La mesure du carbone organique total (COT) dissous dans l’eau est l’une des principales méthodes permettant de quantifier la matière organique dans les effluents dans le but de contrôler un procédé ou vérifier la conformité à une réglementation. Elle est utilisée en laboratoire et de plus en plus souvent en ligne, dans le traitement des eaux, pour la production d’eau potable ou pour contrôler des procédés dans les industries pharmaceutiques, les semi-conducteurs, la production d’énergie… etc. Ses domaines d’applications continuent à se multiplier. La mesure doit être rapide, fiable et sans réactif, ce dernier point devenant essentiel.
Pour surveiller les eaux propres, les rejets dans le milieu naturel, la corrosion des centrales électriques, la qualité des eaux des industries pharmaceutiques ou les semi-conducteurs, la mesure du COT est au catalogue de nombreux fabricants : Anael, Hach, Endress+Hauser, GE Analytical Instruments, Shimadzu, Mettler-Toledo Thorton, Seres Environnement, Swan, Metrohm, Macherey-Nagel, EFS, Mesureo, Datalink Instruments, s::can, Xylem Analytics ou encore Proanatec, Mitsubishi…
Comme la DCO (Demande chimique en oxygène) ou la DBO5 (Demande biologique en oxygène sur 5 jours), elle ne renseigne pas sur la nature des composés carbonés, qui relèvent souvent de mélanges complexes mais révèle un taux global, exprimé en mg/l.
« On rencontre des composés organiques dans presque tous les types d’eau, depuis l’eau potable naturelle et traitée, en passant par l’eau de process et de refroidissement, jusqu’à l’eau destinée à l’usage pharmaceutique et à la production de produits alimentaires, explique Pierre Guillou, Chef de produit COT chez Metrohm. La détection précoce des contaminants organiques est d’une grande importance dans la protection des installations industrielles et de l’environnement. Le COT est un paramètre global, qui est parfaitement adapté pour le suivi 24-24 et 7 jours sur 7 (charge totale de polluants) ».
D’abord cantonnée au laboratoire, elle est de plus en plus demandée en continu ou en ligne. Son principe ? Quantifier le CO2 après oxydation du carbone organique par voie chimique (avec du persulfate), thermique (par combustion) ou par oxydation directe (sous UV ou en condition supercritique au-delà de 375 °C et 221 bar). Le CO2 est mesuré via un détecteur IR non dispersif (NDIR) ou un conductivimètre. Les progrès récents permettent de réduire les coûts, les fréquences et les durées de maintenance, en conservant, voire en augmentant, la fiabilité.
Les appareils sont de plus en plus faciles à utiliser, en version numérique avec écrans tactiles, stockage des données, des journaux de défaut, récupération des données par TCP IP ou via internet…
Des équipements de plus en plus faciles à utiliser
« L’oxydation chimique convient bien pour les effluents les plus faciles à oxyder, comme pour la surveillance de réseaux d’eau potable, d’eaux de rivière, en entrée et sortie de station d’épuration, avec une mesure en 15 à 20 mn », précise Christophe Vaysse chez Anael qui propose des solutions en ligne par voie chimique et thermique (QuickTOCuv et QuickTOCultra avec un coût du simple au double). Pour des effluents plus chargés, plus difficiles à oxyder, avec des matières en suspension (MES) ou encore fortement salés, la combustion s’impose. L’analyse nécessite de 3 à 5 mn. Plus performante, cette technique brûle le carbone en CO2 entre 650 et 900 °C avec un catalyseur (à base de platine, oxydes de cérium, de cobalt, cuivre) sinon à plus haute température (1.200 °C) sans catalyseur, solution que seul Anael propose. « Nous évitons ainsi la perte d’efficacité due aux dépôts dans le four et sur les catalyseurs, source de calibrations plus fréquentes, voire de changement coûteux de catalyseur », argumente Christophe Vaysse d’Anael. Christian Consolino chez Shimadzu, leader mondial des analyses de COT en laboratoire, souligne, pour sa part l’intérêt d’une température minimale (680 °C) qui limite les frais de maintenance, maintient les sels à l’état solide.
Quoi qu’il en soit, avant la mise en service d’un analyseur sur site, la règle est désormais de tester en laboratoire pour valider la technique et optimiser les conditions.
La gamme de laboratoire de Shimadzu (TOC L en combustion et TOC V en oxydation chimique) équipée de différents passeurs, est de plus en plus automatisée, et s’adapte à tous types d’échantillons, avec différentes méthodes de travail dans la même séquence. Quant à la gamme TOC 4200 (combustion) d’analyse en ligne, sortie en 2012, elle mesure le COT en 4 mn, aussi bien pour les eaux propres que pour les eaux très chargées, y compris en entrée de station d’épuration sans filtration grâce à un broyeur à couteaux pour les MES. « Le préleveur est un point clé, précise Christian Consolino. Nos appareils disposent de 4 préleveurs et jusqu’à 6 voies avec des lavages à l’air comprimé ou à l’eau sous pression entre les échantillons pour éviter les contaminations ». Il souligne une explosion de la demande pour des mesures simultanées de COT et azote total (TN), ce que permet le TOC 4200 avec la même injection, pour mieux identifier la charge polluante et éviter la mesure de l’azote Kjeldahl.
De son côté, GE Analytical Instruments insiste sur la rapidité de ses solutions d’analyse avec le M5310 C portable, en ligne ou en laboratoire, adapté aux eaux brutes ou potables (COT entre 4 ppb et 50 mg/l) avec une oxydation UV/persulfate et une détection par membrane conductimétrique Sievers, une membrane qui laisse seulement passer le CO2. Le fabricant propose également une solution basée sur l’oxydation en phase supercritique avec InnovOx disponible en ligne ou en laboratoire (COT de 0,05 à 50 g/l). Robuste, elle est adaptée aux échantillons industriels et environnementaux et peut traiter en 3 à 9 mn une grande variété de matrices, en particulier les saumures, la cellulose et les acides humiques.
Le COTmètre 7010 de Metrohm s’appuie quant à lui sur la méthode éprouvée de l’oxydation avancée à double étage avec double longueur d’onde ultraviolet et injection de persulfate. Sans recours à des températures élevées, les substances organiques contenues dans l’échantillon sont converties en dioxyde de carbone (CO2) dont la concentration sera détectée par NDIR (Infrarouge Non Dispersif). L’équipement se caractérise par un faible coût à l’acquisition puis à l’exploitation. « Il est utilisé en fonctionnement continu pour le suivi de processus sensible tels que les circuits de chauffage et de refroidissement, souligne Pierre Guillou chez Metrohm. Cela signifie que les dysfonctionnements peuvent être détectés avec fiabilité et les mesures appropriées prises sans délai ».
Une mesure de plus en plus demandée
« La mesure du COT n’a jamais été aussi demandée, poursuit Christian Consolino de Shimadzu. Elle permet de remplacer l’analyse DCO, longue - environ 2 heures en laboratoire -, moins précise, sujette aux interférences (comme les chlorures) et surtout polluante à cause des réactifs CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) qui seront à terme interdits par la réglementation européenne Reach. Les kits d’analyse DCO de laboratoire sont plus rapides mais utilisent aussi des produits CMR ».
En entrée de station d’épuration, la variabilité des effluents ne permet pas de définir un facteur de corrélation générique. Les exploitants qui utilisent cette solution en autocontrôle en laboratoire adaptent le calcul à leurs effluents. Dans tous les cas, une analyse DCO sera nécessaire pour fournir les données officielles aux agences de l’eau. Seules celles de Rhône-Méditerranée-Corse et Rhin-Meuse acceptent la mesure du COT.
Pour ces mêmes raisons sécuritaires, Christophe Vaysse souligne l’intérêt marqué des visiteurs au cours du dernier salon Pollutec pour la gamme en ligne d’Anael. « Nos QuickTOCultra et QuickCODultra sont conçus sur même principe : une analyse à 1.200 °C sans catalyseur ni réactifs avec différents détecteurs pour mesurer les consommations en carbone, oxygène ou l’azote total, explique-t-il. Nous sommes les seuls à proposer cette solution qui mesure en moins de 5 mn COT, DCO et/ou TN sans produits CMR ». En matière de COT, Anael installe surtout des QuickTOCultra chez des industriels ou bien dans de grosses stations d’épuration urbaines en autosurveillance (mesures jusque 50 g/l). L’absence de catalyseur et l’injection séquentielle (qui évite l’effet mémoire en cas de pic de pollution) permettent de tolérer des matrices très fortement salines (>100 g/l) sans dilution et sans risque de bouchage. L’appareil dispose de 6 voies et promet moins de 30 mn de maintenance par semaine.
Suivre la mesure en continu
Enfin, des systèmes moins coûteux, simples et sans réactifs permettent d’avoir, en continu, un aperçu des changements de composition d’une eau brute, une analyse de tendance de polluants organiques entrant dans une station d’eau potable ou l’abattement de COT et DCO d’une petite station d’épuration. Anael, Endress+Hauser, Datalink Instruments ou Swan proposent ces capteurs par absorbance UV (254 Nm) qui analysent COT, DCO et COD via une mesure en 2 points et une corrélation intensité UV absorbée/COT établie en laboratoire selon l’effluent (qui doit être stable). L’AMI SAC 254 de Swan, présenté cette année à Pollutec, permet une précision accrue grâce à une sélection automatique de la distance maximale entre les 2 points de mesure selon la qualité de l’eau. Il est équipé d’un module de nettoyage pour les eaux chargées. Cet analyseur permet également de réaliser des échantillons manuels en prélevant avec le flacon en façade : par simple basculement, l’analyseur entre en mode de mesure dudit échantillon prélevé. Il possède une compensation à 550 Nm, pour éliminer l’influence de la turbidité et des bulles.
Datalink Instruments propose de son côté une sonde immergée (Odysséo) et un analyseur à cellule à passage (CT200) pour la mesure UV à 254 nm en continu. Le COT est calculé automatiquement sur la base d’une corrélation avec des mesures de laboratoire. Le système de nettoyage chimique permet la mesure même dans des conditions difficiles.
EFS propose l’UV-Probe 254+, une sonde de mesure à immersion en ligne multi-paramètres équipée d’un transmetteur qui permet le contrôle de la qualité des eaux et des effluents, en continu et sans réactif. Elle mesure directement le C.A.S. 254 et le C.A.S. 560. Par corrélation, la sonde estime le COT mais peut aussi être corrélée à la DCO ou DBO. Pour l’étalonnage, l’utilisateur prélève deux bidons d’eau avec des concentrations différentes de COT. Il plonge la sonde et obtient les mesures de CAS 254 correspondante et, après analyse laboratoire, rentre les deux valeurs de COT. L’étalonnage se fait automatiquement. Ce process est très simple et permet d’avoir deux valeurs de COT très éloignées pour avoir une mesure très précise par la suite. En parallèle, le CAS 560 permet d’être facilement corrélé aux matières en suspension avec le même principe d’étalonnage. Enfin, la sonde peut être couplée à un module de nettoyage automatique proposé en option. Ce module envoie de l’air comprimé sur les surfaces de mesure pour décoller toute impureté avant mesure. Le module de nettoyage est directement piloté par la sonde pour synchroniser le nettoyage avec la mesure. Pour les mesures très faibles, il existe une deuxième version de la sonde avec une lame de fluide élargie qui augmente fortement la sensibilité de la sonde.
La mesure de COT est également devenue la règle pour assurer la qualité et l’efficacité de nombreux procédés en temps réel avec des eaux de plus en plus pures. Depuis 1998, l’industrie pharmaceutique l’a inclus dans les contrôles obligatoires pour valider les méthodes de production d’eau purifiée et pour préparation injectable. De même, pour valider le nettoyage des réacteurs en industrie pharmaceutique ou cosmétique, une des activités les plus coûteuses pour les industriels, elle remplace avantageusement la chromatographie en phase liquide à haute performance avec une validation en temps réel. Selon Mettler Toledo, plus de 60 % du temps d’arrêt d’une cuve est imputable au nettoyage et aux retards des tests de validation, les tests en laboratoire étant particulièrement chronophages. En général, ces COTmètres proposés par GE Analytical Instruments, Mettler Toledo ou Swan sont des capteurs de spectrophotométrie, avec une oxydation très douce par lampe UV à 185 Nm suivie d’une détection par conductivimètre (mesure différentielle avant et après oxydation de l’échantillon). Des méthodes automatiques de vérification garantissent un fonctionnement optimal entre les tests de conformité (System Suitability Test ou SST) et les maintenances.
Le 500 RL On-line de GE Analytical Instruments est un analyseur en ligne sans réactif aussi performant que l’analyseur de laboratoire avec détection par membrane conductimétrique Sievers. Ses protocoles sont automatisés. Il s’avère fiable avec une conductivité élevée et/ou instable. Des versions portables (CheckPoint Pharma et CheckPointe) sont adaptées aux marchés pharmaceutiques (0,21 à 1.000 µg/l ou ppb) et microélectronique (0,05 à 1.000 µg/l).
Quant aux deux principaux analyseurs de Mettler-Toledo Analyse Industrielle, les sondes Thornton 5000TOCi en ligne et portable 450TOC, elles sont réservées aux eaux pures et ultrapures pour des concentrations en ppm à sub-ppb (eau ou condensats). Avec une réponse en continu et une seconde de temps de mise à jour, il permet une détection rapide de changements de COT (de 0,05 à 1.000 µg/l), garantissant qu’aucun pic de mesure ne passe inaperçu.
Cruciales pour les eaux de qualité pharmaceutique, de telles mesures sont aussi importantes pour les équipements de production d’énergie comme les cycles de cogénération électricité/vapeur pour lesquels une contamination organique risque d’accélérer la corrosion. La sonde 5000TOCi combinée au transmetteur M800 permet de surveiller jusqu’à 4 sondes et d’en assurer le diagnostic grâce à la technologie ISM. Le 450TOC offre le temps de réponse le plus rapide parmi les analyseurs portables avec, comme l’unité en ligne, un passage de l’entrée à la sonde de conductivité en environ 60s. Il permet d’établir rapidement le profil de COT et conductivité pour des installations avec plusieurs condensateurs de vapeur ou plusieurs points d’échantillonnage.
Swan est également présent sur ce marché depuis 2010 avec un analyseur en ligne par oxydation directe autonome, l’AMI Line TOC (0,1 à 1.000 ppb, mesure en moins de 2 mn). « Il possède sa propre pompe d’échantillonnage sur la panoplie pour contrôler débit et pression », souligne Benjamin Gracia chez Swan. Un passage manuel est également possible. Cet équipement garantit les conditions optimales de température pour la lampe UV (entre 40 et 50 °C) grâce à un réchauffeur et un échangeur pour réduire l’écart de température entre les deux mesures de conductivité et permettre une meilleure minéralisation. Les tests SST et calibrations sont automatisés.
Des domaines d’applications toujours plus larges
Parmi les nouveaux domaines d’application des COTmètres, citons, toujours dans l’industrie pharmaceutique, l’analyse en laboratoire du non-relargage des plastiques des poches, seringues, etc. dans les produits qu’ils contiennent (USP 661 sortie en mai 2016). Les molécules étant, cette fois, difficiles à dégrader, c’est plutôt la combustion qui est adaptée, comme le TOC L de Shimadzu.
L’analyse du COT devient également courante pour évaluer l’efficacité de procédés innovants comme la méthanisation, des techniques de dépollution en suivant la dégradation de molécules complexes, de nouvelles voies de conception de biocarburant en suivant le développement d’algues ou encore pour évaluer l’écotoxicité de peintures, vernis, détergents…
Le COTmètre tend également à devenir un outil de vérification pour les traitements d’eaux complexes ou de stations d’épuration à base de bioréacteurs de membranes (BRM).
« Comme dans bien d’autres domaines, l’accompagnement des clients devient le critère de choix, comme le souligne Christian Consolino chez Shimadzu. En plus d’un instrument et de son installation, nous fournissons les méthodes de travail, la formation du personnel à la maintenance, des contrats d’entretien tout compris. L’analyse d’échantillon dans notre laboratoire d’applications devient le préambule à toute discussion ».