Les solutions “alternatives” de gestion de l’eau de pluie reposent souvent sur l’infiltration dans le sol, auquel il revient de dégrader les polluants. Mais est-ce toujours suffisant? Le débat est encore vif…
Les techniques “alternatives” de gestion des eaux pluviales urbaines sont préférables à l’évacuation en réseau, unitaire ou non. Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur ce principe. Mais cela implique-t-il de dépolluer l’eau avant rejet ? Comment faire, si l’on a opté pour des solutions “naturelles” (noues, tranchées, bassins d’infiltration, etc.), pour éviter leur colmatage à la longue ? Quand faut-il recourir à des dispositifs industriels de prétraitement ? Autant de questions qui font encore l’objet de travaux de recherche… et de débats.
D’abord limiter le ruissellement !
L’eau de pluie n’est pas elle-même un modèle de pureté mais c’est essentiellement en ruisselant sur les toits et la voirie qu’elle se charge en polluants : particules diverses, hydrocarbures, matières organiques, métaux, micropolluants… « Si on limite le ruissellement, les solutions fondées sur la nature fonctionnent très bien et ne nécessitent aucun prétraitement. Le sol vivant assure lui-même la dépollution. Très majoritairement, les eaux pluviales en gestion durable et Intégrée, c'est à dire à la source, n'ont pas besoin de traitement. C'est le cas à 90 %, sauf en milieu industriel... » affirme d’emblée Jean-Jacques Hérin, président de l’Association pour le développement opérationnel et la promotion des techniques alternatives (Adopta). Il parle ici de noues, tranchées, toitures végétalisées et autres systèmes où la surface de collecte n’excède pas 10 fois celle de l’ouvrage. On ne peut certes pas végétaliser toute une ville mais des solutions comme les structures alvéolaires ultra-légères pour bassins enterrés sous chaussée type ACO Stormbrixx, ou des supports alvéolaires pour gazon ou gravier, destinés aux terrasses, allées et parkings, comme ACO Grass ou ACO Gravel qui permettent aussi une infiltration naturelle des eaux pluviales à la parcelle, Nidaplast (Nidagrass et Nidagravel) ou Alkern (gamme O' pour la voirie drainante) proposent ce type de solutions.
Les premiers résultats du projet TAM1, qui étudie in situ les performances de noues et chaussées réservoir, confirment leur efficacité. « Dans l’eau infiltrée sous les ouvrages, la très grande majorité des polluants organiques sont indétectables. Seuls les HAP subsistent car ce sont des molécules très difficiles à dégrader » signale Jean-Jacques Hérin. Élodie Brelot, du Graie, confirme l’efficacité de ces solutions “alternatives” pour piéger la pollution et la dégrader. « Je préfère parler d’“abattement” que de “filière de dépollution”, cette dernière consistant à prélever et concentrer des polluants dont il faut ensuite se débarrasser » précise-t-elle.
Certes, mais qu’en est-il du risque de colmatage ? « Nos plus anciennes noues ont au moins 20 ans et nous n’avons aucun besoin de curage ou de décolmatage. Si la noue est réellement végétalisée, et pas simplement engazonnée, les systèmes racinaires des plantes permettent au sol de fonctionner », répond Jean-Jacques Hérin. Seule précaution à prendre pour éviter la formation locale d’une couche de surface : privilégier une alimentation diffuse plutôt qu’une arrivée de l’eau en un seul point.
Et si on ne peut pas éviter le ruissellement ?
En ville, il n’est pas toujours possible d’éviter le ruissellement, surtout lorsque le tissu urbain est trop dense pour installer des solutions végétalisées. « Les SAUL, qui minimisent l’emprise foncière d’un système d’infiltration/rétention, sont plus pertinentes en zone urbaine, là où il n’est pas possible d’épandre les eaux pluviales sur de grandes surfaces naturelles. Les systèmes d’infiltration permettent de répondre aux contraintes liées à chaque application tout en retenant les eaux de surface qui sont ensuite progressivement restituées dans le sol, contribuant ainsi à la reconstitution de la nappe phréatique. ACO propose 2 types de SAUL : ACO Stormbrixx SD, adapté aux espaces verts et véhicules légers, et ACO Stormbrixx ST adapté au trafic et charges lourdes » souligne Frédéric Vincke, directeur marketing et commercial d’ACO France. Des constructeurs comme ATE, Dyka (Rainbox Rausikko Box C), Eluvio, Fränkische (Rigofill), Funke (D Raintank), Hauraton, Hamon (GEOlight®), Graf (Ecobloc), Nicoll (Waterloc), Nidaplast (AZbox), Polypipe (Polystorm), Simop ou Wavin (Q-Bic Plus et AquaCell) sont également présents sur ce marché. « Quand on ne peut éviter le ruissellement, on choisit des solutions enterrées avec collecte. Et là, il faut un minimum de prétraitement », reconnaît Jean-Jacques Hérin. Adopta a justement mis au point une bouche d’injection pour ce type de situation. Ressemblant à une classique bouche d’égout en béton, elle est dotée d’un système de décantation de 240 litres, plus un filtre empêchant les flottants de pénétrer dans le réservoir. Comme tous les systèmes à décantation, elle repose sur le fait que les particules en suspension adsorbent la majeure partie de la pollution (métaux et polluants organiques). « Nous retenons ainsi de 80 à 90 % des métaux, ce qui est suffisant dans la majorité des situations », estime Jean-Jacques Hénin.
Alkern propose l’utilisation du système Hydrocyl, associé aux solutions pour voiries drainantes, pour créer une structure réservoir in situ. Le système 100 % béton et sa géométrie (60 % de vide) offre une capacité de stockage des eaux pluviales de 600 1/m³ et permet d’atteindre une vitesse d’absorption de 1 mètre par seconde selon l’étude du CERIB 222.E. Un réseau de regards permet en outre le curage et l’extraction des flottants.
Restent les contextes plus délicats, comportant des risques de pollution chronique ou accidentelle, comme par exemple les zones industrielles ou les voies à grande circulation. Et là, les caniveaux filtrants, décanteurs, dégrilleurs et autres systèmes manufacturés ont leur mot à dire. ACO (StormClean), Fränkische (SediPipe), Nidaplast (Nidtreatment), Stradal (First Defense), Wavin (Certaro HDS), Ajelis (nappe dépolluante Geocapt®) ou encore ACQUA .ecologie / BioMicrobics France (StormTEE®) : les acteurs ne manquent pas.
« Fränkische développe de nombreuses solutions de pré-traitement des eaux pluviales en fonction des applications et de l’environnement à traiter des débits et taux d’abattement requis : des dégrilleurs (Storm dégrilleur), filtres fins (Rigoclean), sédimentation des Matières en Suspension, piège à liquides légers ou hydrocarbures (via la gamme SediPipe), aquatextiles oléodépolluants (en partenariat avec Tencate Aquavia sur le GeoClean AZURE et combiné aux modules d’infiltration Rigofill), double effet vortex (StormProtect 2V), autant de technologies brevetées, certifiées (Avis Technique du CSTB et marque de qualité QB pour la gamme SediPipe), éprouvées sur le terrain grâce à des retours d’expérience solides », précise Géraldine Rousseau, directrice marketing et communication.
La nouvelle entité dédiée à la dépollution des eaux pluviales du groupe TenCate, baptisée TenCate AquaVia, développe des solutions d’aquatextiles oléo-dépolluantes TenCate GeoClean®.
« TenCate AquaVia conçoit des aquatextiles oléo-dépolluants TenCate GeoClean® pour le traitement des eaux pluviales à la source dans des ouvrages décentralisés d’infiltration, tels que les bassins (SAUL), noues, fossés, tranchées, puits et sous les revêtements perméables. Cette solution qui ne nécessite aucun entretien, infiltre l’eau instantanément grâce à la forte perméabilité de l’aquatextile (10-2 m/s). Au passage, plus de 99 % des hydrocarbures dissous sont fixés sur les filaments oléophiles de façon irréversible. L’aquatextile active et stimule ensuite systématiquement et durablement leur biodégradation naturelle par les microorganismes du sol avec un rendement très élevé (plusieurs litres d’huile biodégradés par an pour des surfaces de quelques dizaines de m²). L’eau traitée a une faible teneur résiduelle en hydrocarbures (< 2 mg/l), évitant une pollution chronique des sols », résume Ophélie Gonçalves, Marketing & Communication Manager chez TenCate AquaVia.
En cas de déversement accidentel, l’aquatextile joue également le rôle d’une barrière à l’infiltration massive d’huile. « Ces solutions ont leur utilité dans certains contextes mais il ne faut pas en mettre partout et n’importe où », insiste Élodie Brelot. On touche là un sujet très débattu… « Où place-t-on le curseur en termes de traitement ? Le choix entre solution naturelle ou industrielle dépend de l’amont (risques de pollution) et de l’aval, une rivière étant moins exigeante qu’une nappe », explique Raphaël Vite, directeur France chez Funke. « On a trop tendance à opposer solutions industrielles et techniques naturelles, alors que le bon sens consiste à les associer. S’il y a contamination avec des MES, il est pertinent d’installer un système de prétraitement en amont des techniques alternatives » estime pour sa part Jean-Yves Viau, directeur opérationnel de Saint Dizier.
Le cas des bassins d’infiltration
Très fréquents, les bassins de rétention et infiltration sont des solutions “naturelles” drainant des surfaces conséquentes. Le bassin Django Reinhardt à Chassieu (près de Lyon), recueille ainsi les eaux pluviales d’une zone industrielle de 185 hectares, alors qu’il ne fait lui-même qu’un hectare. Est-il nécessaire de traiter l’eau de ruissellement avant son entrée dans ce type de bassin ? « Les bassins piègent sur une grande surface les sédiments qui se dégradent avec le temps. Au bout de quelques années, il faudra curer pour récupérer des sédiments dont la qualité se sera améliorée par dégradation biologique, action du soleil, etc. Si on installe un piège en amont, on concentre les sédiments dans une enceinte humide, enterrée, où ils n’évolueront pas. Donc on maintient en mauvaise qualité un sédiment qu’il faudra ensuite traiter, plutôt que le récupérer au fond du bassin et simplement l’épandre car la nature aura fait son travail » s’agace Élodie Brelot. Reste le coût non négligeable du curage d’un bassin, et le fait que, les normes pouvant évoluer, il ne sera peut-être plus possible d’épandre simplement les sédiments : il faudra les nettoyer et les valoriser. C’est du moins ce qu’objecte Jean-Yves Viau (Saint Dizier).
La question des micropolluants
Les sols trouvent là leur limite. Ils ne peuvent pas dégrader les métaux, ni retenir les micropolluants organiques dissouts : HAP, phtalates, résidus de pesticides, alkylphénols, bisphénol, PCB, etc. « Les études démontrent l’efficacité des sols mais certaines molécules indésirables dissoutes rejoignent les nappes. Nous travaillons sur le piégeage de ces indésirables en amont ou au niveau des techniques alternatives » explique par exemple Jean-Yves Viau (Saint Dizier). Les systèmes manufacturés de sédimentation laissent eux aussi passer la pollution dissoute. C’est pourquoi beaucoup de fabricants ajoutent aujourd’hui des substrats filtrants et adsorbants.
ACO propose donc sa solution compacte ACO Stormclean qui combine décantation dans sa zone débourbeur et filtration/absorption des hydrocarbures, des micropolluants et MSE à travers le media filtrant. Son dispositif d’échantillonnage permet de réaliser des prélèvements pendant son utilisation. Le media filtrant est facilement accessible pour être remplacé tous les 4 ans.
Dans le même esprit, la société Ajelis propose des sorbants sélectifs de métaux lourds qui vont progressivement se charger en micropolluants dissouts. Malgré la présence de calcium sur les sols calcaires ou de sodium après des apports de sels de déverglaçage, les matériaux de la gamme GEOCAPT® vont préférentiellement retenir les ions de métaux lourds toxiques comme le cuivre, le zinc, le nickel ou l’arsenic. Pour amortir les coûts, ces nappes GEOCAPT® associées à des SAUL peuvent être régulièrement régénérées.
Birco (BIRCOpur®), Fränkische (gamme SediPipe, seul système de traitement certifié par le CSTB à ce jour en France), Hauraton, MEA, Nidaplast (Nidatreatment KF), Dyka (sediclean) ou Wavin (Avaloir de chaussée Tegra et Regard Dégrilleur Certaro) associent également sédimentation des MES et piégeage de la pollution dissoute.
Le regard Wavin Certaro Dégrilleur est un dispositif de prétraitement des macros-déchets flottants avec un fond de décantation pour piégeage et sédimentation des MES.
L’avaloir de chaussée Wavin Tegra avec son système de décantation intégré et son filtre 360° permet de traiter l’eau de pluie avant de l’envoyer dans le bassin.
Le système de caniveau de filtration et de traitement modulaire proposé notamment par Birco, repose sur le bac de sédimentation qui retient les matières solides en suspension et le coussin filtrant à granulat qui absorbe les polluants organiques et inorganiques dissouts dans l'eau.
Conçu pour les infrastructures routières, aires industrielles et surfaces logistiques, il a la classe de sollicitation F 900 et permet le traitement des eaux de pluies d’une surface de 20 m² par mètre linéaire de caniveau.
L’avaloir Innolet de Funke, qui traite une surface de 400 m², utilise le même principe. Pour les grandes surfaces, mieux vaut se tourner vers le caniveau infiltrant Rainclean, pourvu lui aussi d’un substrat traitant. « Le substrat n’est pas le même. Celui d’Innolet adsorbe les hydrocarbures et doit donc être changé au bout de quelques années, lorsqu’il est saturé. Dans celui de Rainclean, les hydrocarbures sont dégradés par la vie microbienne. Sa durée de vie théorique est de 20 ans mais l’expérience nous pousse à la prolonger encore » précise Raphaël Vite. Une zone industrielle près d’Amiens est ainsi entièrement équipée de caniveaux Rainclean. « La CCI d’Amiens a choisi la solution pour la voirie, et recommande aux aménageurs privés de faire de même. Nous avons ainsi installé 1,2 km de Rainclean sur la plateforme d’Amazon » explique Raphaël Vite. La ville de Publier, près d’Evian, a opté pour des avaloirs Innolet. « Les eaux pluviales se déversaient directement dans le lac Léman, il fallait un prétraitement. Nous avons installé 30 Innolet, et 50 autres sont à venir, pour équiper tout le centre-ville » affirme Raphaël Vite.
Saint Dizier commercialise son Stoppol, initialement développé pour stopper les MES, pour une surface maximale de 1.000 m². « Pour la pollution dissoute, nous y ajoutons un substrat filtrant et adsorbant. La première génération est à base de charbon actif mais nous testons actuellement plusieurs autres solutions sur des eaux pluviales réelles. Fin 2020, nous présenterons la version 2 du Stoppol CKF » annonce Jean-Yves Viau. La ville de Rennes, par exemple, a installé récemment 25 Stoppol. « Rappelons toutefois que la pollution organique, hors HAP, est dégradée dans bien des cas par le sol, notamment pour les pesticides », précise Jean-Jacques Hénin.
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