Les progrès réalisés ces dernières années pour aider les collectivités à renforcer leurs dispositifs de prévision et d’alerte de crues ont été nombreux. Objectif?: leur permettre d’anticiper au plus tôt la survenue d’une inondation, afin d’avoir le temps de prévenir la population et de prévenir les dégâts.
Et, si les digues et autres ouvrages destinés à réduire la vulnérabilité des territoires ont souvent fait la preuve de leur efficacité face à des montées des eaux modérées, ils ne garantissent pas une protection totale. En témoignent les crues de la Seine de 2016 et 2018 : malgré l’existence de quatre lacs réservoirs en amont, chacun de ces deux événements a causé des centaines de milliers d’euros de dégâts matériels. Les collectivités les plus exposées cherchent donc à s’armer de solutions leur permettant de prévoir le plus en amont possible de nouvelles inondations, afin d’avoir plus de temps pour s’y préparer.
103.000 km de cours d’eau sous surveillance nationale
De nombreux progrès ont été faits en la matière, et ils s’adressent surtout aux gestionnaires de petits cours d’eau, ceux qui ne font pas déjà l’objet d’une surveillance par les services de l’État dans le cadre de Vigicrues. En effet, les principaux fleuves et rivières, soit près de 103.000 km, sont scrutés depuis 2004 par près de 4.000 stations d’acquisition et de transmission de données.
Ces dernières, gérées par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), sont fournies par Paratronic : « Nos stations LNS sont installées tout au long de ces cours d’eau, pour y mesurer, 24h/24, de nombreux paramètres, parmi lesquels le niveau d’eau et la pluviométrie, c’est-à-dire les deux informations indispensables au suivi des crues », indique Alain Cridel, directeur commercial chez Paratronic. En cas de dépassement de certains seuils, programmés lors de l’installation, les préfectures des territoires concernés sont averties qu’elles passent en alerte orange, puis en alerte rouge. Les communes riveraines sont alors informées à leur tour.
La surveillance des autres cours d’eau, elle, est dévolue aux établissements publics de coopération intercommunales (EPCI), c’est-à-dire aux métropoles, communautés de communes et syndicats intercommunaux.
Libres de choisir leur matériel, « certains d’entre eux optent pour notre station LNS, car elle est reconnue et validée par les services de l’État. Elle est également évolutive et capable de s’adapter aux contraintes de chaque site : autonomie en énergie, possibilité d’y relier plusieurs types de capteurs, libre choix du vecteur de transmission (GSM/GPRS/3G, satellite, radio, éthernet…), indique Alain Cridel. Les données relevées par les capteurs sur le terrain sont transmises à un superviseur, qui les traite et, en cas de dépassement des seuils paramétrés, déclenche automatiquement l’alerte des élus. Un signal peut également être envoyé vers des dispositifs automatiques, pour déclencher par exemple la fermeture de barrières à l’entrée des routes inondables ».
Mesure de niveau et pluviométrie, le combo de base
Connaître la hauteur d’eau en amont de son territoire, c’est bien, cela permet de voir venir une masse d’eau plus importante que d’habitude. Mais le laps de temps pour se préparer à son arrivée reste limité.
C’est pourquoi la mesure de niveau est toujours associée, aujourd’hui, à des capteurs de pluviométrie : savoir quelle quantité de pluie s’est abattue en amont permet d’anticiper davantage le volume qui va potentiellement arriver en aval quelques heures ou quelques jours plus tard. Les deux appareils de mesure peuvent même communiquer entre eux.
« Nos pluviomètres sont branchés sur un logger communicant qu’on peut paramétrer pour que, au-delà de X mm de pluie tombée dans un laps de temps donné, il envoie une alerte aux élus. Dans le même temps, il peut aussi envoyer un signal aux capteurs de niveau pour que ceux-ci accélèrent le pas de temps de leurs mesures, explique Mathieu Zug, directeur scientifique et innovation chez Ijinus.
Nos capteurs LNU offrent en effet cette possibilité. Hors période de crise, la faible fréquence des mesures permet d’économiser la batterie. En revanche, quand l’alerte est lancée, il est important que les autorités puissent suivre l’évolution du niveau d’eau en temps réel et, si le danger se confirme, activer le plan communal de sauvegarde ».
Autre particularité de ces capteurs LNU : la signature acoustique. « À chaque mesure, un écho acoustique constitué d’environ mille points est constitué et des algorithmes en déduisent la distance jusqu’à l’obstacle à mesurer- ici, l’eau - pour en déduire le niveau d’eau. Contrairement aux capteurs classiques, qui envoient uniquement le résultat final, c’est-à-dire une valeur de niveau, le LNU peut, à partir de seuils de niveau prédéfinis ou en cas de changements brusques, enregistrer et envoyer cette signature acoustique, poursuit Mathieu Zug. Ainsi, si la donnée de niveau semble anormale, la levée de doute est possible rapidement, sans envoyer un agent sur place : les mille mesures de la signature acoustique permettent de voir s’il s’agit bien d’une crue ou si un obstacle est passé sous l’appareil au moment de la mesure (oiseau, branche d’arbre, etc.) ».
DSA Technologies développe également des acquisiteurs transmetteurs qui permettent d'interfacer et de gérer des capteurs numériques et de transmettre les données collectées de manière sécurisée vers un système d'informations SIDEV.
De la surveillance à l’alerte des habitants
Une fois alertés de l’imminence d’une crue, les élus disposent de plusieurs options pour alerter la population : envoi de SMS ou d’e-mails, affichages sur les panneaux d’information, articles dans la presse locale, etc. Mais hormis le déclenchement d’une sirène, ce dont ne disposent pas toutes les communes, ils n’ont aucune garantie que le message est bien reçu. Surtout si l’événement survient brusquement et en pleine nuit, comme cela a été le cas en octobre 2018 dans l’Aude, difficile de prévenir les habitants alors qu’ils dorment et que leurs smartphones sont éteints.
C’est pourquoi la start-up Ogoxe a développé fin 2017 une solution complète d’alerte de crues, qui couvre toute la chaîne de surveillance et d’alerte, jusqu’à l’information des riverains. Cette solution, appelée iFAFS, prévoit la distribution de boîtiers connectés aux habitants. « Ces objets sans fil, appelés Ogoxe Floodix®, fonctionnent avec des voyants lumineux, sur le modèle d’un feu tricolore, pour indiquer le niveau de danger. En cas d’alerte évacuation, une alarme sonore se fait entendre qu’il est impossible de ne pas entendre », explique Guillaume Delai, cofondateur d’Ogoxe. La solution comporte par ailleurs des capteurs de niveau et des pluviomètres, parfois aussi des capteurs pour mesurer la fonte des neiges.
Toutes ces informations ne sont plus envoyées à un simple superviseur, mais à une intelligence artificielle qui, à partir d’une modélisation des caractéristiques propres au bassin versant (topologie, profil hydraulique, présence d’ouvrages d’art sur la rivière, etc.), simule l’évolution de la situation dans les prochaines heures, à l’échelle du bassin versant ou sur une zone donnée. « Le logiciel tient aussi compte des prévisions météorologiques, pour plus d’anticipation encore. Et il suggère les actions à enclencher en fonction du danger évalué. C’est un véritable outil d’aide à la décision », ajoute Guillaume Delai.
Ce type de simulateurs intelligents est en plein développement. Ils permettent non seulement d’anticiper les crues, mais aussi, par leur plus grande précision, d’éviter de crier au loup trop souvent.
Des outils d’aide à la décision intelligents et auto-apprenants
Plusieurs autres intervenants proposent des solutions numériques qui, sur la base d’une intelligence artificielle, permettent de mesurer, surveiller et prévoir. C’est par exemple le cas de Predict Services qui apporte une information personnalisée pour une prise de décision appropriée en cas de risques hydrométéorologiques. Certaines sont même auto-apprenantes, c’est à dire capables d’auto-ajuster leurs prévisions en fonction des données reçues du terrain, de Météo France et de Vigicrues.
C’est le cas par exemple du modèle de prévision de débits HydroCore, de Tenevia : « si la situation évolue de façon imprévisible, ou se révèle différente de ce que le modèle avait prévu quelques heures plus tôt, celui-ci réajuste de lui-même et en temps réel ses prévisions pour les heures suivantes », indique Arnaud Brun, dirigeant de Tenevia.
Avec Follow, Synapse propose aux collectivités une solution complète de suivi hydrologique et gestion de crise (voir encadré).
Parmi les logiciels que Geomod distribue, « la plateforme d’aide à la décision ICMLive calcule, à partir des données qu’elle reçoit, les différents comportements que pourrait adopter le cours d’eau, explique Armonie Cossalter, responsable Activité hydro chez Geomod. Quand elle détecte un risque de crue, elle en alerte les décideurs et leur présente les différents scénarios possibles. Comme elle continue de recevoir des données, elle refait régulièrement des simulations, pour ajuster ces prévisions ».
VorteX.io propose également un service de suivi des paramètres hydrologiques à partir d’une gamme d’instruments compacts et peu coûteux, dérivés de l’altimétrie satellitaire, une technologie spatiale dédiée à la mesure précise de la hauteur de la surface de la mer. Le nombre probablement croissant de crises hydrologiques à venir liées au changement climatique dope le marché.
Le concours d’équipes extérieures peut également s’avérer décisif. « Il convient de bien mesurer qu'en période de crue, il est essentiel de s'assurer de ne pas perdre les données d'auscultation et de collecter le maximum d'observations, explique Patrick Pinettes chez geophyConsult, société spécialisée dans l’auscultation et le suivi des infrastructures. En effet, ces données sont non seulement cruciales pour garantir la sûreté pendant la crue, mais aussi pour étalonner les modèles d'écoulement et évaluer la santé de l'ouvrage à long terme.
Or les équipes locales sont parfois en sous-effectif pendant ces périodes, ou surchargées par des urgences qui ne leur permettent pas de relever les capteurs ou de s'assurer de leur bon fonctionnement. En pareil cas, il est recommandé de faire appel à des équipes spécialisées, composées d'experts, qui contrôlent à distance le bon fonctionnement des appareils et analysent en temps réel les données. Cela permet de soulager les équipes locales à des moments critiques et les aider à émettre des alertes ou alarmes lorsque cela est nécessaire.
La connaissance fine du comportement de l'ouvrage en crue peut en outre aider à recalibrer les modélisations numériques des niveaux d'eau. Elle peut également être utile pour revisiter la façon dont la surveillance est organisée, voire redéfinir la façon dont l'ouvrage est ausculté. Lorsque l'équipe d'appui a une réelle expertise technique en géotechnique, ses constats en crue peuvent alimenter des discussions plus structurantes concernant, par exemple, la stabilité à court ou moyen terme de l'ouvrage, ou la nécessité de programmer des confortements ciblés »..