Coordonné par la Direction Innovation du SIAAP et des laboratoires de recherche publics, MeSeine Innovation vise à améliorer les connaissances sur les problématiques environnementales émergentes et à porter l’innovation dans les pratiques de suivi et de gestion des cours d’eau traversant les agglomérations urbaines. Rencontre avec 3 acteurs clés de cette initiative : Vincent Rocher, Directeur Innovation du SIAAP, Sabrina Guérin, Responsable du Service Rivière Usine Métrologie Innovante du SIAAP et Régis Moilleron, Directeur du Leesu.
L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances : Quelle place occupe
la rivière aujourd’hui dans le cadre de votre action de surveillance ?
Vincent ROCHER : Une place de
plus en plus importante. L’évolution du contexte réglementaire et technique
place la rivière au cœur du domaine du traitement des eaux usées. La
surveillance de sa qualité devient aujourd’hui un enjeu majeur ; ce qui
donne tout son sens aux observatoires et réseaux de mesure. Dans ce contexte,
l’observatoire MeSeine Innovation vise un triple objectif.
Premièrement, il permet de suivre et
d’apprécier les progrès de l’assainissement en Ile-de-France. Il faut garder à
l’esprit qu’en 50 ans, le système d’assainissement francilien s’est radicalement
transformé, conduisant à une réduction spectaculaire de la pollution rejetée
dans les rivières. Très impactées en 1970, la Seine et la Marne sont
aujourd’hui préservées. Les eaux sont oxygénées, présentent des concentrations
en éléments, promoteurs d’eutrophisation, minimes et accueillent une grande
biodiversité ; le recensement de plus de 30 espèces de poissons dans ces deux
cours d’eau en est la plus belle illustration. Le suivi sur le long terme de la
qualité de ces cours d’eau permis par cet observatoire constitue un moyen
d’apprécier cette trajectoire positive.
Deuxièmement,
le renforcement et l’ancrage dans le territoire de cet observatoire est en
cohérence avec l’évolution réglementaire. Si la DERU[1], adoptée
en 1991, est focalisée sur les performances des systèmes de traitement, la DCE[2], adoptée
en 2000, fixe l’objectif de restaurer le bon état des cours d’eau européens.
L’efficacité du système d’assainissement s’apprécie aujourd’hui à l’aune de sa
capacité à préserver la qualité des eaux de surface et ainsi participer à
l’atteinte du bon état écologique.
Troisièmement,
cet observatoire ambitionne de générer des connaissances nouvelles sur les
rivières franciliennes et de catalyser l’innovation dans les pratiques de suivi
de leur qualité. L’émergence de l’intelligence artificielle dans le domaine de
l’assainissement permet même d’imaginer la prise en compte en temps réel de
l’état de la Seine dans les choix d’exploitation. Par la gestion intégrée du
continuum « réseau d’assainissement / station d’épuration / rivière »,
l’exploitation du système d’assainissement s’adaptera demain à la rivière. A la
clé : l’atteinte des objectifs réglementaires et la réduction de l’empreinte
environnementale de l’activité d’assainissement.
Revue EIN : Pouvez-vous nous apporter quelques
précisions techniques sur cet observatoire MeSeine Innovation ?
Sabrina GUERIN : Il s’agit d’un
observatoire historique du bassin francilien. Né en 1990, cet observatoire suit
la qualité de la Seine et de ses principaux affluents en Ile-de-France, l’Oise
et la Marne, en termes de physico-chimie, bactériologie, micro-contamination et
diversité faunistique. La collaboration avec le réseau Synapses du GIP-Seine
Aval et le projet Phresques permet de suivre la qualité de la Seine sur près de
400 kilomètres, de Paris à l’estuaire.
Cet
observatoire s’appuie sur 3 piliers. Premièrement, des capteurs sont installés in situ pour suivre l’évolution de la
qualité de la Seine et évaluer en temps réel l’impact de l’assainissement, en
particulier vis-à-vis de l’oxygène dissous. Ce sont 8 sites instrumentés sur
plus de 120 kilomètres de rivière, qui permettent de suivre 2 à 7 paramètres à
des fréquences de mesures infra-horaires. Cela représente près de
1 000 000 mesures par an. Deuxièmement, des campagnes de prélèvements
et d’analyses hebdomadaires permettent de photographier régulièrement la
qualité de la Seine, notamment par le prisme des paramètres de la Directive
Cadre sur l’Eau. Ce sont 14 sites de prélèvements sur plus de 110 kilomètres de
rivière, sites sur lesquels sont analysés chaque semaine jusqu’à 100 paramètres.
Cela représente près de 15 000 analyses par an. Enfin, nous nous
intéressons au biote qui permet d’apprécier l’état biologique de la Seine,
notamment à travers la diversité des populations piscicoles.
Revue EIN : MeSeine, un observatoire qui se veut être
un espace d’innovation ?
Régis MOILLERON : Effectivement,
MeSeine Innovation se veut être un observatoire au service de l’innovation.
Coordonné par le SIAAP et des laboratoires de recherche d’universités
franciliennes, dont le Leesu[3]
(Université Paris-Est Créteil, École des Ponts ParisTech) et l’UMR-METIS[4]
(Sorbonne Université), ce programme de recherche vise à améliorer les
connaissances sur les problématiques environnementales émergentes et à
appréhender l’innovation dans les pratiques de suivi et de gestion des cours
d’eau traversant les agglomérations urbaines. Dit autrement, ce programme vise
à faire progresser la connaissance sur l’état des rivières franciliennes et à faire
évoluer les outils d’évaluation et d’anticipation de leur qualité. Bien
entendu, ce programme scientifique pluridisciplinaire est en synergie avec les
programmes PIREN-Seine[5] et Seine-Aval,
qui travaillent à la compréhension du fonctionnement du bassin versant de la
Seine et de son estuaire, et interagit avec les programmes étudiant les
systèmes d’assainissement urbains, tels que MOCOPEE [6]ou OPUR[7].
Revue EIN : En quoi et comment l’observatoire se
met-il au service des acteurs de l’eau ?
Vincent ROCHER :
Il m’apparait tout d’abord important de
rappeler que l’observatoire MeSeine Innovation s’adresse à l’ensemble des Franciliens
et des acteurs en charge de la gestion de l’eau sur le bassin versant
francilien. Dans cet objectif de partage et de diffusion des informations et des
connaissances, des documents opérationnels, tels que des bulletins ou des
bilans de qualité, sont produits de manière régulière et des synthèses scientifiques
sont fréquemment publiées. Nous voulons que l’observatoire MeSeine Innovation
soit utile de trois manières :
- Utile en
constituant un baromètre de la qualité de la Seine pour les Franciliens. Pour
ce faire, nous produisons et mettons à disposition sur le site du SIAAP[8], une
information quotidienne, pour suivre le niveau d’oxygénation de la Seine, un
bilan mensuel pour évaluer sa qualité physico-chimique et la positionner par
rapport aux seuils réglementaires et, enfin, une synthèse annuelle pour dresser
un bilan complet de sa qualité et celle de ses affluents.
- Utile en
apportant un éclairage à la prise de décision pour les gestionnaires. Pour ce
faire, nous produisons pour les autorités des études d’impact ou des bulletins
exceptionnels pour évaluer la qualité des rivières en cas de situations
inhabituelles : fonctionnement dégradé du système d’assainissement ou
conditions météorologiques extrêmes (crue, étiage sévère, etc.). Le suivi de
l’impact environnemental de l’incendie de la clarifloculation de la station
Seine Aval de l’été 2019 constitue d’ailleurs un exemple concret et récent de
l’importance de l’observatoire pour les gestionnaires et décideurs[9].
- Utile en partageant
les connaissances produites avec la communauté scientifique et technique. Pour
ce faire, les équipes impliquées dans le programme publient de nombreux articles
scientifiques qui permettent de capitaliser les connaissances et les avancées
méthodologiques. Des ouvrages de synthèse[10] pour
partager plus largement l’état de la connaissance sur les problématiques
environnementales actuelles sont également publiés.
[1]
Directive Eaux Résiduaires Urbaines 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991,
relative au traitement des eaux urbaines résiduaires
[2] Directive
Cadre sur l’Eau 2000/60/CE du Parlement
européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une
politique communautaire dans le domaine de l'eau
[3]
Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains
[4] Milieux
Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols
[5] Programme
Interdisciplinaire de Recherche sur l'eau et l'ENvironnement du bassin de la
Seine
[6] MOdélisation,
Contrôle et Optimisation des Procédés d'Epuration des Eaux
[7]
Observatoire des Polluants URbains
[8]
www.siaap.fr
[9] Analyse
complète publiée dans Eau, Industrie,
Nuisances, n° 424, 2019
[10] Rocher et Azimi et al. (2017) Evolution de la qualité de la Seine en lien avec les progrès de l’assainissement - De 1970 à 2015. Editions Johanet. ISBN : 979-10-91089-31-9 - Rocher et Azimi et al. (2016) Qualité microbiologique des eaux en agglomération parisienne - Des eaux usées aux eaux de Seine. Editions Johanet. ISBN : 979-10-91089-29-6
Le réseau haute-fréquence Synapses et le projet Phresques, des outils connectés à l’observatoire MeSeine Innovation
Fortement connectés au réseau MeSeine, d'autres suivis prennent le relais jusqu'à l'embouchure de la Seine et même en baie, notamment le réseau haute-fréquence Synapses en estuaire de Seine, et les bouées Smile et Scenes en baie, mises en place dans le cadre du projet Phresques. Les données, pour la partie estuarienne, sont synthétisées et diffusées par l'observatoire environnemental de l'estuaire de la Seine, animé par le GIP Seine-Aval.
Du barrage de Poses à la baie de
Seine, le GIP Seine-Aval, fort d’une vision d’ensemble des 170 kilomètres
d’estuaire, propose un éclairage scientifique sur le fonctionnement
environnemental de l’estuaire de la Seine, son état de santé et son évolution.
Il s’appuie sur une expertise pluridisciplinaire, reconnue et partagée, pour accompagner
les acteurs de l'estuaire dans leurs décisions.
Le méta-réseau Phresques et le
réseau MeSeine permettent une vision globale et intégrée de la Seine, par la
mise en place d’un dispositif de suivi en continu de la qualité de l’eau
cohérent à l’échelle du continuum Seine.
Elise AVENAS, Directrice
du GIP Seine-Aval