De plus en plus fréquemment mis en œuvre dans les pays sujets à stress hydrique, le recyclage de l’eau peine à décoller en France, malgré des savoir-faire éprouvés servis par des technologies au point et des opérateurs performants. Mais les industriels hexagonaux hésitent à franchir le pas, faute d’un réel intérêt économique. Les traiteurs d’eau perçoivent cependant un frémissement imputable à la montée des préoccupations environnementales.
Seule une part minime de l’eau utilisée dans l’industrie en France est recyclée ou réutilisée. L’explication tient en peu de mots : l’eau potable ou de forage est très peu chère - de un à trois euros le mètre cube - dans notre pays. Or, selon Olivier Coupaye, PDG de TIA, concepteur d’installations de filtration membranaire, « aucune technologie de recyclage ne peut assurer une eau de qualité satisfaisante à ce prix ». Le recyclage suppose en effet l’ajout d’équipements ou d’étages de traitement en aval de la station de traitement des eaux usées du site, afin d’obtenir une eau de qualité suffisante pour être réutilisée et non simplement rejetée dans le milieu. Cet ajout génère des coûts en investissements et en exploitation.
Les préoccupations environnementales en ligne de mire
Au stade le plus simple, le recyclage consiste à traiter les eaux usées de manière à ce que leur qualité les rendent compatibles avec de nouveaux usages tels que le lavage des installations ou des camions, le chauffage, l’alimentation des tours aéroréfrigérantes, etc. La réutilisation au sein du procédé industriel lui-même supposera en général des eaux de qualité nettement supérieure, donc des installations et un investissement plus conséquents. Enfin, certains sites fonctionnent selon le principe du “zéro rejet liquide” (ZRL) ou ZLD (Zero Liquid Discharge). Benoît Perreau, directeur général d’OTV DBI (Groupe Veolia) explique que « toute l’eau du site tourne alors en boucle. Cela suppose des procédés d’épuration complexes, parfois coûteux, qui reposent bien souvent sur plusieurs d’étapes, et très sensibles aux aléas de production de l’usine. Leur conception est affaire de spécialistes. De plus, si leur “empreinte eau” est exemplaire, il n’en va pas de même pour leur “empreinte carbone” car les étapes ultimes peuvent être coûteuses en énergie ». L’approche zéro rejet peut parfois compliquer les process en les rendant plus lourds, plus chers et plus complexes. Elle peut faire gonfler les investissements ainsi que les coûts d’exploitation et au final freiner la réalisation de projets. « Il faut raison garder et avoir la sagesse de prendre en compte le footprint’ d’un traitement poussé. Je préfère que l’on fasse, avec 20 % des moyens, 80 % du boulot, plutôt que l’inverse », expliquait récemment dans nos colonnes Hans Van Soest, directeur général d’Enprotech. Tout est affaire de circonstances et il faut se garder de toute approche dogmatique. Reste qu’à l’heure actuelle, la plupart de ces réalisations voient le jour dans des pays sujets à de fortes tensions hydriques : Moyen-Orient, Inde, Espagne, Chine, etc.
Recyclage : toutes les technologies sont mises à contribution
Si le principe reste constant (l’osmose inverse, pour ne citer qu’elle, est mise en œuvre depuis une trentaine d’années), les membranes elles-mêmes évoluent sans cesse vers une performance accrue, acceptent des conditions de plus en plus drastiques de températures ou de composition chimique de l’effluent. Au point que la plupart des concepteurs de solutions choisissent “sur catalogue”, pour chaque projet, la ou les membranes aptes à répondre au problème posé. Très rares sont ceux qui, comme Polymem ou GE, fabriquent leurs propres membranes. « Les produits évoluent, en partie grâce aux retours sur utilisation de la part de nos clients. Ils deviennent moins énergivores, plus performants, plus facilement nettoyables. L’ultrafiltration, par exemple, demande beaucoup de rétro-lavage avec de l’air et/ou de l’eau. Nous avons récemment développé un procédé appelé LEAP qui consomme moins d’énergie et d’air pour rétro-lavage plus efficace » explique Julien Taconet.
L’évapo-concentration, qui associe distillation et concentration, consiste à vaporiser l’effluent (débarrassé de ses MES) pour récupérer d’une part de la vapeur d’eau très pure que l’on re-condense, d’autre part un reliquat très concentré. Elle repose sur des évapo-concentrateurs développés par Exonia, Vivlo, KMU Loft, Veolia ou TMW, et s’inscrit généralement dans une chaîne de traitement complète incluant des pré et post-traitements dont elle s’affranchit cependant plus facilement que d’autres technologies. Le choix d’un évapo-concentrateur, standard ou construit à façon pour répondre exactement aux besoins, dépend de nombreux paramètres : nature et volume des effluents à traiter, utilités disponibles (eau chaude, froide, vapeur), qualité du distillat, conformité des rejets, récupération de matières dans le concentrât, etc…. L’évapo-concentration nécessite des effluents dépourvus de polluant volatils (COV, ammoniac, etc.) qui sinon se retrouvent dans le distillat. Dans ce cas, il faut le faire précéder par une étape d’osmose inverse.
Les résines échangeuses d’ions, très utilisées en adoucissement et déminéralisation, substituent aux ions jugés indésirables d’autres ions considérés comme acceptables pour l’usage de l’eau recyclée. Produites par Dow Chemical ou Purolite, elles sont appréciées pour leur capacité à extraire et concentrer des composants dissous, par exemple récupérer un composant dans un effluent (Or ou Argent) ou extraire un contaminant pour prolonger la durée de vie d’un bain, ou encore récupérer un ion noble dans une solution de rinçage. La technique de l’échange d’ions est bien adaptée pour éliminer ou remplacer des contaminants présents en faible concentration. La durée d’épuisement de la résine peut être alors être longue, jusqu’à plusieurs mois. Car les résines doivent être périodiquement régénérées, que ce soit sur place pour les grosses installations ou dans des centres spécialisés - à l’instar de ceux de Tredi à Hombourg (près d’Ottmarscheim, Haut-Rhin) ou de L’Electrolyse (Latresne en Gironde) - pour les petites unités transportables. Cette opération exige des produits chimiques. Une nouvelle venue, l’électrodéionisation ou EDI, vient parfois concurrencer les résines échangeuses d’ions, surtout lorsque l’on souhaite une eau ultra-pure en sortie. Elle combine résines et techniques membranaires, et se passe de régénération. À la sortie, l’eau est totalement déminéralisée : aucun ion ne vient se substituer à ceux que l’on a éliminés. En général, l’EDI est installée en aval d’une unité d’osmose inverse dont elle “termine le travail”. Suez, Veolia, GE Water and Process Technologies, mais aussi des firmes plus spécialisées comme Sterigene (Franconville, Val-d’Oise), Triton Water (Norderstedt bei Hamburg, Allemagne) ou Lenntech (Delft, Pays-Bas) proposent régulièrement des installations d’EDI, généralement en amont des process. Pour Maxime Pollet chez Ovive, « la nouveauté consiste actuellement à l’utiliser en aval pour le recyclage ».
À tout cela s’ajoute, au besoin, une désinfection par rayons ultraviolets, un procédé efficace et peu coûteux pour prévenir un re-contamination bactérienne, quoique non rémanent. Si l’eau doit être stockée avant usage, il faudra envisager une chloration ou une bromation, donc prévoir un budget “consommables”.
De manière générale, le “re-use” est un marché de concepteurs de solutions, qui maîtrisent toutes les technologies disponibles et choisissent en fonction de la demande particulière. C’est le cas par exemple de Biome, Callisto, CMI Proserpol, ECA, Firmus, GE Water and Process Technologies, Hytec Industrie, Nalco Water ou Serep. Les grands opérateurs comme Suez, Veolia, Saur et leurs filiales respectives interviennent également sur ce marché. Tout en étant capables de faire appel à la plupart des technologies, certains concepteurs se spécialisent dans l’une d’elles, à l’instar d’Eaupro, TIA, Elmatec ou Orelis Environnement pour les membranes, Afig’eo pour les résines changeuses d’ions ou Vivlo, Corelec ou Actibio pour les évaporateurs.
« Le recyclage de l’eau et des ressources liquides est un axe clef de notre stratégie de croissance dans le domaine des technologies membranaires, explique ainsi François Garcia, Président Directeur Général d’Orelis Environnement. Seule une offre intégrée de produits et services tout au long de la chaîne de valeur permet de répondre de manière optimale aux besoins si spécifiques de chaque client et de chaque secteur industriel ».
Eaux industrielles : des profils aussi divers que variés
La production d’énergie utilise pour sa part de grandes quantités d’eau pour le refroidissement. Par conception, les centrales comportent des boucles de refroidissement incluant une épuration en continu. Il est cependant difficile de parler ici de recyclage ou de réutilisation tant l’eau fait partie intégrante du process. Bien qu’aucune grande réalisation de recyclage d’eau n’y ait vu le jour en France, l’oil & gaz représente un secteur important pour les fournisseurs de solutions. L’eau de récupération du pétrole - ou de fracturation pour le gaz de schiste - peut en effet être traitée et réutilisée pour le process. GE, Veolia (via OTV) ou Suez réalisent des installations à grande échelle, dans divers pays, pour cette industrie.
La sidérurgie et l’industrie automobile utilisent des bains chimiques de décapage, lavage, etc. L’usage le plus répandu actuellement consiste à remplacer les liquides des bains lorsqu’ils sont saturés. Julien Taconet y voit donc un marché en devenir pour le recyclage de l’eau, mais pas seulement : « nous travaillons sur des solutions avec membranes spécifiques pour séparer l’huile et l’eau. Il s’agit de récupérer à la fois l’eau et les produits tensioactifs pour les réutiliser dans les bains ». La perspective d’extraire et de récupérer des produits nobles peut justifier un projet de recyclage. Chaque cas est particulier.
Le secteur roi du recyclage de l’eau reste cependant le traitement de surface, pour des raisons réglementaires, mais pas seulement. Les industriels, dans ce domaine utilisent en effet beaucoup de bains de rinçage… mais sont soumis à une limitation légale de la quantité d’eau utilisée par unité de surface traitée. Comme l’explique Dominique Buzare, gérant d’Afi’geo, « du fait de sa forte consommation d’eau et de la limitation imposée par la réglementation française, le traitement de surface est historiquement un secteur qui a toujours recherché l’économie, le recyclage ». À tel point que Corelec, initialement fabricant de matériel pour le traitement de surface a été amené à proposer des solutions de retraitement des eaux via son département Environnement, qui intervient désormais dans divers secteurs industriels. Antoine Lemaire, directeur général délégué de CMI Proserpol, confirme cette singularité, précisant que « les seules installations en ZRL en France sont des sites de traitement de surface ». Bien entendu, au sein du traitement de surface, des industries comme la serrurerie, par exemple, auront des exigences moindres qu’en aéronautique quant à la qualité de l’eau fournie en sortie de traitement… D’où l’importance d’élaborer une réponse adaptée à chaque cas particulier.
Élaborer une réponse adaptée à chaque cas particulier
La maîtrise de la sécurité est un autre enjeu important. « Malgré l’efficacité des filières de traitement mises en œuvre, le risque peut exister de concentrer, par le fonctionnement en boucle, des polluants spécifiques non dégradés qui peuvent devenir préjudiciables et nécessiter des purges à évacuer comme déchet dangereux », souligne-t-on chez DEKRA Industrial. Les opérations de contrôles restent essentielles.
Des réalisations ambitieuses marquantes… mais hors de France
Afig’eo se consacre au marché du traitement de surface depuis sa création en 1972, proposant notamment des solutions à base de résines échangeuses d’ions. Dans le domaine de l’aéronautique, exigeant entre tous, la firme a ainsi réalisé une installation en ZRL à l’usine Messier-Bugatti (groupe Safran) de Molsheim, dans le Bas-Rhin. Les résines étant régénérées sur place, il faut traiter les éluats de régénération, qui sont donc envoyés dans une petite unité physico-chimique puis traités par électro-coagulation. « Finalement, on n’envoie en destruction à l’extérieur qu’une centaine de tonnes de déchets solides (boues et concentrât de sels) par an » souligne Dominique Buzare. Mise en service en février 2013, cette solution complète fait appel à plusieurs technologies, y compris l’osmose inverse pour préparer l’eau d’appoint servant à compenser les pertes par évaporation.
Ovive, spécialiste des traitements sur bioréacteurs à membrane, propose souvent d’y ajouter une étape d’osmose inverse. « Nous concevons, dimensionnons, fabriquons, mettons en service et, à la demande, exploitons ces installations » affirme Maxime Pollet. Sa société a en particulier réalisé une installation de traitement biologique suivi d’une nanofiltration et d’un traitement UV pour les effluents d’un site de traitement des déchets liquides de la SERP, en région parisienne. L’eau récupérée sert à nettoyer les camions-citernes transportant les déchets liquides. Confirmant le “frémissement” du marché, Maxime Pollet annonce plusieurs projets en France dans des industries comme le traitement des matières animales ou la pharmacie.