Traitement d’une ressource contaminée par du chrome hexavalent par réduction et décarbonatation catalytique
02 juin 2022Paru dans le N°452
à la page 42 ( mots)
Rédigé par : Philippe SAUVIGNET de Veolia en, Olivier SENESSE de Veolia DSMP, Eric ISSANCHOU de Veolia Eau IdF et 1 autres personnes
Le chrome est, parmi les métaux toxiques, l’un des polluants les plus fréquents au voisinage des zones industrielles. Les études démontrent que la forme trivalente du chrome n’est que peu ou moins toxique, alors que les composés de chrome hexavalent sont classés comme étant cancérogènes pour l’homme. Un avis de l'Anses de 2012 confirmé en 2018 qui conduit la DGS à proposer en février 2019 une limite de qualité en Cr VI de 6µg/l dans les EDCH. C'est ce qui conduit OTV-Veolia à mettre au point la possibilité de réaliser un traitement du Cr VI en filière de production d'eau potable. Pour cela un système permettant en trois étapes distinctes de potabiliser une eau contaminée par du chrome hexavalent. Ceci par une étape de réduction du chrome VI en Chrome III au moyen d’un dosage de fer ferreux, suivi d’une étape d'oxydation du Fer II en Fer III, et enfin, une étape de décarbonatation à la soude par effet catalytique permettant ainsi de piéger le floc de fer et de chrome combinés au sein de la matrice calcite. Le procédé Actina™ est capable de traiter le chrome en potabilisation si toutefois le chrome hexavalent est réduit au préalable. Cette technique peut être utilisée aussi dans le domaine du traitement d’effluents industriels.
Introduction
L’usine de production de Meulan-en-Yvelines alimente en eau plusieurs communes de la Communauté Urbaine de Grand Paris Seine et Oise (78) à partir d’une ressource constituée par 4 forages dont le débit maximum d’exploitation autorisé est de 625 m³/h pour l’ensemble du champ captant.
Ces forages, d’une profondeur de 40 m environ, captent la nappe de la craie qui est recouverte par les alluvions déposées en fond de vallée. Elle est surmontée de terrains tertiaires qui constituent les flancs de la vallée et le plateau qui la surplombe. Des couches moins perméables dans ces terrains de couverture donnent lieu à des sources. Les alluvions sont constituées de matériaux fins et de tourbe.
La filière de traitement actuelle de l’usine consiste en :
Une oxydation du fer de l’eau de 2 forages.
Une filtration sur charbon actif en grains de l’eau oxydée mélangée à l’eau des 2 autres forages qui permet de retenir les oxydes de fer et d’absorber la matière organique.
Une désinfection au chlore gazeux avant distribution.
Dans les années 1980, les eaux des forages ont été polluées par du chrome dont l’origine probable a été attribuée à une activité industrielle située quelques kilomètres en amont des forages. Un traitement de déchromatation de l’eau des forages a été mis en route en 1986 puis arrêté en 1992 suite à la diminution de la pollution dans l’eau brute.
Une augmentation lente des teneurs en chrome dans l’eau des forages est à nouveau observée depuis plusieurs années. Face à ce constat mais aussi au regard :
d’un avis de l’Anses de 2012 confirmé en 2018 qui conduit la DGS à proposer en février 2019 des modalités de gestion lors d’un dépassement confirmé d’une concentration en Cr VI de 6 µg/l dans les EDCH ;
de la Directive Européenne n° 2020/2184 du 16/12/2020 qui prévoit l’abaissement de la limite de qualité du chrome total dans l’eau mise en distribution de 50 µg/l à 25 µg/l au plus tard en 2036. Une nouvelle réflexion pour la mise en œuvre d’un traitement du Chrome total et du Chrome VI de l’eau des forages de l’usine de Meulan-en-Yvelines a donc été engagée. C’est ce qui a conduit OTV-Veolia à rechercher, pour la collectivité la possibilité de réaliser un traitement du chrome dans la filière de l’usine de production d’eau potable.
REVUE DES PROCÉDÉS DE TRAITEMENT DU CHROME
Formes chimiques du chrome
Les deux états d’oxydation les plus courants sont la forme +VI et la forme + III. C’est la forme hexavalente qui est la plus toxique mais la norme est exprimée en chrome total car sous certaines conditions le chrome trivalent peut s’oxyder facilement : il existe un équilibre entre les deux formes. L’oxygène dissous et les oxydants utilisés pour la désinfection oxydent le chrome ; à l’inverse, les matières organiques réduisent le chrome hexavalent. Avec les matières organiques et principalement les acides humiques et fulviques, il se forme un complexe stable qui percole facilement jusqu’à la nappe phréatique.
La forme trivalente est cationique et l’hydroxyde qui en résulte est insoluble.
La forme hexavalente est anionique soit chromate CrO4-2 et HCrO4-, soit dichromate Cr2O7-2, et est très soluble dans les deux cas.
La pollution des eaux potables par le chrome hexavalent est très exceptionnelle c’est pourquoi il n’existait pas de traitement spécifique approprié.
Élimination en cours de floculation
Par rapport au chrome hexavalent, les composés du chrome trivalent sont généralement insolubles dans l’eau. Le chrome trivalent peut être éliminé par une coagulation-floculation avec du coagulant de fer. L’efficacité de l’élimination du chrome en cours de clarification est très variable selon la nature de l’eau brute et le coagulant utilisé. Il est certain que la floculation ne touche que la forme trivalente déjà précipitée : le chrome hexavalent n’est pas du tout éliminé de cette façon. Les points qui déterminent l’efficacité de la floculation de l’hydroxyde de chrome trivalent sont :
(a) le pH dont l’optimum est fonction du coagulant : 6 à 9 avec les sels de fer et 7 à 9 avec les sels d’aluminium ;
(b) l’environnement ionique, en particulier la présence d’anions tels que les sulfates, phosphates, nitrates, silicates et carbonates ;
(c) les matières organiques qui ont un effet complexant vis à vis du chrome et dont certaines formes sont solubles.
La courbe de la figure 2 montre sur une eau de surface, la Seine à Choisy-le-Roi, l’efficacité d’un traitement de coagulation par le WAC (Polychlorosulfate d'aluminium) pour la précipitation du chrome trivalent. Il s’agit d’un essai de traitement simulé sur pilote dans les années 1980.
Diverses améliorations sont possibles pour accroître l’efficacité du traitement de clarification pour l’élimination du chrome trivalent (et des métaux lourds en général). Par exemple, le charbon actif en poudre/granulé améliore l’abattement du chrome. L’argile est aussi un adjuvant efficace pour éliminer le chrome trivalent. L’adoucissement à la chaux permet d’éliminer jusqu’à une proportion de 90 % du chrome trivalent pour une élévation du pH par la chaux. La méthode d’échange d’ions est aussi utilisable, ainsi que le traitement biologique. Cependant le procédé reste encore trop complexe et trop coûteux pour une petite installation.
Adjuvants de floculation
La silice activée, les alginates, certains polymères de synthèse améliorent l’élimination des précipités de chrome trivalent parce qu’ils ont un effet positif global sur la clarification. Par ailleurs, ils permettent une meilleure absorption des oxydes de chrome et limitent les phénomènes de désorption en cours de décantation.
Charbon actif en poudre
Dosé en cours de floculation, le CAP permet l’adsorption des complexes organo-métalliques solubles et contribue significativement à l’abattement des teneurs initiales. Dans le cas de Meulan, la part du chrome complexé à la matière organique est tout à fait négligeable : moins de 4 % de la teneur en chrome total (analyses IRCHA).
Argile
L’une des propriétés principales caractérisant les argiles est la capacité d’échange vis à vis des cations, résultat de substitutions isomorphiques entre le silicium et l’aluminium à l’intérieur de la structure en feuillets. Le chrome trivalent dissous étant, soit sous forme cationique libre, soit sous forme complexée parfois cationique, il sera échangé et fixé à la surface des particules argileuses. Les Montmorillonites sont les plus intéressantes pour l’élimination des métaux lourds. Le chrome hexavalent ne peut pas être éliminé de cette façon.
Adoucissement à la chaux
L’élimination du chrome au cours d’un traitement d’adoucissement est variable selon le niveau d’oxydation du métal. Le chrome trivalent peut être éliminé jusqu’à une proportion de 90 % pour une élévation du pH par la chaux jusqu’à une valeur de 11. Le chrome hexavalent en revanche n’est pratiquement pas éliminé dans de mêmes conditions (moins de 10 %).
Réduction du chrome hexavalent
La réduction est le seul traitement couramment utilisé en déchromatation d’effluents industriels. On utilise le bisulfite de sodium ou le sulfate ferreux à pH acide ; les précipités formés sont décantés. Nous verrons plus loin les aménagements apportés à ce traitement pour l’appliquer à un traitement de potabilisation.
Filtration sur charbon actif granulé
Les mécanismes sont encore mal connus : il semblerait qu’il y ait à la fois une réduction, une adsorption et un échange du chrome hexavalent, l’importance de l’un ou l’autre de ces mécanismes étant fonction du pH. Dans le cas de Meulan, une simple percolation sur CAG a permis d'éliminer le chrome hexavalent mais avec une saturation rapide incompatible avec les conditions d'exploitation.
Échange d’ions
Les échangeurs anioniques sont utilisables pour éliminer les chromates et bichromates : résines synthétiques, alumine activée. Cependant le procédé reste encore trop complexe et trop coûteux pour une petite installation.
Traitement membranaire
Diverses études en laboratoire démontrent la performance du système hybride de nanofiltration (NF) et de microfiltration (MF) dans l’élimination du chrome hexavalent (Cr(VI)) et du sulfate de l’eau. Pour le chrome VI, l’ultrafiltration a une efficacité faible (moins de 10 %) (Yoon et al., 2009). Le rendement de la nanofiltration est de l’ordre de 35 à 55 % (Hafiane et al., 2000 ; Yoon et al., 2009) et celui de l’osmose inverse supérieure à 95 % (Mousavi Rad et al., 2009 ; Yoon et al., 2009).
Au cours des dernières années, la collectivité ayant souhaité mettre en place un traitement de la dureté, nous avons étudié la possibilité d’avoir un traitement combiné du chrome hexavalent et d’un adoucissement. Parmi ces divers traitements, nous avons retenu, d’une part la réduction en chrome trivalent précipitable avec le fer ferreux, d’autre part, la décarbonatation à la soude en utilisant les billes ACTINA™, parce que ces techniques paraissent à la fois simples à mettre en œuvre dans le cas d’une eau de forage, spécifiques de l’élimination du chrome hexavalent et qu’à priori, le passage de l’essai pilote à l’installation réelle peut être réalisé aisément.
ESSAIS LABORATOIRE DE TRAITEMENT
Pour satisfaire l’objectif de la déchromatation et la décarbonatation, les essais réalisés sont séparés en trois parties. Premièrement, la dose optimale et le temps de contact qui permet de réduire le chrome VI en chrome III ont été déterminés. Ensuite, les essais laboratoire de deux types de procédés de décarbonatation ont été réalisés : la décarbonatation à la chaux par Actiflo® Softening et la décarbonatation à la soude par Actina™. Les calculs, les procédures et la manipulation sont présentés dans les paragraphes suivants.
Réduction de chrome hexavalent
Deux réducteurs sont utilisés pour la déchromatation industrielle : le bisulfite de sodium et le sulfate ferreux. C’est ce dernier qui a été choisi pour le cas de Meulan.
Détermination des doses de sulfate ferreux et des temps de contact
La réaction de réduction du chrome VI avec le sulfate ferreux est la suivante : H2Cr2O2 + 6 Fe SO4 + 6 H2SO4 <-------> Cr2 (SO4)3 Fe2 (SO4)3
La réduction de 1 g de chrome hexavalent nécessite 3,23 g d’ions ferreux Fe2+ (équivalent de 16 g de sulfate ferreux pur cristallisé avec sept molécules d’eau).
Les teneurs en chrome hexavalent dans les eaux brutes ont atteint la valeur de 119 µg/l en chrome total, dont 92 µg/l en chrome VI et la reste en chrome III. Pour une eau brute avec 0,092 mg/l de Cr VI, la stoechiométrie nous donne une dose de 0,3 ppm de Fe2+ (métal). Pour déterminer la dose industrielle, nous avons réalisé des tests avec six concentrations différentes de Fe2+ :
une fois la stoechiométrie soit 0,3 ppm de Fe2+,
deux fois la stoechiométrie soit 0,6 ppm de Fe2+,
trois fois stoechiométrie soit 0,9 ppm de Fe2+,
quatre fois stoechiométrie soit 1,2 ppm de Fe2+,
cinq fois stoechiométrie soit 1,5 ppm de Fe2+
dix fois stoechiométrie soit 3 ppm de Fe2+.
Pour le temps de contact avec le sulfate ferreux, nous avons supposé qu’une durée de mélange de 2 minutes permet de bien homogénéiser le réactif dans l’eau et qu’ensuite un temps de contact de 5 à 15 minutes permet d’atteindre une réaction complète. Pour chaque concentration, nous avons testé trois temps de contact différents après une coagulation de 2 min, 5 min, 10 min et 15 min. Pour ces premiers essais, nous avons écarté la floculation-décantation-filtration pour nous focaliser uniquement sur la performance de la réduction du chrome VI.
Réalisation des essais
L’essai de réduction du chrome VI suit donc la même base de manipulation que le Jar-test Multiflo. Les procédures détaillées sont présentées dans le tableau 1.
Des échantillons de 1 L ont été mis en agitation. Une fois ces derniers bien mélangés, le FeSO4 a été ajouté en maintenant une vitesse d’agitation plus douce pour que la réaction puisse avoir lieu dans les meilleures conditions (le sulfate ferreux étant très facilement oxydable, une agitation très douce limite le contact avec l’air).
La décarbonatation à la chaux par Actiflo® Softening
Le procédé
Le procédé Actiflo® Softening permet de traiter aussi bien la turbidité de l’eau brute que d’effectuer la décarbonatation. Actiflo® est un procédé compact de clarification utilisant un coagulant et un polymère associés à du microsable. Le microsable offre une surface de contact importante qui initie et améliore la formation des flocs et accélère leur vitesse de décantation en agissant comme un lest vis à vis de ces flocs. Cette nouvelle structuration coagulant-polymère-microsable permet de concevoir des clarificateurs dimensionnés sur des vitesses au miroir très élevées et des temps de séjour très courts. Le principe de fonctionnement du procédé Actiflo® Softening (figure 4) est basé sur une séparation des réactions chimiques de décarbonatation et de celle liée à l’élimination des matières colloïdales.
Détermination de la dose de lait de chaux
L’abattement de 1 °F de TH calcique, nécessite théoriquement 7,4 ppm de chaux. En tenant compte de la neutralisation du CO2 libre dans l’eau, cette dose est majorée jusqu’à 10 ppm.
Pour obtenir un TH calcique à 15 °F, il faut une concentration de 250 ppm de chaux. Au début de nos essais, nous ne disposions pas de la valeur du TH calcique de l’eau brute. Afin de déterminer la concentration de lait de chaux, plusieurs concentrations ont été testées, dont les valeurs varient entre 200 ppm et 400 ppm.
Réalisation des essais
La procédure d’essai combine la réduction et la décarbonatation par Actiflo® Softening, les détails sont présentés dans le tableau 2.
Des échantillons de 1 L ont été mis en agitation. Une fois ces derniers bien mélangés, le FeSO4 a été ajouté en maintenant une vitesse d’agitation plus lente pendant deux minutes, pour que la réaction puisse avoir lieu dans les meilleures conditions. Ensuite, nous ajoutons la boue, le lait de chaux et nous augmentons la vitesse d’agitation. Après la décarbonatation, nous ajoutons le polymère et diminuons un peu la vitesse d’agitation.
La décarbonatation à la soude par Actina™
Descriptif du procédé Actina™
Actina™ est un procédé d’adoucissement des eaux potables par décarbonatation catalytique ayant pour but de limiter les dépôts de calcaire dus à une utilisation quotidienne d’une eau dure. Ces dépôts peuvent entraîner par la suite des colmatages et affecter le bon fonctionnement des appareils électroménagers ainsi que des chauffe-eaux. Ce procédé est une technique performante d’élimination des bicarbonates présents dans les eaux à potabiliser ou des eaux industrielles. Cette technique s’appuie sur l’addition d’un réactif chimique (soude, carbonate de sodium) au sein d’un réacteur, entraînant alors la précipitation du carbonate de calcium sur un matériau support constitué par du sable injecté dans le réacteur. Ce procédé de décarbonatation catalytique, appelé Actina™ est développé par OTV-Veolia, il permet de fonctionner en impliquant de très courts temps de contact se traduisant par des vitesses qui se situent entre 80 et 100 m/h, tout en assurant l’adoucissement attendu. Les réactions chimiques ainsi que le principe de fonctionnement du réacteur catalytique sont décrits ci après.
Le principe de base de l’adoucissement catalytique est la nucléation primaire hétérogène du carbonate de calcium à la surface d’un matériau d’ensemencement, contrairement aux procédés d’adoucissement à lit de boue qui sont basés sur une nucléation primaire homogène dans la masse de la phase aqueuse. La nucléation primaire homogène nécessite une forte sursaturation en carbonate de calcium : de petits cristaux de carbonate de calcium se forment dans toute la phase aqueuse (De Han et al., 2007). Une certaine croissance de ces cristaux se produit, mais leur taille reste si petite que leur vitesse de sédimentation n’est que de quelques m/h, ce qui nécessite une grande surface pour les bassins de sédimentation. De ceux-ci, ils sont libérés sous la forme d’une boue humide volumineuse. Dans l’adoucissement catalytique, une faible sursaturation en carbonate de calcium est appliquée. Ici, la cristallisation se produit uniquement sur les surfaces, car la barrière énergétique est plus faible dans cette situation. Ces surfaces sont fournies sous la forme d’un matériau de base, le plus souvent du sable de silice ordinaire dans un lit fluidisé. La sursaturation est obtenue en dosant de la chaux, de la soude caustique ou du carbonate de soude dans le lit fluidisé. En raison de cette sursaturation, une couche de carbonate de calcium se développe sur les surfaces du matériau d’ensemencement, ce qui entraîne la formation de granules avec un grain de sable au centre et du carbonate de calcium autour. C’est le principe de la perle de culture (Van Dijk et al, 1991).
Les réacteurs modernes font fonctionner le lit en mode continu : la composition du lit, avec des particules de sable neuf en haut et des billes en pleine croissance en bas, est maintenue constante en dosant fréquemment de petits lots de semences pour extraire de petits lots de granulés, généralement sur la base de la pression au fond du réacteur. Cela permet de fonctionner à proximité du diamètre optimal des billes qui donne une surface spécifique maximale disponible pour la cristallisation. Le dernier développement est le contrôle direct du diamètre des billes sur la base de la pression différentielle sur la section inférieure du lit fluidisé (Van Schagen, 2009).
Détermination de la dose de soude
La décarbonatation à la soude nécessite 5 mg/L de NaOH pour abattre 1 °F de TH. Pour atteindre un TH calcique de 15 °F, il faut 125 ppm de soude. Afin de déterminer la concentration de soude, plusieurs doses entre 80 ppm à 200 ppm ont été testées.
Réalisation des essais
Il n’est pas aisé de simuler le fonctionnement de procédés Actina™ à l’échelle laboratoire. Après avoir essayé différentes méthodes, nous avons choisi de le simuler avec un bécher rempli par des billes provenant d’un réacteur Actina™. L’étape de réduction du chrome suit la même procédure que précédemment, l’eau est ensuite transférée dans le bécher garni avec les billes et équipé d’un bullage qui permet de mélanger la soude dans l’eau.
Les procédures détaillées sont présentées dans le tableau 3.
RÉSULTATS
Diverses analyses ont été réalisées sur tous les échantillons confirmés et l’eau brute. Une synthèse de l’abattement en chrome et en TH est présentée dans les paragraphes suivants.
Synthèse de résultats
Détermination de dose optimale de Fe2+ et le temps de contact
Dans un premier temps, nous avons déterminé la dose optimale de Fe2+ selon les résultats d’élimination du chrome. Dans la figure 5, nous observons que les doses testées nous permettent d’éliminer le chrome efficacement. Les abattements en chrome s’améliorent avec l’augmentation de dose de Fe2+, jusqu’à la troisième dose testée (trois fois stoechiométrie, équivalent de 0,9 ppm de Fe2+). Au-delà de cette dose, il n’y a pas d’amélioration significative de l’abattement. Ainsi, les doses correspondantes à deux fois et trois fois la stoechiométrie sont les plus intéressantes pour les essais suivants. Pour l’étape de décarbonatation nous avons travaillé lors des essais avec un temps de séjour de 5 minutes.
Synthèse de résultats des essais de décarbonatation
Les essais de décarbonatation ont été réalisés pour deux concentrations de Fe2+ différentes (deux et trois fois la stoechiométrie soit 0,6 ppm de Fe2+ et 0,9 ppm de Fe2+) et avec un temps de contact de 5 minutes. Les résultats des figures 10 et 11 présentent les teneurs en chrome obtenues dans l’eau clarifiée après décarbonatation à la chaux type Actiflo® Softening. Nous constatons que pour la dose de trois fois la stoechiométrie, les teneurs de chrome dans toutes ses formes (Cr, Cr III, Cr VI) sont très inférieures à 2 µg/l. Le Cr total est donc inférieur à la valeur de conformité de 6 µg/l. Pour la dose de deux fois stoechiométrie, il est nécessaire d’atteindre une dose de lait de chaux plus élevée pour obtenir une teneur de Cr VI assez faible. Cela nous amène à choisir la dose de trois fois stoechiométrie (0,9 ppm de Fe2+) comme la dose optimale de réduction du chrome VI à l’échelle industrielle.
Synthèse des essais de décarbonatation à la chaux par Actiflo® Softening
Les essais de décarbonatation à la chaux par Actiflo® Softening ont été réalisés dans un premier temps.
Nous constatons qu’une fois le chrome VI réduit, il est facilement éliminé au cours de la décarbonatation à la chaux par Actiflo® Softening quelque soit la dose de lait de chaux. Les teneurs obtenues sont toutes beaucoup plus faibles que la valeur conforme. Enfin, la dose de lait de chaux de 275 ppm a été choisie par rapport à l’objectif de TH calcique souhaité de 15 °F (cf figures 12, 13 et 14).
Synthèse des essais de décarbonatation à la soude par Actina™
Le deuxième essai consiste en une décarbonatation à la soude par Actina™. Ce dernier est un procédé de décarbonatation catalytique consistant à faire passer le flux à traiter au travers d’un lit de billes de carbonates maintenu en fluidisation. Ce procédé est robuste, possède de nombreuses références et est parfaitement adapté au débit de 8 000 à 10 000 m³ par jour à traiter sur le site de Meulan. Les résultats obtenus sur l’élimination du chrome sont présentés dans les figures 15 et 16.
Les teneurs en chrome VI sont toutes inférieures à 6 µg/l et les teneurs en chrome total sont toutes inférieures à 25 µg/l, donc la qualité de l’eau est conforme. Nous constatons qu’une fois le chrome VI réduit, il est facilement éliminé au cours de la décarbonatation à la soude par l’Actina™ quelque soit la dose de soude. Enfin, la dose de soude de 80 ppm a été choisie par rapport à l’objectif de TH calcique souhaité de 15 °F.
Comparaison des performances de l’Actiflo® Softening et de l’Actina™
L’Actiflo® Softening et l’Actina™ sont deux types de procédés de décarbonatation performants. Dans notre cas, nous souhaitons combiner le traitement du chrome et la décarbonatation pour la potabilisation de l’eau de Meulan. Premièrement, les deux types de procédés permettent d’éliminer le chrome efficacement ainsi que d’abaisser la dureté. Évidemment, la performance de décarbonatation dépend de la dose de produits ajoutés. Ce qui nous intéresse le plus c’est la performance de piégeage des flocs du chrome. Nous présentons les taux de piégeage de chrome de la dose de trois fois la stoechiométrie (0,9 ppm de Fe2+) dans les figures 17 et 18. Les valeurs sont calculées à partir de la concentration du chrome dans l’eau brute et celle dans l’eau clarifiée, la différence entre ces deux valeurs est donc la partie retenue par le procédé. Les résultats sont exprimés en pourcentage.
La figure 17 présente les résultats de taux de piégeage du chrome de Actiflo® Softening, nous remarquons que le taux de piégeage de chrome est très élevé pour toutes les doses de lait de chaux, les valeurs sont supérieures à 99 %.
La figure 18 présente les résultats de taux de piégeage du chrome avec décarbonatation ACTINA™, qui sont aussi satisfaisants avec des valeurs autour de 80-85 %. Nous constatons que la performance de piégeage du chrome est satisfaisante avec les deux procédés même si une différence est remarquée. Le procédé Actiflo® Softening permet de piéger 99 % du chrome dans les boues car l’ajout de boues et du polymère permet d’agglomérer les flocs efficacement. Pour le procédé Actina™, seule la soude est ajoutée et le taux de piégeage du chrome se situe autour de 80 %.
CONCLUSION
Le chrome est, parmi les métaux toxiques, l’un des polluants les plus fréquents au voisinage des zones industrielles. La contamination se produit directement par infiltration mais aussi par les retombées des rejets atmosphériques en provenance des usines de traitement des métaux. Le chrome est un métal de transition qui peut exister sous neuf états d’oxydation différents, de -II à +VI, dont les formes trivalente (Cr(III)) et hexavalente (Cr(VI)) sont les plus communes en raison de leur stabilité. Les études démontrent que la forme trivalente du chrome n’est que peu ou moins toxique, alors que les composés de chrome hexavalent sont classés comme étant cancérogènes pour l’homme lorsqu’ils sont inhalés, en se fondant sur des données suffisantes chez l’humain et les animaux.
En ce qui concerne la potabilisation de l’eau brute de Meulan, la principale forme du chrome dans l’eau des forages est le chrome hexavalent. (Cr total de 119 - 150 µg/l, Cr VI de 92 - 100 µg/l). Un avis de l’Anses de 2012 confirmé en 2018 a conduit la DGS à proposer en février 2019 des modalités de gestion lors d’un dépassement confirmé d’une concentration en Cr VI de 6 µg/l dans les EDCH. Outre la Directive Européenne n° 2020/2184 du 16/12/2020 prévoit l’abaissement de la limite de qualité du chrome total dans l’eau mise en distribution de 50 µg/l à 25 µg/l au plus tard en 2036.
L’étude a permis d’évaluer, dans des conditions de laboratoire, l’efficacité des grandes étapes d’une filière de traitement pour une eau souterraine calcaire (dure) et fortement contaminée en chrome hexavalent : i) réduction du Cr (VI) par l’utilisation du coagulant sulfate ferreux en Cr (III) moins toxique et précipitable sous forme d’hydroxyde de chrome. Puis une étape ii) de décarbonatation pour retenir les précipités formés et adoucir l’eau par précipitation du calcium et des carbonates, enfin une iii) filtration sur sable.
Les principaux éléments de l’étude ont été portés sur : la stœchiométrie de la réduction du Cr (VI) en Cr (III), le dosage du fer ferreux, le temps contact nécessaire, puis l’efficacité de piégeage du chrome par la décarbonatation à la chaux avec décanteur et surtout par la décarbonatation catalytique à la soude. Les analyses du chrome dans toutes ses formes Cr, Cr (III), Cr (VI), du fer et de la dureté ont été réalisées par le laboratoire CARSO.
Lors de la déchromatation, le sulfate ferreux a été choisi comme le réducteur. Il est aussi possible d’utiliser du chlorure ferreux à cet effet. La réduction du Chrome VI en Chrome III est efficace. Les résultats ont été bons (significativement inférieur à la réglementation) pour une dose de trois fois stoechiométrie et ce avec un temps de contact en coagulation de 2 minutes (9,7 mg/L Fe II pour réduire 1 mg/l de Cr VI).
Comme il s’avère que la réduction du Cr (VI) en Cr (III) par le fer ferreux est efficace pour atteindre une teneur en chrome total inférieure à 6 µg/l, nous avons poursuivi l’étude pour vérifier l’efficacité de l’élimination du chrome trivalent au sein d’un floc lors d’une étape de décarbonatation. La décarbonatation catalytique à la soude (Actina™) donne des performances comparables à celles de la décarbonatation en décanteur lesté (Actiflo® Softening). Les résultats du piégeage du floc chargé en chrome sont aussi probants. La décarbonatation à la chaux en clarification à floc lesté permet de piéger presque 100 % du chrome et du fer dans les boues. La décarbonatation catalytique à la soude marche bien aussi ; 80 % de flocs de chrome peuvent être précipités sur les billes calcite. L’eau décarbonatée en sortie de réacteur à lit fluidisé contient encore un peu de chrome et de fer résiduels (environ 15 % du flux de chrome (VI) précipité). Les résiduels peuvent être piégés par la filtration sur sable. Bien évidemment, le chrome et le fer résiduel se retrouvent dans les eaux de lavages des filtres dont les boues devront faire l’objet d’un traitement spécifique. En fin de traitement, l’eau obtenue possède une teneur en chrome total inférieure à 2 µg/l et un TH calcique autour de 15 °F.
Nous pouvons synthétiser de la manière suivante le fruit de ces travaux, il s’agit d’un système permettant en trois étapes distinctes de potabiliser une eau contaminée par le chrome et en particulier par du chrome hexavalent. Ceci par une étape de réduction du chrome VI en Chrome III au moyen d’un dosage de fer ferreux en condition de pH “naturel” allant de 3 à 5 fois la dose stoechiométrique et un temps de séjour hydraulique de 2 + 5 minutes (2 minutes de coagulation et 5 minutes de décarbonatation). Suivi d’une étape d’oxydation du Fer II en Fer III correspondant à l’étape précédente et permettant ainsi de former un floc de fer et de chrome combinés. Et enfin, une étape de décarbonatation à la chaux par clarification ou bien à la soude par effet catalytique permettant ainsi de piéger le floc de fer et de chrome combinés au sein de la matrice calcite.
La démarche de Veolia dans le cas précis de Meulan est de permettre, par la mise en place d’une filière de potabilisation efficace, d’utiliser une ressource fortement contaminée en chrome hexavalent et en même temps de distribuer une eau adoucie avec des résiduels de chrome très inférieur à la nouvelle réglementation. Ainsi nous pouvons non seulement potabiliser une ressource et de surcroît piéger la pollution au sein d’une matrice solide (billes de calcite) qui peuvent être évacuer aisément et mis en décharge classé avec la certitude de leur innocuité pour la santé humaine et l’environnement. Les procédés Veolia tel que Actiflo® Softening ou Actina™ sont capables de traiter le chrome en potabilisation si toutefois le chrome hexavalent est réduit au préalable par le fer ferreux en chrome trivalent. Cette technique peut être utilisée aussi dans le domaine du traitement d’effluents industriels.
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