Entretien avec Christophe Tanguy Directeur des opérations France et Supply Chain SAUR
L’eau,
l’industrie, les nuisances : En France, nous entrons dans la deuxième période
de confinement pour faire face à l’épidémie de Coronavirus. Le Conseil
scientifique recommande de la prolonger jusqu’à fin avril. Quelles conséquences,
cette prolongation a-t-elle sur votre plan de continuité d’activité et sur les équipes
qui sont en première ligne ?
Christophe
Tanguy :
Le plan de continuité d’activité que nous avons mis en place chez SAUR
depuis le début de la crise du Covid-19 mobilise désormais environ 40 % des
effectifs des opérations, ce qui nous permet de maintenir un niveau d’activité
satisfaisant et d’effectuer correctement la continuité du service d’eau et
d’assainissement. En réduisant les équipes de 60 %, l’objectif a été bien sûr
de préserver la santé et la sécurité de nos collaborateurs, et aussi d’assurer
une rotation des équipes dans la durée, territoire par territoire. Et de se
préparer à une période qui nous verrait appliquer une période de confinement
plus dure encore.
Si
nous sommes dotés et avons été réapprovisionnés par l’Etat d’équipements de
protection (masques), depuis le début de la crise, nous avons mis en place avec
les équipes logistiques et les équipes de la Prévention Santé, sécurité, un
dispositif de suivi hebdomadaire du stock sur l’ensemble du territoire, ce qui
nous permet de faire les réassorts selon les zones au fur et à mesure que les
besoins s’expriment. Aujourd’hui, notre stock de masques nous permet de tenir,
mais la menace d’une pénurie se profile d’ici début avril. Un lot de 400 000
masques a été commandé. Dans le contexte de crise qui est propice aux
escroqueries, la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) et
la DGE (direction générale des entreprises) s’efforcent de coordonner pour nos
métiers à la fois la qualité, la quantité et la logistique, (notamment les
ponts aériens mis en place) des achats qui proviennent de l’étranger. Les
commandes de masques sont donc « sous-contrôle ». On manque toutefois
de visibilité sur les dates de livraison.
EIN :
Dans quelle mesure la gestion de la crise Covid-19 se distingue-t-elle des
crises que vous avez déjà vécues ?
C.T : La crise d'aujourd’hui nous
permet de consolider les méthodes et retours d’expériences que nous avons
développés sur les aspects techniques, humains, et organisationnels lors des
précédentes crises du H1N1, des tempêtes Klaus et Xynthia ou des récentes
inondations en Seine et Marne.
Aujourd’hui
nous avons un réseau qui est très réactif. Au niveau du siège, nous avons monté
une cellule de crise qui s’appuie sur des cellules de crise par territoire, y
compris à l’étranger. Ces cellules de crise territoriale sont animées par nos
directeurs d’exploitation pour coordonner les plans d’action, localement. Au fur et à mesure des besoins, des tasks force se créent
pour gérer la crise, notamment autour de la Fédération professionnelle des
entreprises de l’eau (FP2E). Les filières métiers se regroupent aussi pour
améliorer le cadre réglementaire et les mesures de prévention : c’est le
cas de la filière boue qui attend notamment un avis de l’Anses sur l’évaluation
du niveau de risque que crée la possibilité d’épandre les boues ou pas.
La
question qui se pose est de répondre aux interrogations des équipes sur le
terrain si la situation perdure. Nous devons veiller rapidement à développer
une communication descendante qui permette de rassurer les agents et pallier
les dérapages de la surexposition médiatique du Coronavirus sur nos équipes.
EIN :
Quelles sont les conséquences directes du confinement de la population sur
le niveau de consommation et le traitement de l’eau potable ?
C.T : Du point de vue de la
consommation, il est clair que les usages que nous observions ont été modifiés
par les décisions de confinement qui se sont imposées aux industries
agro-alimentaires mais aussi des foyers domestiques, que nous servons notamment
dans le grand ouest, et aux activités loisirs, comme le Parc EuroDisney en
région parisienne dont nous gérons l’approvisionnement en eau. Au niveau
global, si l’on observe les volumes qui ont été mis en distribution depuis deux
semaines, la baisse de consommation d’eau potable n’est toutefois pas
proportionnelle à l’inflexion constatée sur le secteur industriel et
commercial. La consommation des ménages qui a été dopée soit par la migration
des familles qui ont rejoint les résidences secondaires, soit par des familles
complètes confinées chez elles, ne compense pas la baisse des volumes
industriels, mais elle soutient la consommation globale sur la période.
Concernant
le fonctionnement des usines, soulignons que la crise du Covid-19 ne change
rien à la qualité d’eau potable. En effet, dans le cadre du plan Vigipirate qui
est toujours actif, les entreprises de l’eau sont tenues d’employer des
concentrations d’oxydants tels le chlore, les UV et l’ozone relativement
importantes en sortie d’usine et dans les réseaux. Ces consignes suffisent donc
à maintenir un niveau élevé de qualité d’eau dans le réseau. Le Covid-19, comme
tous les autres virus, ne résiste pas aux procédés de désinfection mis en place
dans les usines de production d’eau potable. Du point de vue de la quantité
d’eau disponible, les régions qui connaissent actuellement une affluence de
population sont des régions qui subissent nativement des fortes migrations de
vacanciers en période estivale. Les
usines sont donc tout à fait dimensionnées pour alimenter correctement la
demande en eau potable à différentes échelles temporelles et spatiales.
EIN :
Dans quelle mesure avez-vous du réorganiser les Centres de pilotage
opérationnels pour garantir la performance du service en temps de crise ?
C.T
: Notre
organisation repose sur 6 Centres de pilotage opérationnel métropolitains –
CPO- qui pilotent, qualifient, planifient et supervisent à distance l'ensemble des
opérations réalisées par les agents d'exploitation sur les territoires
couverts. En période de crise, les CPO deviennent la tour de contrôle d’un
territoire. Ils renforcent la sécurité du service grâce à une supervision
globale des données connectées et des sites. Regroupées
par CPO, les équipes d’ordonnanceurs, d’informaticiens industriels et
automaticiens et de DICT que nous avons maintenues, anticipent, gèrent et
analysent les exploitations minute par minute grâce au « mapping » et au suivi
en temps réel des interventions, tout en assurant le lien avec les cellules de
crise avant même que les dysfonctionnements
ne se produisent.
EIN :
Avez-vous du renforcer le suivi des dispositifs d’analyse pour couvrir un plus
grand nombre de paramètres de mesure ?
C.T : Quand nous avons analysé la
façon dont on devait réorienter les interventions, nous avons identifié les
activités à stopper, les activités à maintenir et les activités à renforcer.
Dans les activités à renforcer, nous avons décidé d’intensifier le suivi de
fonctionnement des analyseurs connectés, et dans les zones sensibles parce que
plus peuplées, nous avons augmenté les fréquences de passage de nos agents sur
certaines infrastructures.
En
complément, nous attachons une importance toute particulière au suivi de la
métrologie pour garantir la fiabilité des mesures des paramètres chimiques de
l’eau. Les erreurs d’instruments, chaînes, systèmes de mesure, sont des
composantes très importantes de l’incertitude de mesure. Aussi, les agents
vérifient plus régulièrement les instruments pour s’assurer qu’ils restent
conformes dans le temps, et donc que les décisions prises s’appuient toujours
sur des résultats de mesure maîtrisés.
Pour
les STEU en zone de forte affluence, nos infrastructures étant dimensionnées
pour des capacités nominales ad hoc, nous maintenons la qualité des rejets du
système d'assainissement requise sans problème malgré l’évolution de la
population.
Le seul élément sur lequel nous sommes en discussion avec les services de l’Etat concerne la fréquence de passage de nos agents pour réaliser les contrôles d’autosurveillance. Nous avons demandé un assouplissement des règles pour nous concentrer sur les tâches essentielles à la continuité de service. Nous avons obtenu un accord de principe et attendons une note par décret.
Pascale
Meeschaert
A
propos du maintien des activités de la filière, signalons l’initiative des
sites FranceEnvironnement et du Guide de l'Eau qui répertorient déjà plus de
420 PCA accessibles à l’adresse : https://www.franceenvironnement.com/plan-continuite-activite et sur toutes les fiches
concernées du Guide de l'Eau.