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Entreprises

Dans les zones de stress hydrique, en Afrique plus qu’ailleurs, la réponse « low-tech » pour l’accès universel à l’eau et à l’assainissement est bien souvent LA solution

22 mars 2022 Paru dans le N°450 à la page 14 ( mots)
© Labaronne Citaf

Le 9e Forum mondial de l’Eau, qui se réunit pour la première fois en Afrique, est l’occasion pour Labaronne Citaf, InovaYa, Cohin Environnement et Chemdoc Water Technologies de démontrer leur savoir-faire, leurs technologies mais aussi l’appui nécessaire pour pouvoir gérer la ressource en eau dans les zones de stress hydrique. Karen Lartigot, directrice commerciale Labaronne Citaf, Khaled Al Mezayen, CEO/Co-founder chez InovaYa, Sébastien Cohin, directeur Cohin Environnement et François Chaine, directeur de projets Chemdoc Water Technologies partagent leur ambition ferme, déclinée en actions opérationnelles et concrètes dans ces régions.

Revue L’eau, l’industrie, les nuisances : Dans quelle mesure la recherche de solutions destinées aux marchés humanitaires pour améliorer les conditions d’accès aux services d’eau et d’assainissement des pays les plus menacés dans le monde progresse-t-elle au sein de votre entreprise ?

Karen Lartigot :  La place que tient le marché Humanitaires dans le développement international de Labaronne Citaf s’explique en raison de l’invention pionnière de la citerne souple par André Labaronne qui vivait en Algérie et qui voyait partir des camions-citernes plein d’eau en direction des populations isolées et revenir à vide. Il a donc imaginé un réservoir souple afin de pouvoir le plier et se servir du camion pour ramener d’autres marchandises une fois l’eau livrée. 

Depuis la fin des années 70, l’approche humanitaire reste au cœur de notre stratégie tant en termes de développement que de philosophie. C’est un marché qui impose avant tout de se mettre au service des organisations humanitaires : il oblige parfois à décaler certaines productions pour répondre à une situation d’urgence, un état de guerre, une catastrophe naturelle et concerne des produits très standardisés répondant a des cahiers des charges très précis, spécifiques à chaque organisation humanitaire. 

En parallèle, on travaille avec des ONG sur des projets de développement qui nous amènent à adapter nos produits courants - les citernes de ravitaillement et d’alimentation sur sites isolés, de récupération d’eau de source, de pluie ou de transport d’eau potable- aux besoins des missions humanitaires, de la population ou encore aux capacités de maintenance locales.  

En termes de zones géographiques, on intervient clairement en urgence en Afrique et au Moyen Orient avec les ONG partenaires. Sur la partie développement, on travaille dans le monde entier et en particulier en Amérique du Sud, en Océanie et en Europe avec des partenaires locaux. 

Khaled Al Mezayen : Le marché de l’aide au développement et le marché des zones dites de stress hydrique qui sont souvent couplées à des zones isolées, difficiles d’accès ou de conflit - il faut rappeler que l’eau est une des principales sources de futurs conflits à travers le monde - est notre spécialité. Nous développons des solutions au sens large du terme pour la sécurisation, le traitement et l’approvisionnement en eau potable de communautés. 

Notre travail est de plusieurs natures, il se situe à la fois en amont et en aval : il part de l’analyse terrain complète de l’environnement concerné à la recherche de solutions sur-mesure en évitant sutout de s’ancrer dans la technologie. On a beau avoir développé des technologies disruptives, nous avons à coeur l’accompagnement des acteurs de l’eau locaux dans la formation de leur métier. 

Pendant très longtemps, ces acteurs ont eu une approche très tournée vers les technologies oubliant le double écueil de la sécurisation de la prise d’eau et de l’assainissement. Si le développement des solutions d’osmose inverse a permis de traiter une partie de la problématique de l’accès à l’eau potable, il ne faut pas s’y tromper, elle reste partielle. Les pays où il y a du stress hydrique sont des pays ou très souvent il fait chaud. Qui dit chaleur + eau traitée non conservée, dit développement bactérien, donc problématique de stockage... 

Aussi si l’on veut être vraiment efficace et rendre l’accès à l’eau potable dans ces zones-là, il faut travailler avec les acteurs qui sont au plus proche de la livraison de l’eau. Ce sont des acteurs privés, des ONG ou des entreprises à impact. On a donc décidé d’apporter notre savoir-faire sur ces sujets et de « plateformiser » nos compétences pour favoriser l’autonomie des porteurs de projets. 

EIN : En visant le marché export depuis plusieurs années pour répondre aux enjeux liés à l'eau, dans quelles régions du monde êtes-vous présents actuellement ?       

Sébastien Cohin : Cela fait quinze ans que je vis au Maroc, je connais particulièrement bien le terrain. Un des facteurs de réussite pour les entreprises qui s’engagent à l’export est de s’appuyer sur des entreprises locales pour faire avancer les projets. On ne peut pas prétendre vouloir prendre des parts de marchés dans ces pays sans vouloir partager les recettes de ces opportunités. C’est un non-sens car il faut qu’on ait des prix qui soient les plus proches des prix de marché du pays. 

Le Maroc est un des pays qui pourrait être confronté à une grave pénurie hydrique liée au climat pour plusieurs années et face à cette situation, le pays est pleinement engagé pour l’avenir de ces habitants.

Pour nous développer localement, nous avons créé une société de droit marocain qui emploie 100% de salariés marocains dont 22 d’entre-eux sont issus d’un marché très important que nous avons remporté en octobre 2021 avec l’Office chérifien des phosphates. Pour l’OCP, qui est l’un des plus grands producteurs d’engrais au monde, nous exploiterons deux stations d’épuration pendant deux ans.

En début d’année, nous avons remporté un deuxième projet, pour l’Office national de l’électricité et de l’eau potable du Maroc (ONEE) pour le compte du promoteur Chaabi Lil Iskane, qui consiste en la construction et l’installation d’une station d’épuration de 15 000 EHB à Essaouira El Jadida, dans la région d’Al Ghazoua.

Si la présence d’une structure juridique au Maroc repose avant tout sur notre démarche qui consiste à concevoir et assembler des solutions avec des entreprises locales, le statut d’établissement stable octroyé localement assure plus d’impacts dans les négociations avec les clients, les autorités locales ou le personnel local.

L’autre pays que nous visons, c’est le Sénégal, qui a la volonté d’agir et de financer les programmes d’infrastructures d’eau et d’assainissement. Nous avons prévu de modéliser ce que l’on a fait au Maroc et de rencontrer prochainement les autorités administratives à Dakar pour créer la structure sur place. Le Sénégal dépendra de Cohin Environnement Maroc pour l’appui technique.  

François Chaine En effet, il existe deux écoles pour se développer à l’export : privilégier une présence locale ou s’appuyer sur des bureaux d’études - tunisiens ou marocains par exemple, qui sont très bien structurés et qui intègrent nos solutions dans des projets plus importants - voire aborder directement les sociétés gestionnaires des services d’eau.   

Cela fait huit ans qu’on a démarré l’export pour la production des trois types d’eau : eau de process industriel, eau potable, recyclage de l'eau. On peut dire que c’est une une évolution logique pour Chemdoc Water Technologies qui a mis l’accent sans relache sur la modularité de ses unités d’ultrafiltration qui sont les équipements les plus adaptés dans ces régions. De quelques m3/heure à près de 2000m3/jour, la solution UF containerisée est imbattable pour réaliser un projet, y compris sur des turbidités très variables. Il y a trois ans, on a vendu une unité de 80m3/heure dans un container 40 pieds dans La Volta, en Afrique de l’Ouest. Réalisée en trois mois, l’unité a pu être mise en service en six mois. 

On a donc beaucoup d’ambition sur l’UF dans les pays d’Afrique et les îles de la Caraïbe avec déclinaison solaire ou pas. Quand on a lancé PuroSun, un démonstrateur d’ultrafiltration solaire , on pensait vraiment qu’il y avait un marché. Or, il faut reconnaitre que le solaire vient complexifier et renchérir un projet. 

Pour l’activité export, les salons internationaux sont des rendez-vous professionnels incontournables pour l’ensemble des acteurs opérant dans le domaine. Notre participation au 9e Forum mondial de l’eau à Dakar, principal événement international sur les questions d’eau douce, nous apporte des outils d’aide efficace pour obtenir des informations directes sur la dynamique du financement, la gouvernance, la gestion des connaissances et il nous permet en même temps de pousser certains produits ou concepts auprès de partenaires.

Sébastien Cohin : Je compte également sur ces manifestations pour nous faire connaître et dire ce que l’on peut proposer. Ce sont des plateformes d’échange et de coordination de rendez-vous à fort effet de levier qui permettent en même temps d’éveiller sur des solutions low tech, qui sont les solutions les plus optimisées possibles que l’on peut développer en masse, rapidement et qui sont au juste prix. 

La vraie urgence étant de traiter l’eau, il y a un travail de fond à faire pour promouvoir les solutions qui sortent des schémas classiques. Après avoir regarder ce qui se fait dans les pays plus avancés – Europe et Etats-Unis notamment- les Africains sont en train de réviser leur position et de changer de modèle.

EIN : En quoi, ces projets sont-ils fondateurs pour améliorer votre réflexion sur l’ensemble de la technologie ?   

Karen Lartigot : Les adaptations que peuvent nous demander ce genre de projets consistent pour l’essentiel à prendre en compte les usages et les conditions climatiques locales. Les citernes peuvent être remplies de différentes manières avec des eaux de pluie, des eaux de forage, voire des eaux puisées localement. Il peut donc y avoir des problématiques de filtration en amont, de débit et de température extérieure. Il est, par exemple, parfois nécessaire de mettre les citernes à l’ombre pour éviter que l’eau ne chauffe trop et soit consommable ou adaptée à l’irrigation. 

Ainsi, on peut être amené à adapter les matériaux, les volumes, les diamètres d’entrée, de sortie et à conseiller sur l’utilisation -gravitaire notamment- de la citerne. 

On va donc essayer d’être accompagnant sur ces projets et de privilégier des réponses concrètes, efficaces et stables. Nous avions réfléchi par exemple à intégrer des panneaux solaires sur la surface plane des citernes mais en discutant avec des associations humanitaires on s’est aperçu qu’elles étaient mises à l’ombre, sous couvert !

Khaled Al Mezayen :  Bien sûr, il y a des adaptations technologiques spécifiques à la machine. En zone tropicale par exemple, il faut penser tropicalisation des systèmes. Tout ce qui est électrique, il faut diviser par 2 la durée de vie du matériel. En France métropolitaine, on ne sait pas bien traiter ce problème. Nous avons trouvé des partenaires aux Antilles qui ont une vraie culture de la tropicalisation. 

L’autre difficulté est de penser à toutes les défaillances possibles qu’il peut y avoir dans ces zones parce que les délais et les coûts d’approvisionnement peuvent être extrêmement élevés. D’où notre travail de plateformisation des connaissances afin de mettre à disposition des porteurs de projets tous les éléments leur permettant de dimensionner leur système, de se sourcer en local et de limiter l’utilisation de consommables à travers les technologies que nous développons.

François Chaine : Pour Chemdoc Water Technologies, ces consultations s’avèrent aussi très utiles pour dresser un panorama des réponses à apporter. En l’occurrence, il y a trois ans, nous avons réalisé deux projets sur des problématiques que connaît très bien l’Afrique, à savoir transformer l’eau de mauvaise voire de très mauvaise qualité en une eau consommable pour tous les usages. 

Couplée à des concentrations élevées de fluor, la ressource en eau, qui au Sénégal provient souvent d’eau saumâtre, pose des problèmes de santé publique. Pour cela, nous avons développé un système membranaire de déssalement ad hoc avec nanofiltration permettant de rendre l’eau potable. 

Sur la base de cette expérience, nous avons remporté une belle référence au Niger à qui l’on a vendu, après avoir réalisé une factory acceptance, trois unités entre 12 et 20m3/h dans des zones ou il fait 50°. Les installations sont containerisées, climatisées et isolées pour fonctionner dans la durée. 

Il y a deux ans, nous avons répondu à une autre problématique que l’on rencontre particulièrement en Côte d’Ivoire mais qui concerne d’autres régions d’Afrique, c’est-à-dire une eau à pH inférieur à 7, donc agressive avec très peu de conductivité. 

Le procédé de déferrisation et démanganisation que nous avons mis au point est un procédé de filtration low tech.Très simple à mettre en service, l’unité de 2m3/ heure demande très peu d’énergie, peut être régénérée avec un panneau solaire en deux ou trois heures et modulabe selon les capacités souhaitées. 

EIN : Existe-t-il des difficultés liées à l’organisation même de ce type de projets ?

Karen Lartigot : Les ONG ont souvent leurs canaux de gestion de logistique qui nous simplifient la vie. Elles sont rodées, ont les bons interlocuteurs au niveau des douanes, et quelques avantages en matière de dédouanement.

Ce dont on se rend compte finalement, c’est que notre produit qui est assez rustique, assez tout terrain, est plutôt adapté à toutes les problématiques liées à l’eau stockée. Sur ces marchés, sans doute plus qu’ailleurs, on doit rester low tech. Ce qui oblige à réfléchir, en usage, en prix, en robustesse.

François Chaine : Et en fiabilité ! La principale difficulté que l’on rencontre pour réaliser ces projets est d’obtenir des analyses représentatives de l’eau à traiter. A la différence de l’Europe, il existe assez peu de laboratoires d’analyses en Afrique, ce qui réduit sans doute l’intérêt porté par nos interlocuteurs pour les paramètres que nous demandons afin de reconstituer synthétiquement les échantillons. 

Sébastien Cohin : A l’export, en résumé, les projets sont nombreux, l’effervescence sur la problématique eau selon les pays existe, mais il est indispensable de se montrer patient :  le temps de développement des projets, l’accès aux financements et les délais de paiement sont très lents. 

Les concurrents sur place étant nombreux, il faut donc se concentrer sur les dossiers qui ont une bonne chance d’aboutir, c’est-à-dire ceux qui apportent la solution la plus économique possible. 

Khaled Al Mezayen: Dans tous les pays où on opère, aux Philippines, au Sénégal, en Colombie, le dénominateur commun est que l’on parle de potabilisation mais pas de traitement. Et donc on recontamine les nappes et les sources…

Pour cette raison, nous prônons une approche décentralisée, locale, à l’échelle d’un quartier, voire même d’un bâtiment. Il y a des modèles qui ont été développés et qui fonctionnent très bien. A Chennai en Inde, qui souffre d’un déficit de précipitations, un bâtiment a été construit dans ce sens. Complètement autonome en eau, il a été le seul à continuer à fonctionner sans aucune restriction ni aucun problème le jour de la grève des citernes d’eau en 2019 !

Une fois l’intérêt du low-tech largement exprimé, à l’aune du 9e forum mondial de l’eau, il convient également d’alerter les chefs d’Etat, gouvernements et responsables d’institutions internationales sur les conséquences que produisent l’arrêt brutal des financements dans certaines régions soutenues. Le décalage entre l’afflux d’argent destiné au moment où il y a tout à construire et l’absence de soutien lorsque le pays commence à tenir debout est saisissant.

Rappelons-le : une approche humanitaire réclame avant tout un soutien indéfectible c’est-à-dire de la création de valeur et du transfert de compétences dans les programmes de financement !

Propos recueillis par Pascale Meeschaert


 


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