Particulièrement sollicitées, les canalisations d’eau potable n’échappent pas aux épreuves du temps ni à l’usure. Mais comment se préparer à maintenir en service les 900 000 km de conduites en France, tout en limitant les pertes d’une ressource de plus en plus précieuse Face aux enjeux d’efficience et de durabilité qui attendent les collectivités et les gestionnaires des réseaux, la solution consistant à déployer une stratégie de pilotage à long terme plus ambitieuse semble de plus en plus s’imposer.
Assurer la distribution d’eau potable sur tout le territoire avec des canalisations enterrées (et donc invisibles) parfois très anciennes et fuyardes, est le lot quotidien des collectivités en France. «Face à cet enjeu de taille, il leur faut prioriser leurs plans de rénovation à grande échelle, en prenant en compte à la fois de fortes contraintes budgétaires et l’urgence de mieux préserver la ressource en eau», rappelle Frédéric Piefort, directeur de marché municipal chez Xylem.
Et cela commence par mesurer la durée de vie du réseau et le taux d’usure des canalisations, comme par exemple avec les solutions d’analyse structurelle des réseaux d’eau proposés par Xylem. «Des informations essentielles, pointe le responsable, pour soutenir les gestionnaires dans l’optimisation de la gestion de leur patrimoine et dans leur prise de décisions stratégiques.» Sans compter que demain, les canalisations neuves devront durer au moins aussi longtemps que celles qui ont été posées.
« LA PREUVE PAR L’USAGE, AUJOURD’HUI ÇA COMPTE »
Certaines canalisations en fonte Pontà-Mousson sont encore en service après plus de 100 ans. Pour les clients du fabricant français Saint-Gobain Pam, il est aujourd’hui clair que le temps a prouvé que la fonte était une solution durable, répondant parfaitement aux garanties de sécurité en termes de santé publique (ACS) pour les revêtements ciment. «Les collectivités qui suivent et entretiennent leurs réseaux depuis des années choisissent la fonte en connaissance de cause», souligne Jérôme Guilleautot, directeur commercial France Saint-Gobain Pam.
Confrontées à des dépôts de manganèse et de calcaire à l’intérieur et à l’agressivité des sols à l’extérieur, «les conduites resteront malgré tout étanches, assure le directeur, et nous avons par ailleurs énormément travaillé depuis une quinzaine d’années sur la protection extérieure de nos tuyaux afin d’améliorer la durée de vie du tuyau. Avec le revêtement Aquacoat totalement neutre (bisphénol free et sans BPA), là, nous avons une longueur d’avance».
L’EXPLOITATION ET LA MAINTENANCE RÉGIONALE
Assurer la distribution en eau brute et en eau potable sur plusieurs départements demande une certaine organisation et capacité d’adaptation pour maintenir la qualité du service. BRL Exploitation, filiale du Groupe BRL, est en charge notamment de l’exploitation et de la maintenance du Réseau Hydraulique Régional, propriété de la Région Occitanie, dont la ressource principale vient du Rhône, sur le littoral méditerranéen de la région Occitanie (Gard, Hérault, Aude).
BRL Exploitation s’appuie sur une gestion patrimoniale du réseau pour entretenir et améliorer l’efficacité des différents ouvrages hydrauliques, barrages, canaux, stations de pompage et plusieurs milliers de kilomètres de conduites qui le composent. «En résumé, explique Franck Maruejols, directeur général de BRL Exploitation, nous avons une compétence distinctive d’exploitation et maintenance pour des grandes infrastructures hydrauliques d’intérêt régional, du barrage jusqu’au robinet d’eau potable, et jusqu’au goutte à goutte pour l’irrigation agricole ».
DEMAIN, DES TRAVAUX PLUS VERTUEUX
Depuis maintenant plus de 60 ans, les techniques sans tranchées (TST), alternative aux travaux traditionnels sur les canalisations, se développent timidement. Particulièrement en France, où elles peinent encore à convaincre. Elles ont pourtant une carte à jouer dans la pose et le renouvellement des réseaux d’eau potable au vu des enjeux environnementaux mais aussi du besoin de renouvellement du patrimoine. «Vu l’état des réseaux d’eau potable aujourd’hui, la réhabilitation pourrait même être plus importante que la pose (temps de renouvellement moyen = 160 ans)», explique Florian Raynaud, dirigeant d’Aquarex Équipement, spécialiste des équipements pour la pose et la réhabilitation sans tranchée notamment de la marque Terra.
Un domaine dans lequel est aussi présente l’entreprise A.R.T. Europe, qui propose notamment une technique consistant à appliquer un revêtement interne en résine polyuréthane après une préparation rigoureuse de la conduite, incluant le nettoyage et la neutralisation des dépôts. «Les TST peuvent répondre à la moitié, voire aux ¾ des marchés. Quel que soit l’état des canalisations, nous allons pouvoir renouveler la canalisation grâce à des techniques qui ont largement fait leurs preuves, et qui sont bien moins polluantes», ajoute-t-il. Résultat: un tuyau neuf et structurant avec la durée de vie… d’un tuyau neuf, posé en trois fois moins de temps qu’une méthode traditionnelle.
La société Molecor propose également ses tuyaux Tom® pour les canalisations d’eau sous moyenne et haute pression, destinés à l’approvisionnement en eau potable, ainsi qu’à différents usages industriels.
« RÉNOVER PLUTÔT QUE DE CHANGER »
Sur le terrain de jeu de BRL Exploitation, le réseau est composé de canalisations en béton précontraint pour les diamètres de 600 mm jusqu’à 2100 mm, et pour les diamètres inférieurs à 600 mm de conduites de toutes sorte de matériaux: fonte, acier, amiante ciment, PVC… et polyéthylène pour les canalisations les plus récentes. Les conduites béton mises en service dans les années 60, sont particulièrement en bon état mais parfois fragilisées au niveau des joints, principal point d’usure et objet d ’intervention des équipes de réparation de BRL Exploitation.
«Les réparations au niveau des joints peuvent se faire par l’extérieur, par mise en place de manchons, mais cela impose des terrassements importants. La mise en place de joints physiques à l’intérieur des conduites parfois aidés de robots, reste la meilleure option, la plus efficace en zones difficiles d’accès, en milieu urbain ou sous voirie notamment et par ailleurs moins couteuse si plusieurs joints sont traités au cours de la même opération. Il est important au préalable avant ce type d’intervention de retirer dans ces canalisations d’eau brute les éventuels dépôts de sédiments, cette phase de préparation pouvant être assez longue», souligne le dirigeant.
Le principe est de réparer plutôt que de changer (curatif et préventif), pour les conduites de gros diamètres en béton et de remplacer les plus petits diamètres par des conduites en Polyéthylène, sur des zones fragilisées par des fuites récurrentes.
POUVOIR MESURER LE TAUX D’USURE DES CANALISATIONS
Dans une logique d’amélioration du bilan carbone, le fabricant de canalisations Elydan a quant à lui lancé en 2023 le tube Prolinear RCD, spécialement conçu pour la réalisation de réseaux d’eau potable. Afin de répondre aux contraintes spécifiques de ces infrastructures, Elydan a choisi le matériau PE100-RCD, un polyéthylène haute densité de dernière génération, qui combine les avantages du PE100-RD (résistance accrue aux désinfectants) et du PE100-RC (résistance accrue à la fissuration lente).
À l’inverse d’un tube en PE100 standard, le tube Prolinear RCD peut être installé sans enrobage de sable, permettant l’économie des matériaux d’apports et facilitant la logistique des chantiers, puisque la tranchée peut être remblayée directement avec ses propres déblais, réduisant ainsi l’impact environnemental des chantiers.
«Nous proposons également des canalisations utilisant des matières premières renouvelables d’origine non fossile, comme les matières polyéthylène issues de la valorisation de déchets d’origine biologique, qui ont des performances et une qualité équivalente aux matières vierges d’origine. Grâce à ces solutions, nous participons à l’objectif d’atteinte de la neutralité carbone. Ceci est garanti grâce à notre certification ISCC +. Aujourd’hui, l’ensemble de nos produits sont éco-conçus. Ils sont fabriqués à partir d’une seule matière, ce qui facilite ensuite leur recyclage. D’ailleurs, nous recyclons 100% des rebuts de la production de nos usines», précise Marc Palomares, Directeur technique et innovation (Elydan).
Chaque matériau induit évidemment un taux d’usure différent. Une donnée que les fabricants de canalisation maitrisent déjà, en particulier sur les petits diamètres. Là où Xylem apporte son expertise, c’est sur les canalisations à gros diamètre, les feeders type 600, 800 ou 1000. «Comme il y a peu de grosses canalisations de ce type, il est difficile d’avoir des mesures précises sur leur taux d’usure, explique Frédéric Piefort, Xylem. Avec un outil comme le PipeDiver, nous allons pouvoir analyser la structure des canalisations de gros diamètre pour évaluer leur taux d’usure, intérieur et extérieur, et ainsi déterminer leur durée de vie.»
Le PipeDiver a été spécifiquement conçu pour les canalisations longues distances complexes de grands diamètres qui ne peuvent pas être mises hors service en raison de leur utilisation ou de contraintes opérationnelles. «Sur des conduits en béton sous pression par exemple, l’outil peut identifier et repérer les fissures, qui sont les principales indications de rupture de la canalisation. Autre exemple, sur les tuyaux métalliques qui utilisent un cylindre d’acier comme principal composant, le PipeDiver peut localiser et détecter les zones de corrosion et de défauts de cylindre», souligne le responsable.
LA JUSTE PRESSION POUR PRÉSERVER LE RÉSEAU
Pour BRL Exploitation, outre les 5000 km de conduites à entretenir, la variation de débits dans les conduites est aussi un vrai sujet. Pour réduire les fuites et économiser l’énergie, BRL Exploitation s’efforce d’apporter la juste pression pour le juste besoin. «En hiver, les débits appelés étant plus faibles, les pertes de charges dans les conduites sont réduites. Pour délivrer la pression contractuelle aux différents clients (agriculteurs, collectivités, industriels et collectivités) en hiver, la pression peut être diminuée en tête de réseau grâce à la variation de vitesse, installée sur les pompes, et qui assure la régulation mano-debitmétrique adaptée, sans affecter le service de l’eau. Cela permet non seulement de préserver les conduites qui sont donc moins sollicitées mécaniquement, limiter les fuites, mais aussi de réduire la consommation d’énergie ». Des capteurs de pression, avec des mesures enregistrées à fréquences très élevées sont installés sur les zones où l’exploitant constate des fuites récurrentes, de manière à identifier l’origine de ces fuites (protection mal adaptée, point fragile du réseau, fermeture de vannes trop rapides sur réseau ou chez un client, etc.)
« CONÇUE POUR TENIR LA PRESSION »
«Le choix de la fonte ductile, c’est un choix pour 4 générations, reprend Jérôme Guilleautot, Saint-Gobain Pam. Un choix à la fois sur la durée et sur les performances en termes de pression», Mais le choix sera également guidé par l’amélioration des techniques de pose, autre sujet sur lequel travaille le fabricant, et notamment le contrôle de l’étanchéité des jonctions à l’avancement lors de la pose des tuyaux. La solution le Control + développée par Pam consiste à vérifier grâce à un système de pompe et de manomètre, l’étanchéité des jonctions avec de l’air.
«Si la jonction tient la pression air, elle tiendra de la même manière la pression eau», explique-t-il. La pose sera facilement et rapidement sécurisée, tout en respectant les cadences de pose. Ce produit sera lancé sur le marché fin 2024 et constitue un argument supplémentaire pour les collectivités et entreprises dans le choix de la fonte. Pour les tuyaux en fonte ductile, la société Electrosteel propose notamment le Fzmu, un revêtement extérieur renforcé en mortier de ciment fibré garantissant une pose durable, économique et écologique des tuyaux, car ne nécessitant pas de matériaux d’enrobage tels que le sable et le gravier. Spécialement conçu pour les tuyaux en fonte ductile, il est notamment adapté aux réseaux d'eau potable.
DU NEUF MOINS CHER À LA POSE
Si les techniques sans tranchée privilégient l’utilisation de tuyaux en PEHD, pour ses qualités intrinsèque (souplesse dans les rayons de courbure, rigidité à la poussée, lisse et absence d’emboitement, modes de soudures, … tous les autres matériaux restent possible. La méthode du forage dirigé qui permettra la pose sans tranchée sur plusieurs dizaines ou centaines mètres est utilisée aussi bien pour passer sous une rivière qu’en centre-ville, où les soussols sont déjà bien encombrés par les différents réseaux. «La plupart du temps, nous apportons des solutions lorsque la méthode traditionnelle ne fonctionne pas, alors que nos techniques sont adaptées aux chantiers de tous les jours», reprend-t-il.
La plus ancienne technique en sans tranchée est la fusée de fonçage pneumatique qui est parfaite pour réaliser de petites traversées de routes, les branchements et jusqu’à 20-25 m pour du diam. jusqu’à 200 mm. «Facile à utiliser, nos modèles de fusées Terra sont faits pour cela», poursuit le dirigeant.
FUITES : UNE VIGILANCE DE TOUS LES INSTANTS
Sur un territoire aussi large, BRL Exploitation veille également à repérer le plus rapidement les fuites sur les canalisations dues notamment à de trop fortes variations de pression, à la fragilisation de certains tronçons, ou celles provoquées par des tiers. «La sollicitation des réseaux d’eau brute est nettement plus forte en été qu’en hiver, l’efficience estivale s’approche de 85% pour une efficience annuelle d’environ 75%. Cette variabilité est bien moins marquée sur les réseaux d’eau potable», rappelle Franck Maruejols.
Pour cela, l’exploitant surveille en permanence les variations de débits des réseaux en été. Pour affiner cette recherche en hiver, l’eau transite seulement par les by-pass en petit diamètre (200 mm) équipés de débitmètres sur des chambres de vannes de gros diamètres (> 600 mm). «Un monitoring nous permet à la fois de récupérer des données et de repérer les fuites», confirme encore le dirigeant.
Par ailleurs, les interventions se complexifient au fur et à mesure de l’avancée de changements qui s’opèrent depuis le début de la concession: développement du réseau routier et de l’urbanisation mais aussi conséquences du changement climatique, sécheresses, inondations successives, augmentation de la salinité des sols par endroit. «Depuis plusieurs années, nous renforçons les moyens sur la protection cathodique afin de protéger nos conduites, par la mise d’une surveillance en continu par télérelève des paramètres de protections. Nous restons très vigilants sur tous les changements qui affectent les infrastructures», souligne encore le dirigeant.
D’UNE APPROCHE CURATIVE À UNE APPROCHE PRÉDICTIVE
Analyser avec précision les réseaux d’eau pour détecter les fuites avec une précision presque chirurgicale et les réparer permettra d’augmenter la durée de vie des réseaux en intervenant uniquement sur la partie endommagée plutôt que de changer la canalisation entière. Xylem propose surtout une approche qui va au-delà de la maintenance d’un réseau d’eau. « Détecter les fuites est essentiel mais ne suffit plus. Pour mieux gérer notre réseau d’eau, les collectivités doivent réaliser des diagnostics structurels », reprend Frédéric Piefort, Xylem.
Le fabricant met à leur disposition des outils pour identifier et qualifier les défauts (corrosion, ovalisation), et pour étudier le comportement structurel de chaque tronçon d’une conduite dans son environnement (mesure de la pression de service, contrôle de la conception, analyse d’ingénierie). «Nos solutions accompagnent nos clients pour passer d’une approche curative à une approche prédictive, pour une gestion patrimoniale à long terme », souligne-t-il.
LES TST, DES ÉVOLUTIONS DANS « LE SENS DE L’HISTOIRE »
Déjà très vertueuses, les différentes TST continuent de se développer sur cette voie tout en restant moins couteuses. « Si certains sont encore réticents, c’est peut-être parce ce sont des techniques qu’ils maîtrisent moins, alors que ce n’est pas plus compliqué que les techniques traditionnelles, c’est juste différent », reprend Florian Raynaud avant d’ajouter : «En France les TST évoluent beaucoup moins vite qu’en Allemagne, ils sont déjà à 15 % de TST, nous peinons à dépasser les 5 %. Mais cela devrait s’améliorer dans les prochaines années ».
ANALYSER LES CONDUITES POUR PRÉVOIR ET OPTIMISER
Développée par Xylem, la plateforme d’hypervision Xylem Vue permet d’aller encore plus loin grâce à la maintenance prédictive et au jumeau numérique pour une gestion intelligente et durable de l’eau. «Grâce à une analyse de données et des applications avancées, les gestionnaires de réseaux pourront identifier et traiter de manière proactive les défaillances potentielles des infrastructures, et ainsi détecter d’éventuels problèmes critiques avant qu’ils ne surviennent», explique Frédéric Piefort, Xylem. Une innovation de rupture, fruit du partenariat entre Xylem et Idrica (pionnier de la gestion et de l’analyse des données de l’eau) qui permet aux services publics de gérer toutes leurs solutions numériques en un seul système.
LA FONTE PRÉPARE SON AVENIR
«La fonte, qui est le matériau le plus ancien, est aussi paradoxalement l’un des plus modernes, recyclable à l’infini, comme le verre», reprend Jérôme Guilleautot. Cette modernité passera ainsi par la transformation complète du process de fabrication. «Toute l’entreprise est aujourd’hui embarquée dans une démarche de révolution industrielle, celle qui nous permettra de conserver la souveraineté industrielle en matière d’eau potable, en fabricant là où nous vendons, en France !», conclut-il.