Parce qu’il s’accommode mal de solutions types, parce que les situations s’apprécient bien souvent au cas par cas, parce qu’il résulte parfois d’une association de procédés, le traitement des lixiviats fait l’objet de nombreuses expérimentations qui enrichissent régulièrement le panel des techniques disponibles. État des lieux.
En France, on compte plusieurs milliers d’installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND).
Or, on sait que tout massif de déchets génère des effluents potentiellement chargés en diverses substances polluantes. Nommés “lixiviats”, ces derniers doivent absolument être récupérés et traités. Diverses méthodes de traitement coexistent aujourd’hui car les lixiviats sont des effluents éminemment complexes et hétérogènes qui peuvent nécessiter un traitement poussé et au cas par cas.
En effet, ils résultent de multiples interactions entre eau et déchets à travers lesquels ils percolent, et d’enchaînements tout aussi complexes de processus aérobies et anaérobies au coeur même de la biomasse. Composition, conditions climatiques, durées de stockage… tous ces paramètres et bien d’autres encore entrent aussi en jeu dans la nature et la quantité de lixiviats produits.
Voilà pourquoi, de nombreux acteurs proposent d’abord
des études permettant de caractériser précisément le lixiviat auquel on a affaire.
« La problématique de ce type d’effluent réside
surtout dans la variation des débits en fonction des précipitations, avec des charges
diluées en temps de pluie et très concentrés en temps sec, et dans la nature même
des effluents “DCO dure” très élevée », confirme Christophe Lichtle, gérant
de la société Isma connue pour son aérateur WBL à vis hélicoïdale sur flotteurs
pour lagunes.
« Pour comparer
les procédés de traitement des lixiviats, il faut comprendre qu’ils sont caractérisés
par une forte charge en ammonium et en DCO dure, explique de son côté François
Morier chez CMI Proserpol. Cela veut dire
que trois voies principales s’ouvrent dans la myriade des procédés : une voie biologique
complète avec apport extérieur de carbone et un traitement de finition, une voie
membranaire avec la problématique de l’azote et la gestion du concentrat et en règle
générale pour les plus faibles débits ou les préconcentrats membranaires, une voie
thermique qui devra gérer si nécessaire la problématique ammoniacale et aussi le
devenir des concentrats résiduels. Les trois voies peuvent évidemment s’enchaîner
naturellement ».
La voie biologique
profite des avancées des techniques membranaires.
En amont, le traitement se compose très souvent d’une première phase biologique, notamment quand les lixiviats sont jeunes ou non stabilisés, à la charge organique principalement constituée d’acides carboxyliques parfaitement biodégradables. C’est donc généralement une étape très efficace pour éliminer la pollution carbonée (DCO, DBO5) et azotée (NH4 +) des lixiviats jeunes biodégradables.
Plusieurs sociétés développent ainsi des bioréacteurs biologiques classiques, séquentiels ou à membrane. C’est par exemple le cas chez Hytec Industrie : « nous avons par exemple réalisé une installation de dénitrification par voie biologique comprenant deux réacteurs avec biomasse fixée immergée en anoxie, illustre Laurent Larcher, Directeur commercial. Une dénitrification biologique et une oxydation biologique, sur deux réacteurs Bioclean® précédées d’une oxydation chimique, permettent un rendement total sur la pollution azotée et une bonne performance sur la DCO dure ». Parmi les avantages du procédé, sa compacité, sa simplicité d’exploitation et son rendement épuratoire.
Chez Ovive, les solutions développées s’articulent autour du “Biomembrat”, un bioréacteur avec clarification par membranes d’ultrafiltration. « Le traitement biologique permet un réel traitement de la pollution, en comparaison à des traitements thermiques, physico-chimiques ou par osmose inverse directe, qui sont des outils de concentration, la pollution étant traitée sur un autre site, avec les problématiques de transports associées », estime-t-on chez Ovive. Toutefois, ce traitement biologique est très souvent complété par l’ajout de charbon actif en grain (CAG) dans le réacteur biologique.
Ce charbon actif va créer un support pour fixer la biomasse et permettre l’adsorption de ces composés et substances. Le Biomembrat+ ®, dédié au traitement de fortes charges polluantes difficilement biodégradables repose sur une biologie, des membranes d’ultrafiltration externes et une finition sur membranes fines type nanofiltration ou bien osmose inverse. Sur ce type d’application, la plupart des BRM utilisent des modules externes équipés de membranes tubulaires « lisses ».
Cette approche est amenée à évoluer du fait de la présentation sur le marché par Pentair d’une nouvelle génération de membranes tubulaires présentant une forme hélicoïdale sur leurs parois internes en contact avec l’effluent.
Cette nouvelle technologie est baptisée Helix et s’intègre sur les modules externes. La forme hélicoïdale permet la création de zones de turbulence du fluide à la surface des membranes et ainsi apporte une solution au problème de l’encrassement des membranes sans qu’il soit nécessaire de recourir à une vitesse tangentielle importante. La technologie Helix améliore les performances des membranes tubulaires « lisses » de 20 à 50 % et parfois même davantage.
Testée en conditions
réelles aux Pays-Bas (voir EIN n° 383), il a été constaté une augmentation du rendement
de l’installation de près de 100 % par rapport à l’installation initiale, permettant
ainsi une diminution de la consommation énergétique de l’installation par m3 d’eau
usée traitée.
Les solutions
physico-chimiques : faire face à des composés réfractaires.
Mais qu’ils soient aérobies ou anaérobies, les traitements biologiques sont moins efficaces sur des lixiviats stabilisés ou vieillissants. En cause notamment, une forte concentration en azote ammoniacal qui inhibe l’activité des microorganismes. Variations de pH, de température, substances toxiques… Bien d’autres facteurs peuvent également réduire l’efficacité de la voie biologique.
Voilà pourquoi, cette dernière est souvent associée à des traitements purement physico-chimiques particulièrement efficaces sur certains lixiviats stabilisés, lorsque l’on souhaite par exemple cibler un polluant spécifique, ou en traitement de finition.
De quoi éliminer les composés organiques réfractaires à l’épuration biologique et se rapprocher des normes de rejets. Dans la pratique, plusieurs techniques sont mises en œuvre par des acteurs tels que CMI Proserpol, Vivlo, Actibio, Firmus, Corelec Equipements, Atlantique Industrie ou Serep. La coagulation-floculation permet par exemple d’éliminer la matière organique colloïdale, les matières en suspension (MES) et les éléments métalliques… de quoi impacter la DCO mais aussi la couleur et la turbidité.
On utilise aussi l’adsorption, généralement sur charbon actif en poudre ou en grains, capable d’éliminer 50 à 90 % de la DCO et de l’azote, et les AOX jusqu’à moins de 1 mg.L-1.
Lorsque les lixiviats s’avèrent très chargés en composés organiques réfractaires
à toute dégradation biologique, on peut aussi recourir à l’oxydation chimique ou
photochimique. Et bien souvent, on assiste à une combinaison de techniques comme
chez Biome avec sa technologie Quadr’o associant procédés physico-chimiques par
agrégation et floculation, ultrafiltration à 0,14 µ, osmose inverse et charbon actif
si besoin.
Procédés thermiques
: toujours plus efficients
Toutefois, pour des débits en général faibles ou pour traiter des concentrats, ces procédés sont concurrencés par les procédés thermiques permettant une concentration maximale de la pollution.
Ces procédés reposent pour l’essentiel sur une étape de concentration par évaporation. « La principale tendance de ces dernières années et qui s’intensifie actuellement est aussi l’utilisation de chaleur dans le process de traitement des lixiviats car les sites sont encouragés financièrement à la valorisation du biogaz et de la chaleur des moteurs de cogénération le cas échéant », complète-t-on chez Ovive.
Face à ce contexte, l’entreprise développe des dispositifs de valorisation du biogaz par séchage des boues, prétraitement des lixiviats, évaporation d’une partie du rejet ou par évapoconcentration du concentrât d’osmose inverse ou de nanofiltration. KMU Loft propose lui ses évapoconcentrateurs des séries Prowadest®/1 Destimat® LE.
Le principe de fonctionnement, sans chauffage externe (eau chaude, vapeur, ou encore résistance électrique) ni pompe en contact avec l´effluent, repose sur une combinaison d’échangeurs thermiques spécifiques non sensibles à l´encrassement et d´un séparateur cyclonique qui évite de faire appel à certains produits chimiques. « Un de nos modèles concentre actuellement les lixiviats sur une usine de méthanisation de Brametot en collaboration avec Ovive, qui a pour but de revaloriser les ordures ménagères et de diminuer de 50 % leur enfouissement », illustre Jean-Lin Laurouaa, Directeur Ventes et Etudes chez KMU Loft France.
Les derniers développements, outre l’échangeur thermique dont les caractéristiques empêchant l´encrassement, concerne le système Best Dest®, un séparateur d´huile intégré pour obtenir une meilleure qualité de distillat, ou encore le système Turbo Defoarmer avec lequel il est possible de traiter et concentrer des effluents moussants sans avoir recours à l´ajout de chimie supplémentaire.
Chez Exonia, on propose la gamme d’évaporateurs à lixiviats Lixipack© qui assurent des taux de concentration jusqu’à 35-40 % de matière sèche. « Ces unités utilisent comme énergie motrice de l’eau chaude 90/70 °C issue de moteur ou de chaudière à eau chaude, indique Philippe Caurier, Directeur d’Exonia. Elles peuvent aussi fonctionner en tout électrique grâce à une compression mécanique de vapeur ». Liquipack® Atmo (50 à 2000 Kw), utilise l’eau chaude à partir de 45 °C ou la vapeur issue de groupe de cogénération.
Lixipack® sous vide, susceptible de concentrer jusqu’à 45 % de matière sèche avec un rejet liquide ou gazeux est alimentée en énergie par de l’eau chaude à 90° ou par une compression mécanique de vapeur. Qu’elle repose sur un fonctionnement atmosphérique, sous vide ou en CMV, la solution est livrée clés en main et containerisée, et ne nécessite qu’une exploitation réduite.
Chez Vivlo on construit, on vend et on loue des évaporateurs mobiles pour traiter les effluents de lixiviat. « Suivant les alimentations énergétiques et la gestion des déchets finaux, le coût du mètre cube d’effluent traité varie entre 0,50 € et 5 €, indique Julien Brochier, Directeur commercial. Et l’avantage principal des évaporateurs pour le traitement de lixiviat est de ne pas générer de déchets. Les concentrâts de l’évaporateur obtiennent des taux de matières sèches très élevés entre 40 et 50 % ».
Biome développe de son côté la technologie ESV par évaporation sous vide à recompression mécanique de vapeur couplée à une osmose inverse et des filtres de charbons actifs ; afin de répondre à une problématique énergétique et de valorisation, la société a aussi conçu le procédé Cogebiome par évaporation sous vide couplé à la production d’eau d’un moteur ou à une chaudière biogaz.
TMW a développé de son côté une technologie brevetée MHD (humidification déshumidification multi-étagée), reposant sur le principe d’une évapo-concentration mais à pression atmosphérique. La solution, baptisée Ecostill®, est livrée en conteneur prêt à l’emploi (location exclusivement).
Validée sur de nombreux types d’effluents industriels, notamment les effluents liquides toxiques et dangereux, elle a prouvé son efficacité sur le traitement des lixiviats, voire les concentrats de lixiviats issus d’un osmoseur.
L’absence de membranes dans le procédé Ecostill est un atout majeur pour maximiser le facteur de concentration : il est ainsi tout à fait réaliste de concentrer 5 à 6 fois le concentrat d’osmose, portant à 20 ou 25 le facteur de concentration globale. La solution peut, de plus, être particulièrement intéressante d’un point de vue énergétique.
Si le procédé
Ecostill est peu énergivore grâce à un procédé de récupération d’énergie faisant
partie intégrante du procédé, le complément d’énergie peut être issu d’une source
thermique locale, ou issu du biogaz généré sur le site. Les coûts opérationnels
sont, de fait, réduits considérablement.
Objectif “zéro
rejet”
« Une autre tendance concerne les normes de rejet : les sites se voient de plus en plus imposer zéro rejet liquide. Dans ce cas, nous travaillons soit une évaporation du rejet, soit une évapotranspiration par les plantes : le TTCR de saules (Taillis à Très Courte Rotation) », ajoute-t-on chez Ovive.
Serpol mise également sur le recours aux plantes avec Roseaulix, un traitement des lixiviats par lits plantés de roseaux, fruits de recherches menées avec l’Ademe. « Ce dispositif permet d’obtenir des rendements épuratoires supérieurs à 90 % pour un coût d’exploitation réduit de 10 à 20 €/ m3 », avance Jean-Luc Mangiacotti, Chargé de Développement.
Une station de traitement de ce type fonctionne avec succès depuis septembre 2011, pour le compte du syndicat intercommunal Organom sur le site du Plantay dans l’Ain. BlueSET développe également un procédé de traitement des lixiviats par un écosystème d’épuration naturelle utilisant la biodiversité locale.
La mise sur le marché est prévue au premier semestre 2017. CMI-Proserpol a développé pour des exploitants spécifiques, une technologie simple et robuste d’évapo-concentration qui s’apparente à celle de la tour aéroréfrigérante.
Elle permet, sur certains sites, de valoriser toute l’énergie de refroidissement des moteurs thermiques, qui produisent de l’électricité à partir du biogaz. En cas d’autorisation, le concentrat peut être recyclé, sinon il doit être traité hors site. Face à l’objectif du zéro rejet liquide, Biome a développé de son côté le procédé Evaptar® qui permet d’évaporer le perméat d’osmose ou de nanofiltration tout en valorisant l’énergie résiduelle de moteur biogaz.
Également spécialisée dans le traitement des effluents et la valorisation du biogaz, Aeroe propose aussi diverses solutions dont le panneau ouvert HBS 8 qui vient de remporter un appel d’offres dans l’Ouest Guyanais. « Le système HBS se base sur l’utilisation d’un support formé d’un panneau alvéolé, sorte de nid d’abeille, d’une grande surface d’échange, explique Philippe Stock, PDG d’Aeroe. L’effluent est vaporisé sur cette surface d’échange selon un arrosage séquentiel ».
Parmi les avantages du procédé, un coût d’exploitation faible et une bonne
tolérance vis-à-vis des variations physicochimiques du lixiviat. Et bien sûr, un
zéro rejet en rivière.