En industrie, et même dans certaines localités touristiques, la station de traitement des eaux usées doit pouvoir faire face à d’importantes variations de charge. Il existe différentes solutions technologiques pour cela, mais l’essentiel reste la conception de départ.
Changement de production, nettoyages, arrivée saisonnière de la matière première: les effluents industriels se distinguent par leur variabilité dans le temps, tant en qualité qu’en quantité. «Nous y sommes confrontés tous les jours en industrie, c’est notre cœur de métier. C’est vrai en agroalimentaire, qui dépend des saisons (betteraves pour le sucre, pommes pour les compotes, etc.) mais aussi en chimie, en cosmétique, en pharmacie. Toutes les industries sont plus ou moins concernées» explique ainsi Christophe Mêlé, Directeur Technique de Séché TEI (Traitement Eaux Industrielles).
L’agroalimentaire représente à cet égard un cas extrême, avec ses flux riches en graisse ou en sucres, dont les pics peuvent déstabiliser une station de traitement aérobie, voire encrasser les installations. Sans parler du nettoyage de fond de cuve, qui envoie un flux concentré à la fois en graisses et en détergents… Les systèmes de traitement des effluents doivent donc être capables de faire face à des variations de charge importantes. Même en assainissement municipal, où la qualité des eaux usées à traiter est relativement constante, des variations de volume peuvent advenir, en particulier dans les localités touristiques qui reçoivent un afflux d’habitants durant la bonne saison.
Pour faire face à cette situation, les concepteurs et exploitants disposent de plusieurs possibilités, y compris en intervenant en amont du traitement proprement dit. Dès lors, quelles dispositions adopter? Comment concevoir une filière de traitement ? Quelles sont les technologies les plus «résistantes»? Comment résoudre le compromis entre investissement et efficacité ? Que faire en cas de problème transitoire? Des bureaux d’étude comme Cirtec, Moleaer, Pixstart ou Flau et des constructeurs et traiteurs comme Acqua.ecologie, Ovive, John Cockerill, Waterleau, SerepSarpi, Veolia Water Technologies, Vivlo, ExoCell, Aquaprox I-Tech ou Nijhuis Saur Industries, entre autres, interviennent ici.
RÉFLÉCHIR AVANT D’AGIR
Cela peut sembler évident mais il arrive encore bien souvent que des traiteurs d’eau ou bureaux d’études soient appelés pour adapter a posteriori une filière existante ne pouvant pas faire face à des variations d’effluents pourtant prévisibles. C’est pourquoi tous insistent sur la connaissance initiale des flux à traiter avant de concevoir une installation. «C’est le plus important: nous préconisons d’intervenir en amont. Il faut bien connaître les différents flux dans le process pour éventuellement les prendre en charge séparément car tous n’ont pas la même concentration en polluants et n’auront pas le même impact sur la filière de traitement.
Réduire ou isoler à la source voire traiter certains flux très concentrés mais de volume limité soulage la filière principale en aval, et limite ainsi les investissements. Parfois, par exemple en sidérurgie ou en chimie, nous sommes également amenés à recycler en tête de filière une partie de l’effluent traité afin d’abaisser les concentrations en éléments toxiques (sulfocyanures, phénols, etc.) qui pourraient affecter le traitement biologique. Tout cela nécessite une étude initiale du process» insiste Christophe Mêlé (Séché TEI).
«Les études cartographiques des flux sont extrêmement importantes. Elles peuvent durer plusieurs mois chez des industriels qui dans leurs procédés ne s’intéressent pas forcément aux paramètres nécessaires pour le dimensionnement d’une station de traitement des effluents» confirme Julien Brochier, directeur de Vivlo. En connaissance de ces données, 1h2o3 peut profiter de la modularité de ses solutions, fabriquées dans ses deux usines françaises, pour assembler au cas par cas la filière adaptée à chaque problème.
«Nous disposons d’un véritable «jeu de construction», avec des briques technologiques standardisées que nous pouvons combiner afin de construire une filière dimensionnée pour répondre exactement au besoin» explique Nicolas Meudal, fondateur de 1h2o3. Métallurgie, blanchisserie, agroalimentaire (lavage de pommes de terre par exemple), pharmacie: la société intervient dans des domaines très variés.
L’INÉVITABLE BASSIN TAMPON
C’est une figure imposée. Pour faire face aux variations de quantité ou de qualité des effluents d’un process, tous les bureaux d’études ou constructeurs préconisent l’installation d’un bassin tampon en amont du traitement. Il est souvent muni d’une agitation et/ou d’une aération afin d’éviter la fermentation des effluents avant traitement. Le principal frein à cette solution reste l’emprise au sol sur des sites industriels déjà très encombrés, ainsi que le coût de la maçonnerie si le bassin est réalisé en dur.
Comme l’indique Christophe Mêlé (Séché TEI), «c’est LA solution de base, que nous préconisons systématiquement. Il permet à la fois d’absorber les variations de débit et d’homogénéiser, par mélange, la qualité des eaux à traiter. Dans certaines industries comme le traitement de surface ou la chimie, il existe même, en plus, des bassins dits «d’urgence » ou «de calamité », dédiés aux effluents très chargés ou accidentels, qu’ils relarguent «au compte-goutte » dans le flux principal à traiter». Séché TEI exploite par exemple une station de traitement des effluents d'un parc de loisirs où ces derniers sont lissés sur 24 heures.
Nicolas Meudal (1h2o3) est sur la même longueur d’onde. «C’est une solution nécessaire qui permet de limiter le coût des installations de traitement en aval. Beaucoup d’industriels fonctionnent par lots. Par exemple, en papèterie, vous pouvez avoir un jour des effluents chargés d’encre, le lendemain de l’eau blanche. J’intègre presque toujours un bassin tampon dans mes solutions modulaires. Il s’agit de cuves en matière plastique, légères, faciles à installer et insensibles à la corrosion. Elles sont aérées pour éviter les odeurs, et cela constitue même un prétraitement pour la pollution organique» souligne-t-il.
Pour des installations exposées à de fortes variations, comme en papèterie, la société Invent-uv recommande de son côté l’utilisation de son agitateur / aérateur Hyperclassic® : «Ses fonctions d’agitation et d’aération sont indépendantes, ce qui permet d’adapter la machine à des variation des besoins en oxygène entre 0 et 100 % de la capacité de conception. Avec une variation de fréquence sur le surpresseur (intégré dans nos iTurbo) comme sur l’agitateur / aérateur Hyperclassic®, nous pouvons optimiser la quantité d’oxygène. En adaptant la vitesse de rotation de l’aérateur, nous pouvons également optimiser l’ABS (apport en kg O2 /kW). Cette fonctionnalité permet d’économiser le plus d’énergie possible», explique Jantoon Reyers (Invent-uv).
Dimensionner un bassin tampon n’est cependant pas aussi simple qu’il n’y paraît. Il faut en particulier déterminer les fractions du volume total à allouer au tamponnement quantitatif et à l’homogénéisation qualitative, ce qui une fois de plus exige une bonne connaissance du process. «Le bassin tampon constitue une partie de la solution, en permettant un lissage des effluents sur une journée ou une demi-journée. En théorie, il faudrait même deux bassins distincts : un grand pour gérer les afflux de volume et un plus petit pour absorber les variations de qualité. Ce n’est évidemment jamais fait car cela demanderait trop d’emprise au sol, d’investissement» explique Olivier Bousige, Directeur Commercial d’Exocell.
Pour remédier à la problématique de l’emprise au sol des bassins tampon, des sociétés comme Tubao, basée en Normandie, propose depuis 2020 des solutions en PEHD double paroi installable en nappe et sous voirie lourde, pour les collectivités ou les industriels voulant se doter d'un BSR (bassin de stockage-restitution) tout en optimisant leur emprise foncière.
INSTRUMENTER LE FLUX POUR ADAPTER LE TRAITEMENT ?
Est-il nécessaire de mesurer en ligne la quantité et la qualité des effluents afin d’adapter en temps réel la filière de traitement à ces variations ? La question n’est pas tranchée. Deux écoles échangent leurs arguments. Nicolas Meudal (1h2o3) n’y est clairement pas favorable. «Plus nous installons de capteurs, plus nous avons besoin de personnel qualifié pour les étalonner et interpréter les données. Mieux vaut concevoir dès le départ une filière low-tech, simple à exploiter, surtout quand les installations sont petites» plaide-til. De son côté, Séché TEI les utilise dès que nécessaire. «Nous installons parfois des COTmètres, des sondes ammonium / nitrates, des analyseurs de phosphates ou des turbidimètres, par exemple, reliés à une régulation automatisée. Un logiciel maintient plus ou moins constante la charge de pollution arrivant au traitement dans une plage de débit acceptable. Cela permet de protéger des filières biologiques, en particulier, qui acceptent mal les variations de charge, et optimise les coûts d’exploitation» affirme ainsi Christophe Mêlé.
Il cite pour exemple un industriel de la chimie de spécialité générant plus de 500 m3 /h d'effluents avec une charge nitratée très variable. Séché TEI a conçu avec ses partenaires, et exploite une filière composée entre autres d'un bassin tampon et d'un traitement biologique de type MBBR (Moving Bed Biofilm Reactor). Installée plus récemment, une régulation automatique, utilisant les données de sondes nitrates, permet de «lisser» la charge des effluents envoyés au MBBR. «Nous avons de très bons résultats, avec des performances plus stables qu’initialement. Nous réalisons également des économies de substrat carboné en l’occurrence du méthanol pour le MBBR. Etant donné la taille de l’installation, le jeu en valait la chandelle» explique Christophe Mêlé.
Séché TEI exploite également une station de traitement recevant les effluents de plusieurs industriels, dont des chimistes. Elle dispose de plusieurs bassins tampons instrumentés et gérés de manière à pouvoir envoyer un mélange relativement homogène au traitement biologique. L’entreprise espagnole Azud détaille par ailleurs : «En amont de nos stations de traitement Watertech MBBR, nous installons souvent un réservoir tampon d’homogénéisation et d’accumulation des eaux usées. Son rôle principal est d’homogénéiser les variations de débit et de charge organique des eaux arrivant à la station. Cela permet d’assurer un approvisionnement stable et continu à la station d’épuration, en régulant les fluctuations des débits et de la charge organique de l’eau. Cette solution garantit une alimentation homogène et optimise le fonctionnement des stations. Nos stations de traitement Watertech MBBR sont principalement utilisées dans des applications telles que les campings, les zones urbaines décentralisées pouvant accueillir jusqu’à 10.000 habitants équivalents, ainsi que dans les complexes».
Pour faire face aux variations de charge des stations urbaines et industrielles, la société Kemira a mis au point KemConnect™ PT, une solution automatisée pour l’optimisation de la décantation par une analyse prédictive. Des algorithmes permettent de calculer le dosage optimal en fonction de la qualité souhaitée, des conditions à l’instant ‘t’ et de la performance mesurée. Le système permet de prédire de manière fiable la variation de charge en mesurant les changements de décantabilité afin de stabiliser le traitement par une optimisation proactive.
«Avec Kemira KemConnect™ PT, les stations de traitement disposent de la visibilité dont elles ont besoin pour gérer la variabilité de la charge, le traitement et les nombreuses autres variables qui affectent les performances. KemConnect™ PT collecte en permanence des données et fournit des informations à jour 24 h/24 et 7j/7 afin que les opérateurs puissent prendre les meilleures décisions, réagir plus rapidement et identifier en permanence les opportunités d’amélioration. Cette solution a notamment permis la stabilisation de plusieurs stations urbaines avec d’importantes variations de charge en régions touristiques, par exemple, une des plus grosses stations d’épuration portugaise ainsi que la station d’épuration de Mariehamn sur les îles Aland en Finlande», explique Kemira.
BWT utilise également des capteurs, en privilégiant toutefois la simplicité. «Nous trions les effluents sur la base de mesures de conductivité, turbidité, température ou pH, par exemple, donc avec des capteurs de base, peu onéreux. Nous réalisons actuellement des essais sur des effluents de laiterie, des ECML1 très chargées en matière organique. Un COTmètre donnerait certes la meilleure indication pour adapter la filière de traitement en aval mais c’est un appareil très coûteux, et nous nous en sortons avec la conductivité et la turbidité, mesures dont disposait déjà l’industriel» explique ainsi Dimitri Monot, responsable de l’activité Rejet et optimisation des usages de l’eau chez BWT.
De la même manière, Createch360 conçoit des solutions de pilotage de l’aération et dosage de réactifs en temps réel, spécifiques aux stations de traitement d’eaux industrielles, qui répondent aux profils journaliers, hebdomadaires et saisonniers. «Au-delà des gains d’OPEX générés, nos systèmes permettent de fiabiliser le process, et permettent ainsi à l’industriel de gagner du temps sur ce poste eaux usées, pour pouvoir le dédier à la ligne de production», explique Lynne Bouchy, Product Line Manager chez Createch360.
La société Nalco a quant à elle mis au point un algorithme pour sa solution baptisée «3D Trasar Technology», utilisant des mesures de turbidité pour contrôler les opérations, via sa plateforme Nalco 360/enVision pour la visualisation des paramètres de fonctionnement et la production de rapports, assurant une surveillance complète 24h/24 et 7j/7, intégrant un système complet de gestion des alarmes. Olivier Bousige, d’Exocell, cite pour sa part une chocolaterie ne disposant pas d’assez de place pour installer un bassin tampon. Or ses effluents sont très variables, en particulier lors des lavages de fond de cuve qui envoient ponctuellement un flux très chargé en graisses.
«Ne pouvant pas tamponner, nous avons installé des capteurs pour isoler les pointes de pollution et les diriger vers un exutoire approprié. Cela nous arrive souvent en chocolaterie ou fromagerie, dont les effluents sont sujets à de fortes variations de charge organique, en particulier des graisses. Des capteurs très simples, peu sujets à l’encrassement, suffisent: la température suffit par exemple pour détecter les phases de lavage à l’eau chaude. Nous essayons en général de disposer de trois capteurs différents pour recouper les informations. Il y a toujours une phase initiale d’étalonnage, spécifique à chaque site» précise-t-il.
DES TECHNIQUES PLUS « RÉSISTANTES » QUE D’AUTRES
Certaines méthodes de traitement « encaissent » mieux les variations de charges que d’autres. Elles ne représentent pas forcément le premier choix pour d’autres raisons (investissement, nature des boues…) mais constituent des solutions de repli lorsque le choix de référence, par exemple un traitement biologique par boues activées pour des effluents chargés en matière organique, n’est pas en mesure d’absorber les variations prévisibles. «Certaines techniques comme les traitements physico-chimique ou l’évapo-concentration acceptent mieux les variations que les procédés biologiques standards ou les membranes, par exemple. D’où l’intérêt de réaliser les choix initiaux en pleine connaissance de la nature des effluents » souligne Julien Brochier (Vivlo).
En 2021, Vivlo a ainsi entièrement reconfiguré une station de traitement par voie physico-chimique + boues activées chez un industriel de la cartonnerie. «Ce client peinait à se conformer à ses normes de rejet car des variations de flux importantes perturbaient les rendements de sa filière de traitement. Il rejette principalement des flux encrés ou amidonnés, mais ils arrivent de façon aléatoire dans la station, à raison de plusieurs dizaines de m3 /j pour chacun des flux. Les proportions d’encres de différentes couleurs peuvent aussi varier. Nous avons choisi d’installer en tête un évapoconcentrateur pour «encaisser» et lisser les variations de concentration afin d’envoyer un distillat plus stable vers le traitement biologique lui-même remplacé par un bioréacteur à membrane (BRM) » se souvient Julien Brochier.
KMU Loft Cleanwater a également complété une station de traitement par voie physico-chimique + boues activées chez un industriel de la chimie en 2020. «Notre client ne parvenait plus à se conformer à ses normes de rejet car au cours du temps son mix d’effluents a évolué et des variations de flux importantes perturbaient les rendements de sa filière de traitement. Il a donc fallu séparer certains flux en fonction de l’origine et de la nature d’éléments chimiques dissous. Les flux non-adaptés la station actuelle sont dirigés et traités sur un évapo-concentrateur. Dans un premier temps, des essais pilotes ont permis de le démontrer sur site et sur une durée de deux mois. Après avoir installé l’unité d’évapo-concentrateur définitive, ce traitement parallèle a permis à la station existante, avec quelques ajustement et réglages, de traiter l’ensemble des flux malgré de fortes variations en nature et en concentration», explique Jean-Lin Laurouaa (KMU Loft Cleanwater).
«En traitement tertiaire, deux technologies reviennent souvent: la décantation et la filtration. Un décanteur lamellaire supporte très bien les effluents chargés mais pas les pics de débit, alors qu’un filtre à tambour acceptera les pics de débit mais moins les effluents concentrés. Comme nous sommes souvent entre les deux situations, nous combinons ces deux technologies en un seul ensemble compact, en général moins cher et constituant une double barrière» explique Nicolas Meudal (1h2o3). Sa société a souvent installé ce type de combinaison dans l’industrie agroalimentaire. «Le décanteur est dimensionné pour le débit moyen et le filtre prend le relai lors des pointes. L’ensemble est déjà intégré hydrauliquement: c’est un système plug and play» insiste Nicolas Meudal.
En termes de traitement biologique, 1h2o3 a choisi le MBBR, intrinsèquement plus résistant aux variations de charge que les classiques bassins à boues activées, et plus facile à exploiter. La société détient d’ailleurs plusieurs brevets sur un système de MBBR à alimentation étagée. Un exemplaire a récemment été installé faisant suite à une combinaison décanteur-filtre à tambour chez un industriel de la cosmétique fabriquant savons et shampoings. Pour sa part, BWT utilise préférentiellement les technologies membranaires et ne réalise pas de traitement biologique.
La société intervient en effet de plus en plus souvent pour le traitement final des effluents déjà «épurés», avant leur réutilisation sur le site. C’est par exemple le cas pour l’usine L’Oréal de Libramont (Belgique) où un système combinant ultrafiltration et osmose inverse traite les effluents de la station d’épuration du site afin de les recycler. «Le système encaisse les variations dues aux lavages. Une ultrafiltration tangentielle peut accepter jusqu’à 100 mg/l MES. Les technologies membranaires sont en fait relativement flexibles» estime Dimitri Monot.
DES CONFIGURATIONS ÉVOLUTIVES, PARFOIS REDONDANTES
Une solution isolée, qu’il s’agisse d’un bassin tampon ou d’un traitement «robuste», ne suffit parfois pas pour faire face aux variations : c’est la configuration générale de la filière qu’il faut repenser. Sur le site du chimiste de spécialité déjà évoqué, Séché TEI exploite une filière assez complexe et évolutive, avec des normes de rejet très strictes. Le traitement biologique est constitué de trois bassins MBBR dont deux en dénitrification et un en post-aération: c’est cette configuration qui fonctionne la plupart du temps. «Il arrive cependant, de rares fois dans l’année, que ce client fabrique des produits générant des effluents ammoniaqués que la configuration habituelle ne peut traiter. On doit alors transformer un des bassins MBBR en nitrification. Nous le savons à l’avance, injectons un nutriment azoté et ensemençons le bassin. Il faut plusieurs semaines d’acclimatation pour obtenir une population bactérienne capable de transformer l’ammonium en nitrates, lesquels sont redirigés vers le premier bassin» explique Christophe Mêlé.
Dans le même ordre d’idées, il est possible au besoin de rajouter des médias de support bactérien dans des bassins existants pour en augmenter la capacité, si par exemple une nouvelle ligne de production est ajoutée à un site. «ExoCell propose des systèmes modulaires, qui s’installent sans génie civil et permettent de faire évoluer une installation de traitement au besoin. On peut ainsi ajouter une filtration, une désinfection ou des membranes si l’industriel décide de faire du recyclage, par exemple. Il peut aussi ajouter une chaîne de production, changer d’activité: nous pouvons reconfigurer la filière» affirme Olivier Bousige. Sur la base de principe connus (filtration, décantation, flottation…), ExoCell a beaucoup travaillé sur l’hydraulique et les mélanges pour gagner en compacité. La société propose par exemple un flottateur pouvant traiter 20 m3 /h d’effluent avec une emprise au sol d’un mètre carré.
Il existe une autre possibilité, elle aussi très discutée, pour adapter les stations aux variations de flux: la construction de deux (ou plus) files parallèles, que l’on met en service en fonction des besoins. «C’est possible dans l’absolu mais nous ne le préconisons pas. Des équipements électromécaniques qui ne fonctionnent pas en permanence nécessitent une maintenance bien faite pour pouvoir démarrer lorsqu’on en a besoin» explique Olivier Bousige (ExoCell). Dans des cas particuliers, Séché TEI réalise parfois de telles installations. C’est par exemple le cas auprès d’un grand groupe sucrier. La campagne de production dure en général de septembre à janvier, au moment de la récolte des betteraves. Séché, qui prend en charge la déshydratation et la valorisation des boues biologiques, a mis en place deux centrifugeuses de capacités différentes qui sont mises en marche, ensemble ou séparément, en fonction de la charge en MES à traiter.
BWT installe également des filières membranaires en parallèle pour faire face aux variations quantitatives d’effluent à traiter. Cela permet des économies d’énergie durant les périodes «basses». La société Cohin Environnement propose également des solutions modulaires destinées par exemple au traitement des eaux de lavage, permettant d’adapter facilement la capacité de traitement en fonction des besoins pour différents effluents industriels, variant en qualité et en quantité en fonction des saisons, des changements de production et des nettoyages. «La filière de traitement des eaux de lavage doit pouvoir supporter de très fortes variations de charges.
Dans l’activité de stations de lavage de camions citernes ayant transporté des produits liquides pulvérulents alimentaires, industriels ou chimiques, il n’est possible de programmer le type de citernes à laver et cela peut varier sur des typologies de produits allant du chocolat aux engrais… La bonne gestion des variations de charge réside donc dans une conception initiale solide, ainsi que dans l’utilisation de technologies adaptées et évolutives. Nos unités compactes Waste Water Box peuvent être modulaires, permettant d’ajuster la capacité de traitement en ajoutant ou en retirant des modules selon les besoins. Cette flexibilité est particulièrement utile pour faire face aux variations saisonnières ou aux augmentations temporaires de la charge des effluents», explique Sandrine Noël (Cohin Environnement).
La société Acqua Écologie met aussi à disposition de ses clients différents systèmes pour faire face aux variations de charges, comme l’explique son président et fondateur Romain Salza: «Nous proposons notamment la technologie FAST en configuration HighStrenghFAST, MyFAST, MacroFITT qui est très souvent installée en zone touristique et permet de très grosses variations de charges tout en restant performante. Nous proposons aussi le BioBarrier HSMBR qui permet de réutiliser l’eau et sur lequel les variations de charges n’ont pas d’impact. Il est souvent utilisé pour les campings, restaurants, ou chez les industriels. Notre gamme ASMR Acqua Smart Reuse permet aussi d’adapter des unités modulaires et redondantes afin d’augmenter ou diminuer les charges progressivement».
Sur des volumes d’effluents largement inférieurs à ceux de l’industrie ou d’une commune, résultant d’une utilisation ponctuelle ou exceptionnelle, le rapport entre l’investissement et la fréquence d’utilisation constitue bien souvent un sujet de réflexion pour l’exploitant. Des cas spécifiques pour lesquels l’entreprise Xpertus® propose son module Atlantik®. Une solution qui a par exemple récemment répondu aux besoins d’un revendeur de machines forestières souhaitant disposer d’un procédé mobile et durable de lavage de ses engins de démonstration.
«Le module est réalisé sur mesure après étude et analyse des effluents à traiter. Il permet à l’exploitant, grâce à une installation rapide et une utilisation simplifiée, d’être en conformité avec les normes environnementales, et ce pour pour un budget adapté à ses capacités. Nous plaçons les engins, matériels, véhicules à laver ou sources de pollution sur une bâche mobile avec équerres intégrées relevables, les effluents sont recueillis via une pompe installée sur la bâche, puis envoyés vers un module mobile de traitements avec la filtration adaptée à la destination: unité collective de traitement, stockage pour le traitement via un acteur spécialisé ou rejet vers le milieu naturel», explique l’entreprise Xpertus®.
LA LOCATION : UNE OPTION À NE PAS NÉGLIGER
Il arrive que les variations de flux à traiter ne soient pas assez fréquentes pour justifier une installation pérenne. La location d’une unité de traitement permet alors de passer le cap. «Nous disposons d’un parc d’unités mobiles pour le traitement des effluents et des boues. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur deux filiales de Séché : Séché Eco Services et Séché Urgences Interventions » indique Christophe Mêlé pour Séché TEI. Il cite l’exemple d’un industriel de l’agroalimentaire dans l’ouest de la France dont Séché exploite la STEP biologique.
Face à un gros afflux d’effluents chargés, il a fallu, avec l’aide du client, creuser une lagune et en faire un bassin de boues activées en apportant des unités mobiles d’aération (avec sonde à oxygène intégrée) et de flottation (pour la séparation des boues). «Nous l’avons installé en un mois, creusement et ensemencement compris, l’avons exploité plusieurs mois puis aujourd'hui transformé en lagune de stockage» se souvient Christophe Mêlé. «Nous développons la location pour faire face aux variations saisonnières, par exemple en industrie agroalimentaire … ou dans les villes balnéaires. Nous constituons donc un parc mobile de flottateurs, filtres et décanteurs. Renforcer le traitement primaire soulage le bassin biologique, qui lui ne peut guère s’adapter. On peut aussi «aider» le clarificateur en installant à côté un flottateur en conteneur» énumère pour sa part Olivier Bousige (ExoCell).
NSI Mobile Water Solutions de Nijhuis Saur Industries et Veolia, entre autres, disposent également d’importants parcs de location. Dans la même démarche de flexibilité, l’entreprise Coldep a lancé un partenariat stratégique avec Nomado, une entreprise marseillaise spécialisée dans les solutions mobiles de traitement de l’eau, pour concevoir un modèle conteneurisé de son système VAL INDUS. Ce projet repose sur l’intégration de la technologie éprouvée de flottation sous vide dans un conteneur standard de 20 pieds, combinant les expertises respectives des deux entreprises.
Cette solution mobile, dont la fabrication sera lancée début 2025, vise à répondre aux besoins spécifiques des industriels en proposant des applications flexibles : essais sur site pour analyser les variations de charge ou déploiement en mode location plugand-play. «En ciblant particulièrement les secteurs agroalimentaire et chimique, notre solution ambitionne de réaliser des performances élevées telles que des économies d’énergie significatives, une réduction des MES et de la DCO, et une valorisation des boues avec une siccité supérieure à 15%, dépassant les standards des systèmes DAF traditionnels», explique Coldep.
MUNICIPALITÉS : UN CAS À PART ?
«La France est un grand pays touristique, et nous rencontrons fréquemment le cas de collectivités dont la population augmente très fortement durant certaines saisons» rappelle Florian Routhier, directeur général adjoint de Sources. Comment adapter la STEP municipale à cet afflux? Il est bien sûr possible de mettre en route des filières parallèles mais ce n’est pas la seule solution. Sources propose plutôt une technologie biologique qui accepte les variations : le concept Villa Calypseau®, intégrant les boues granulaires Nereda dont la concentration en biomasse peut évoluer. Sources a installé trois réacteurs de ce type en parallèle à Saint Gilles-Croix-de-Vie (Vendée).
«La STEP passe de 20-25000 Equivalents habitants l’hiver à 102000 en été ! Les trois réacteurs fonctionnent en continu car ils doivent faire face à une forte charge hydraulique en hiver. C’est la concentration en bactéries qui varie en fonction des besoins, et donc augmente en été » explique Florian Routhier. Il est également possible de recourir à la biofiltration, en disposant de plusieurs cellules, ou même d’implémenter des technologies dans une STEP classique existante. Par exemple: installer en amont du bassin d’aération une zone de prétraitement anoxique (dénitrification) que l’on sollicite en été et shunte en hiver.
«Enfin, au-delà des actifs construits, il est possible d’optimiser le pilotage des process pour maximiser les ajustements en temps réel aux à-coups de charge fréquents, ou pour mettre en place des modes d’adaptation progressive en vue des variations de charge en entrée / sortie de saison touristique», ajoute Lynne Bouchy (Createch36).
ADAPTER LA STATION D’ÉPURATION À LA HAUTE SAISON TOURISTIQUE
OTV développe également des systèmes de traitement des eaux spécifiquement conçus pour les destinations touristiques. Ces solutions sont particulièrement adaptées pour gérer les variations saisonnières de charges polluantes, notamment pendant les périodes de forte affluence. Un exemple concret de cette expertise est la station d’épuration de Tignes les Brévières, qui traite les eaux usées des communes de Tignes les Brévières, Tignes le Lac, Lavachet et Val Claret pour une capacité de 50000 EH.
Cette installation utilise une biofiltration constituée de 6 cellules BiostyrTM, chacune couvrant une surface de 43 m². Ce procédé modulaire permet une élimination poussée de la pollution dissoute, répondant ainsi aux obligations réglementaires de rejet dans l’Isère et le barrage des Brévières, même en période de pic touristique. Pour les zones touristiques, la société Flau propose aussi des solutions compactes et modulaires implantées au plus près de la zone de production des eaux usées, ce qui évite de surcharger la station d’épuration communale en haute saison et représente une économie en termes d’infrastructures : «Privilégier l’écoulement gravitaire avec l’installation d’unités de traitement en point bas permet en effet de se passer de nouvelles stations de pompage, contraignantes à exploiter, coûteuses et souvent énergivores.
Grâce à la flexibilité d’utilisation de nos modules Biobox et Ufbox, il est possible de faire évoluer le procédé de traitement en fonction de la saison, en passant du fonctionnement SBR (boue activée à fonctionnement séquentiel) en basse saison, au BRM (Bio réacteur à membrane) en haute saison. Il sera ainsi possible de couvrir une plage de fonctionnement comprise entre 100 et 800 habitants, avec une emprise au sol limitée puisque 260 m2 suffiront pour implanter le prétraitement, une unité Biobox, une unité Ufbox, la déshydratation des boues, et la pressurisation des eaux traitées pour la REUSE», précise Flau.