia, GICON France-Biogaz, DBFZ, Fraunhofer IGB et le second John Cockerill, Sources, UniLaSalle et UTC.
« Depuis la création de l'entreprise, il y a plus de 25 ans, GICON® s'est concentrée sur le développement de technologies innovantes et a établi une étroite collaboration avec des instituts de recherche parallèlement à la conduite de ses propres projets de recherche. Grâce à ce savoir-faire unique et à des infrastructures permettant d’effectuer des tests sur des substrats de toutes sortes, nous avons pu développer, en collaboration avec les autres membres de notre groupement, une solution sur mesure pour le traitement et la valorisation des déchets et des boues parisiens. C'est un excellent exemple de recherche appliquée », se félicite le directeur général de GICON®, Dr. Hagen Hilse. « Ce nouveau type de marché public permet de répondre à des exigences et des besoins que le marché et les produits ou services existants ne pouvaient pas satisfaire auparavant », poursuit Christophe Hug, directeur général de Tilia. « Contrairement aux projets de recherche classiques, le projet Cométha ne se limite pas à la mise au point de solutions innovantes, mais il vise directement une mise en œuvre dans la pratique industrielle. Le client a alors la possibilité de travailler avec plusieurs partenaires et de tester différentes approches avant de choisir une solution ».
« L’ambition du projet, c’est de co-méthaniser les boues d’épuration produites par le SIAAP, avec des intrants solides tels que la fraction organique des ordures ménagères produites par le Syctom et d’autres intrants comme des graisses ou des fumiers équins, explique Nabil Mabrouk chez John Cokerill Proserpol. Cométha entend ainsi démontrer que ce mélange d’intrants peut déboucher sur un bilan énergétique et environnemental supérieur à celui atteint dans des filières séparées. Un autre enjeu important est de ne pas s’arrêter à la méthanisation des boues, mais de valoriser également le digestat en évitant les filières historiques de retour au sol qui sont de plus en plus contestées, aussi bien par les opinions publiques que par les évolutions réglementaires. Nous avons fait un an et demi de recherches en laboratoire pour explorer différentes voies de valorisation du digestat et parvenir à une solution fiable et pérenne ». Ce projet, potentiellement transposable, est regardé de très près par de nombreux autres pays européens désireux d’aller plus loin que tout ce qui se fait aujourd’hui dans le monde, c’est-à-dire ne pas s’arrêter au méthane et maximiser les valorisations en trouvant des solutions pour le digestat.
C’est également l’objectif du projet Méthacopée, initié par la Direction innovation du SIAAP et porté par les acteurs du programme Mocopée. « La réflexion porte sur la recherche de solutions adaptées pour maximiser la production de biogaz à partir des boues et de mix d’intrants, mais également à partir des digestats qui en sont issus » souligne Sam Azimi de la Direction Innovation du SIAAP. « Nos projets de recherche sur la production de biogaz, que ce soit en digestion par voie humide ou par voie sèche, ont débuté depuis plusieurs années maintenant. Je prends pour exemple le projet Valoéquiboue, en partenariat avec la ville de Maisons-Laffitte, qui nous a permis d’avancer sur les questions portant sur la digestion de boue d’épuration en mélange avec le fumier équin. L’objectif est aujourd’hui d’acquérir des compétences sur le traitement des digestats par différents procédés thermiques ; procédés qui produisent des gaz de synthèse, une autre voie pour la production de biogaz » complète Vincent Rocher, Directeur innovation au SIAAP.
Les procédés historiques et maîtrisés d’incinération ou d’oxydation par voie humide (OVH) permettant de réduire à sa seule fraction minérale la quantité de boues à disposer, les filières sur la valorisation du phosphore à partir des cendres, par exemple, sont en cours de développement et ouvriront de nouvelles voies de valorisation.
L’exploitation fait également l’objet de nombreuses innovations. « Les évolutions des besoins nous amènent à développer de nouvelles solutions pour répondre aux enjeux des territoires, explique ainsi Christelle Metral chez Suez. Par exemple, notre dernière innovation, le Dehydris™ Ultra, est un procédé d’ultra-déshydratation qui intègre une étape de carbonisation hydrothermale. Il permet de produire un Biochar à 65 % avec 3 à 4 fois moins d'énergie qu'un sécheur thermique. Ce biochar peut être valorisé soit en retour au sol (produit hygiénisé), soit en co-incinération sur les UVE (pouvoir calorifique équivalent aux ordures ménagères). Dehydris™ Ultra permet de réduire les quantités de boues produites de 75 % en produisant une nouvelle ressource. Couplé à une méthanisation, il permet de produire environ 30 % de biogaz supplémentaire ».
L’innovation se nourrit également de la digitalisation de certains procédés. Pour le retour au sol des digestats et plus largement des boues, sur le principe de la BlockChain, Suez avec SludgeAdvanced™ ou Veolia avec Suivra offrent des plateformes accessibles à tous les acteurs de la chaine de valorisation (exploitants, agriculteurs, collectivités), qui permet d’assurer la traçabilité des boues, la transparence et l’accès aux données en temps réel.
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