Spécialisée dans la conception et la fabrication de groupes turbogénérateurs pour l’hydroélectricité, MJ2 Technologies vient de procéder à la 100ème mise en service de sa désormais fameuse turbine VLH (Very Low Head), un turbogénérateur qui montre qu’il est désormais possible et rentable d’exploiter une microcentrale sur de basses, voire très basses chutes. Explications.
En France comme en Europe, l’hydroélectricité s’est
développée au rythme imposé par les révolutions industrielles et le
développement économique du pays. Pendant 200 ans, un grand nombre de chutes
d’eau ont été exploitées ou créées pour répondre aux besoins en puissance
mécanique ou en énergie requis par un développement économique assis sur une
électrification massive de l’ensemble des moyens de production. En France, comme
dans bien d’autres pays d’Europe, l’hydroélectricité a joué un rôle majeur dans
le développement du pays : en 1960, 56% de l’électricité française était
d’origine hydraulique.
La petite hydroélectricité s’est inscrite dans ce mouvement. Au 19ème puis au 20ème siècle, les quelques cinquante mille moulins à eau ont ainsi progressivement vu leurs roues à aube devenir des moteurs hydrauliques puis des turbines. Aujourd’hui encore, on estime que près de 1.700 à 2.000 centrales de petite hydroélectricité (d’une puissance inférieure à 10 MW) produisent 7 TWh par an, soit près de 10 % de la production hydroélectrique française.
Une contribution importante mais qui a longtemps été bridée par le
postulat selon lequel l’implantation d’une microcentrale était conditionnée par
une hauteur de chute minimale. « A
l’époque, avec deux autres spécialistes de la conception et de la fabrication
de turbines, nous avons constaté que les projets qui reposaient sur une chute inférieure
à 3 mètres n’aboutissaient jamais, explique aujourd’hui Marc Leclerc, Président-fondateur
de MJ2 Technologies. C’est la raison pour
laquelle nous avons décidé de nous associer pour fonder Mj2 Technologies et
développer une solution technique permettant de rentabiliser ces projets pour
les faire aboutir. Notre
positionnement de départ a consisté à raisonner non pas en équipementier, mais
en investisseur, pour apprécier l’investissement dans sa globalité, et non pas
juste sous l’angle du fabricant de turbine ».
Pour identifier les obstacles pesant sur l’exploitation des basses chutes et tenter de les surmonter, nos trois associés lancent une étude statistique sur plusieurs centaines de projets restés sans suite. « Nous avons très vite constaté que le volume de génie civil, c’est-à-dire de béton nécessaire pour l’exploitation de ces sites croissait de manière exponentielle avec la réduction de la chute, explique Marc Leclerc. Ainsi, à puissance égale, une chute de 2 mètres nécessitait près de 5 fois plus de béton qu’une chute de 4 mètres. Ce constat nous a incité à développer une autre approche pour réduire au maximum le volume de génie civil sur une centrale hydroélectrique de chute réduite ».
Ce développement, qui va jeter les
bases de la VLH, va conduire à remettre en cause certains des préceptes fondamentaux
adoptés par les turbiniers.
Une remise en
cause de certains préceptes fondamentaux
« Le principe adopté par les turbiniers depuis 60 ans consistait à réduire la taille de leur machine en augmentant la vitesse de la rotation pour en réduire le coût, explique Marc Leclerc. Mais ce modèle a conduit à transférer les charges qui pesaient sur la machine, sur le poste génie civil, ce qui a contribué à augmenter le coût global des infrastructures, notamment sur les basses chutes. Nous avons décidé de faire l’inverse, c’est-à-dire d’abaisser de façon considérable la vitesse d’écoulement dans nos turbines pour que les ouvrages d’alimentation et de restitution soient le plus réduits possible ». Le résultat, c’est le concept VLH qui repose sur une machine d’un nouveau genre qui vise à diminuer, autant que possible, les ouvrages d’amenée et de restitution en augmentant le diamètre de la roue de la turbine et en intégrant celle-ci dans un système autoportant, immergé et relevable, assurant l’ensemble des fonctions d’une installation classique.
L’ensemble prend la forme d’une turbine
Kaplan standardisée à 8 pales réglables en fonction du niveau et du débit, et
logée dans une structure unique permettant un assemblage complet en usine et
une mise en place rapide. « Sur
cette machine, nous avons souhaité intégrer dès le départ un alternateur à
attaque directe, c’est-à-dire un alternateur qui tourne à la même vitesse que
la machine, de 30 à 50 tours minute, explique Marc Leclerc. Nous avons donc conçu un bulbe, mais sans
multiplicateur mécanique. Le générateur tourne à la même vitesse que la turbine
sur des vitesses de rotation type éoliennes. Logé dans la machine, le
générateur, contraint par l’espace, ne peut pas être synchrone, c’est-à-dire
qu’il génère une électricité dont la fréquence, trop basse, est impropre à la
consommation ». D’où la nécessité d’y adjoindre un convertisseur de fréquence
qui va rendre l’énergie produite consommable, tout en dissociant le
fonctionnement du turbogénérateur du réseau.
Dissocier le
fonctionnement du turbogénérateur du réseau
« L’énergie générée est d’abord transformée en courant continu, puis réondulée à 50 Hz, et 400 ou 500 volts pour en faire une énergie consommable, explique Marc Leclerc. Mais surtout, ce convertisseur de fréquence permet de dissocier le fonctionnement du groupe turbogénérateur de celui du réseau. On peut donc, à tout moment, adapter la vitesse de rotation de la machine aux conditions d’exploitation dans lesquelles elle se trouve, et rester autonome par rapport au réseau. Le convertisseur de fréquence se charge de l’adaptation ». Car outre l’obstacle initial lié au génie civil, les basses chutes nécessitent des débits importants pour pouvoir générer une puissance significative.
Problème : les rivières
sont ainsi faites que lorsque les débits augmentent, la chute tend à diminuer,
jusqu’à s’annuler totalement lorsque la rivière entre en crue. « Ce qui veut dire que si l’on veut être
performant sur cette gamme de chutes, il faut non seulement pouvoir traiter de
gros débits, mais aussi s’appuyer sur une machine très flexible, et capable de
s’adapter à de très fortes variations de chute, souligne Marc Leclerc.
Or, la plupart des machines du marché
sont inopérantes dès lors que leur chute nominale est divisée par deux, ce qui
est assez fréquent. Au contraire, la VLH, grâce à l’utilisation du
convertisseur de fréquence, va pouvoir ralentir à mesure que la chute diminue,
ce qui veut dire que l’on va conserver les rendements nominaux quelle que soit
la chute ».
Pour sélectionner le convertisseur de fréquence le
plus adapté à sa technologie, MJ2 Technologies s’est appuyé sur l’expertise
technique des équipes d’ABB qui se sont impliquées dès les premiers
développements pour adapter les convertisseurs de sa gamme ACS 800 aux
exigences d’un turbogénérateur synchrone à aimants permanents. « Nous avons travaillé plusieurs semaines avec
les équipes de MJ2 Technologies dès la mise en œuvre du premier projet à Millau
en 2008, se souvient Didier Bonzom, Ingénieur commercial pour le sud de la
France chez ABB. Au plan technique, le
projet ne présentait pas de difficultés insurmontables, mais il a fallu
procéder à des adaptations à différentes étapes du projet. Ce travail en commun
a contribué à créer les conditions d’un partenariat très étroit entre les
équipes de MJ2 Technologies et
celles d’ABB ». Un partenariat
qui vient de fêter ses 10 ans et qui a permis d’associer la modularité de la
gamme ACS aux besoins, en termes de variations, de la centaine de turbines VLH
installées.
Au fil des réalisations, l’ACS 800 d’ABB a laissé
la place à l’ACS 880, « une
évolution de la gamme qui se traduit essentiellement par plus de rapidité et une
micro-console beaucoup plus complète » comme le souligne Didier
Bonzom. « Ce sont des équipements
fiables qui nous donnent entière satisfaction, indique de son côté Marc Leclerc, bien que nous les utilisions à l’envers :
d’habitude, les convertisseurs de fréquence sont des drive conçus pour piloter
des gros moteurs pour en moduler la vitesse. Sur notre application, c’est
l’inverse, c’est le moteur qui produit de l’énergie et l’exporte vers le
convertisseur. Nous sommes d’ailleurs les premiers turbiniers à avoir conçu une
machine qui ne peut marcher qu’avec un convertisseur, même si depuis, nombreux
sont ceux qui nous ont emboités le pas ».
Aujourd’hui, 108 VLH sont opérationnels dans 7 pays en Europe ainsi qu’au
Canada, représentant environ 30 % des installations. 70 sont installées sur
le seul territoire français dont le potentiel, en filière basse chute, avoisine
les 300 à 400 mégawatts.
Un potentiel
important mais qui reste menacé
Les marchés visés par les
turbogénérateurs VLH sont les sites dont les hauteurs de chute sont
comprises entre 1,5 et 3,4 m, « sachant
que la limite inférieure est d’ordre économique et non technologique »,
comme le souligne Marc Leclerc. Nous ne proposons
pas de machine en dessous de 150 kW, puissance qui correspond au minimum
économique. En revanche, on peut monter jusqu’à 700 kW par machine, ce qui nous
place, en termes de débit, entre 10 et 35 m3 par seconde et par
machine. C’est loin d’être négligeable, car si l’on considère qu’une rivière
doit être équipée à hauteur de son débit moyen pour bénéficier d’un taux
d’utilisation élevé, cela signifie que notre solution s’adresse à des rivières dont
le débit moyen avoisine les 40 m3/s.
La VLH s’insère dans un génie civil très simple, constitué de deux murs parallèles verticaux et d’un radier plat doté d’un léger décroché. « Elle se prête donc très bien à l’installation dans des canaux, par exemple dans d’anciennes écluses non utilisées pour la navigation, explique Marc Leclerc. Nous avons ainsi équipé 70 écluses sur les 1.500 recensées en France ».
MJ2 Technologies a par exemple installé 16 machines en cascade sur 16 barrages
successifs sur la Mayenne en équipant toutes les écluses situées entre les
villes de Mayenne et Laval. Sa compacité a également permis d’implanter 4
machines de 2 mégawatts dans une centrale EDF en plein centre de Grenoble, sur
un site qui n’avait jamais pu être équipé jusqu’à présent, faute de place
suffisante.
Mais la solution VLH de MJ2 Technologies se développe rapidement, c’est aussi parce qu’elle profite d’autres avantages, par exemple celui de satisfaire au principe de la continuité écologique. « La VLH est Ichtyophile©, explique Marc Leclerc, qui a inventé et déposé ce néologisme, repris depuis par la plupart des professionnels du secteur. Cela signifie qu’elle est respectueuse des populations piscicoles. Elle permet un passage sans dommage des poissons et des sédiments et a été classée ichtyo-compatible à l’issue de plusieurs tests menés par l’Onema devenu depuis AFB sur différents sites dont celui de Millau et celui de Frouard sur la Moselle ».
Il n’y a, en France, que deux
solutions classées ichtyo-compatibles, ce qui dispense l’exploitant d’installer
ses dispositifs visant à protéger les populations piscicoles (grilles fines, flux de vidange, etc.). « Pour nous, le principe de continuité écologique n’est pas un frein au
plan technologique, reprend Marc Leclerc.
Mais il peut le devenir lorsque nous sommes parfois confrontés à une approche
dogmatique qui s’exprime localement çà et là et qui vise à détruire le
patrimoine hydroélectrique en effaçant, les uns après les autres, les barrages
existants. C’est une erreur tragique car l’hydroélectricité est une énergie
propre, durable et renouvelable, et son développement n’est pas incompatible
avec la préservation de l’environnement, bien au contraire. Outre que cette approche dogmatique est en
totale contradiction avec le
discours politique visant à promouvoir les énergies renouvelables, on peut se
demander s’il est vraiment opportun de dépenser l’argent public pour détruire
un patrimoine utile et créateur d’emploi ».
Aujourd’hui,
MJ2 Technologies emploie, sur
le plateau du Larzac, une trentaine de personnes hautement qualifiées et génère
de façon indirecte plus de 250 emplois chez ses fournisseurs. Au-delà de la
VLH, développée pour satisfaire les demandes d’équipements de génération pour
des très basses chutes et valoriser ainsi son savoir-faire et son outil
industriel, elle produit également des alternateurs à basse vitesse (70 à 200
tr/mn), des aimants permanents (PMG) pour équiper des turbines de type Kaplan
de 200 kW à 4 MW, ainsi que des turbines Kaplan conventionnelles pour des
chutes de 2 à 6 m. Après avoir développé une application marémotrice de la VLH,
mais à petite échelle avec des machines de moins de 1.000 kW, l’entreprise
recherche désormais un site pilote pour y installer son premier prototype
industriel.
Vincent Johanet