La métropole lilloise et Veolia ont officialisé en octobre le lancement de Vig’iléo, un service d’hypervision dédié à la gestion de l’eau. Logiciels, cloud, big data et batterie de capteurs visent à faire du réseau lillois de distribution d’eau l’un des plus performants au monde.
La Métropole européenne de Lille (MEL)
vient de lancer officiellement Vig’iléo, son nouveau service de gestion de
l’eau, confié depuis début 2016 en délégation de service public à Veolia, via
sa filiale Iléo. Au menu : un dispositif présenté comme le nec plus ultra
en matière de « smart water » (services intelligents de gestion de
l’eau publique), l’une des briques essentielles de la « smart city ».
A vrai dire, le dispositif n’est pas
complètement nouveau. Vig’iléo est en fait une déclinaison de la Smart Water
Box de Veolia, conçue en partenariat avec IBM et annoncée fin 2014. Lille est
le troisième centre du genre développé par Veolia dans le monde. « Des premières versions du dispositif,
présenté à l’exposition Universelle de Shanghai en 2010, ont déjà été déployées
à Paris, à Lyon et au Royaume-Uni. Mais à chaque fois, des leçons ont été
tirées pour améliorer le système, si bien que Vig’iléo à Lille est le service
d’eau le plus à la pointe au monde en matière de transformation numérique »,
a souligné Antoine Frérot, Président-directeur général de Veolia, venu dans la
capitale des Flandres pour l’occasion.
Il faut dire que la MEL s’est montrée
exigeante : elle a en effet profité de ce changement de prestataire pour
durcir son cahier des charges, comme le résume son président Damien Castelain.
« L’objectif est d’augmenter à la
fois la transparence, la performance et la qualité du service pour les
habitants de la métropole ».
Un
cahier des charges plus exigeant
Et le chantier est de taille : Iléo
(218 salariés), la filiale locale de Veolia, est en charge de la distribution
de l‘eau dans 62 communes de la MEL, regroupant plus d’un million d’habitants,
dont 4 villes de plus de 65 000 habitants : Lille, Roubaix, Tourcoing et
Villeneuve d’Ascq.
Côté transparence, l’enjeu, pour la MEL,
consiste à avoir accès en temps réel à l’ensemble des informations concernant
son réseau : état, opérations de maintenance en cours, alertes, qualité de
l’eau... « Le suivi de la qualité,
c’est précisément ce que l’on reprochait à notre prestataire précédent, les
Eaux du Nord, précise Damien Castelain. Notre
rôle est de pouvoir contrôler et superviser les activités que nous confions à
des prestataires en délégation de service public ». Le système
d’hypervision Vig’iléo est ainsi basé sur plus de 75 logiciels différents,
signés IBM, qui permettent de récolter, formater et centraliser les données sur
le cloud, sur un seul portail, accessible en temps réel par la MEL.
Côté performances, le contrat passé avec
Veolia prévoit un passage de 80 à 85 % des performances d’ici à 2024. Ce
qui, concrètement, correspond à une réduction de 25 % des pertes en eau
sur le réseau (fuites, vol, et sous-comptage dû à des compteurs vieillissants)
« Vig’iléo permettra d’économiser
près de 3 millions de mètres cubes d’eau par an, sur des pertes totales
estimées à 10 millions de mètres cubes, pour environ 50 millions de mètres
cubes distribués chaque année. C’est énorme en matière d’économies »,
se félicite Damien Castelain. « Avoir
un réseau sans fuite, c’est techniquement possible, mais ça coûte très cher,
poursuit Alain Detournay, Vice-Président en charge de la politique de l’eau à
la MEL. On estime qu’à 80 % de
performance, on atteint le bon équilibre entre coût et performance. »
Pour y parvenir, les 4 300 kilomètres de
réseau d’eau de la MEL seront progressivement équipés de milliers de capteurs
destinés à détecter les fuites, mais aussi à contrôler la qualité de l’eau en
temps réel. Dans le détail, un millier de détecteurs de fuite Gutermann pour
bouches à clé seront installés d’ici fin 2016, ainsi que 30 sondes Kapta pour
le suivi en temps réel de la qualité (température, pression,
conductivité-salinité, chlore), et des détecteurs de vol d’eau (Bayard) pour
les équipements de lutte contre les incendies. Ces vols ont à eux seuls
représenté 30 000 mètres cubes soutirés en 2015 sur la métropole. « Nous allons aussi multiplier par deux le
nombre de compteurs de secteur mesurant les volumes par quartier, soit 360
nouveaux compteurs, et affiner le maillage du réseau, qui passera à 133
secteurs contre 52 précédemment. Ce qui nous permettra d’être plus précis et
plus réactifs », détaille Elise Ghier, responsable du service
d’ingénierie d’Iléo.
Des
outils reposant sur de standards du marché
Le cœur de Vig’iléo, situé rue Van
Hende, près du Boulevard Montebello à Lille, est constitué d’un plateau de
contrôle de l’ensemble du réseau. Il est composé d’une demi-douzaine de postes
informatiques et d’un grand écran sur lequel les agents d’Iléo, baptisés les
« ordonnanceurs », peuvent visualiser en temps réel l’état du réseau,
les opérations ou alertes en cours, localiser les équipes sur le terrain,
visualiser leurs feuilles de route. En cas d’alerte, les ordonnanceurs peuvent
ainsi d’un coup d’œil identifier l’équipe la plus proche, modifier sa feuille
de route pour y insérer une opération et entrer à tout moment en
visioconférence avec les agents de terrain, via leurs smartphones. Ils peuvent
aussi avoir en visuel un plan des rues en « Street View » (vision 3D
à partir de photos) et aux caméras de surveillance urbaine pour étudier
précisément la configuration des lieux avant de lancer une intervention.
Jouxtant ce plateau, une salle de
réunion peut être mise en communication directe à distance avec une salle de
pilotage centralisé de crise à la MEL. En cas d’alerte grave (coupure du
réseau, pollution…), les équipes de Veolia et de la MEL peuvent ainsi gérer
ensemble et de façon réactive, les situations d’urgence.
Veolia n’est pas le seul à investir dans
la smart water. Il s’inscrit dans la lignée de la société israélienne TaKaDu et
des français Suez et Saur. En quoi Vig’iléo se distingue-t-il des autres
solutions ? « La différence par
rapport aux systèmes concurrents, c’est que nous utilisons des outils du marché
(IBM) et pas des solutions propriétaires. Ce qui facilite la transparence vis à
vis du client, et améliore la qualité de service », estime Paul
Mousty, directeur général d’Iléo.
A combien s’élève l’investissement
total pour Vig’iléo ? « Nous
préférons rester discret, pour des raisons de concurrence », élude
Antoine Frérot. Un seul petit indice : à eux seuls, les écrans et
ordinateurs du plateau de contrôle ont coûté près de 100 000 euros. Quand aux
équipements du réseau : « un
capteur coûtait 1500 euros il y a 15 ans. Ce prix a été divisé par 10,
explique Antoine Frérot. Les coûts de la
télétransmission et du stockage des données sur le cloud a également fortement
baissé. Un tel service aurait été prohibitif il y a quinze ans, ce n’est plus
le cas aujourd’hui». Une seule certitude : l’ensemble de ces coûts ont
été pris en charge par Iléo (et donc par Veolia). « Ce n’est pas la MEL qui dépense : l’eau paie l’eau »,
résume Damien Castelain.
Et ce n’est qu’un début. A partir de
2018, le système sera enrichi d’outils prédictifs qui permettront de mieux
anticiper la demande en eau, et de pallier le risque de manque. A terme, ces
technologies smart water devraient aussi permettre la mise en place de nouveaux
services pour les habitants, qui pourront eux aussi contrôler l’état du réseau,
avoir accès aux mesures de qualité de leur eau du robinet… « Un jour, ces données permettront aux
habitants innovants de proposer de nouveaux services et d’améliorer la qualité
de vie. Vig’iléo constitue une étape importante vers une ville
intelligente, résiliente, sobre et inclusive», prévoit Antoine Frérot.
« Inclusive » parce que le
contrat entre la MEL et Veolia a aussi inclus la réintégration dans Iléo des
200 salariés des Eaux du Nord précédemment en charge de la distribution d’eau
de la métropole. Et aussi parce que la MEL a décidé la mise en place une
tarification sociale et éco-solidaire en matière de politique de l’eau. Depuis
janvier 2016, tous les Métropolitains ont vu la part fixe de leur facture d’eau
passer de 37 à 5 euros, ainsi que la mise en place d’un système de tarification
progressive en fonction de leur consommation « pour inciter les usagers à
réaliser des économies d’eau », explique-t-on à la MEL.
Un dispositif high-tech, plus performant
et sans surcoût pour les usagers... Si elle tient ses promesses, la smart water
a un bel avenir devant elle.
Pierre-Yves Bocquet