Vous connaissiez Xylem, fournisseur historique de solutions de pompage et de traitement de l’eau ? Oubliez tout ! En quelques années seulement, et même si elle conserve le cœur historique de ces activités industrielles qui font son succès depuis plusieurs décennies, la physionomie de l’entreprise a considérablement évolué. Cap, désormais, sur une offre globale, tirée par des solutions novatrices reposant largement sur les Smart Technologies : Intelligence Artificielle, Big Data et Machine Learning doivent contribuer à promouvoir une gestion plus intelligente de l’eau. Rencontre avec Géraud de Saint-Exupéry, PDG de Xylem France.
Revue L’Eau, L’Industrie, Les
Nuisances : Vous êtes chez Xylem depuis quelques années déjà, quel est
votre parcours au sein de l’entreprise ?
Géraud de Saint Exupéry : Je
suis arrivé chez Xylem il y a 6 ans, juste au moment de la scission du groupe
ITT Corporation. Dès mon arrivée, j’ai pris en charge la partie services de
l’entreprise qui n’était pas, à cette époque, un acteur important dans ce
domaine, particulièrement en matière de location de solutions de pompage. Ma
mission a donc consisté à la dynamiser, notamment au travers de l’activité location.
Le recrutement d’équipes dédiées et les investissements réalisés ont permis un
démarrage assez rapide de cette activité qui représente aujourd’hui presque 25%
du chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce développement a également permis de s’ouvrir
à de nouveaux marchés, par exemple les travaux publics, tout en orientant
davantage l’esprit de l’entreprise vers le service et la satisfaction du
client. En 2015, j’ai pris la direction commerciale et depuis 2017, je suis en
charge de la direction générale de Xylem pour la France et le Bénélux.
Revue E.I.N. : Comment l’entreprise
a-t-elle évolué ces dernières années ?
G.S.E. : La scission d’ITT Corporation
a mené à la création de Xylem, une société 100% dédiée au marché de l’eau. Pendant
les premières années, comme lors de toute restructuration importante, il a
fallu définir une stratégie et constituer des équipes pour bâtir ce que nous
sommes aujourd’hui, un « pure player » sur le marché de l’eau avec
cette volonté de devenir, dans ce domaine, un acteur global des Smart
Technologies. En quelques années, nous sommes donc passés d’une société de pompage
connue et reconnue grâce, notamment, aux marques Flygt, Lowara et Godwin, à un
statut d’acteur global dont chaque branche commence à s’équilibrer : le
pompage avec les deux marques que je viens d’évoquer, la mesure et l’analyse
avec Xylem Analytics, le traitement de l’eau avec Wedeco pour l’ozone et les UV,
Leopold pour la filtration et la clarification, et Sanitaire pour l’aération.
Mais l’acquisition la plus importante a été Sensus qui a marqué une nouvelle
étape dans la stratégie de Xylem.
G.S.E. :
L’acquisition de Sensus nous a d’abord permis de proposer, dans le
domaine du comptage et de la relève à distance, H2olmes, une solution simple et
ouverte car basée sur des protocoles de type Wireless M-Bus. Cette application,
couplée à des compteurs communicants, permet à n’importe quelle collectivité de
petite ou moyenne taille de déployer rapidement un réseau intelligent qui
l’aidera à répondre aux grands enjeux de la gestion de l’eau. Couplée au compteur
iPerl dont le déploiement se poursuit, et au lancement, cet été, de compteurs
statiques en gros diamètres, cette acquisition constitue pour Xylem une brique
essentielle en matière de réseaux intelligents.
Mais le rachat de Sensus a également modifié le
positionnement de Xylem. D’un équipementier industriel connu et reconnu, nous
sommes devenus une entreprise capable de collecter des data, de les héberger, et de les exploiter en
développant des solutions cloud, non pas, comme beaucoup, en tant que spécialiste
du cloud, mais comme un spécialiste de l’eau qui, à travers le cloud, propose
des offres différenciées. Cette acquisition, en ligne avec notre stratégie qui
consiste à devenir un acteur global des technologies de l’eau, traduit
également une volonté forte de devenir un acteur majeur dans le domaine des
Smart Technologies pour apporter à nos clients des solutions vraiment innovantes.
Revue E.I.N. : C’est ce qui explique
que vos dernières acquisitions soient plutôt centrées sur le software ?
G.S.E. : Le fait d’être présents
sur l’ensemble du petit cycle de l’eau, du captage jusqu’au rejet en passant
par toutes les étapes de la mesure, de l’analyse, du transport ou du
traitement, nous renforce considérablement et nous place désormais en position
d’interlocuteur privilégié vis-à-vis de l’ensemble des exploitants, qu’ils
soient délégataires, régies directes ou industriels. Mais c’est vrai que
l’élément commun et fédérateur à l’ensemble de nos offres, c’est désormais la donnée.
Nous pensons qu’une bonne part de l’avenir de Xylem se positionne sur la donnée,
et plus précisément sur sa capacité à la collecter, à l’exploiter puis à l’analyser
de manière à la rendre pertinente pour l’exploitant au travers d’outils d’aides
à la décision.
G.S.E. : L’acquisition de EmNet
positionnée sur la gestion des débordements d’eaux usées et d’eaux pluviales,
répond à cet objectif. Nous proposions depuis longtemps des postes de pompage
qui sont des équipements essentiels en matière de gestion des débordements.
Instrumentés grâce aux capteurs développés par Xylem Analytics, ces postes
permettent de gérer et d’éviter ces phénomènes coûteux et dommageables pour
l’environnement.
L’acquisition
d’EmNet apporte une nouvelle brique et contribue à rendre nos équipements plus intelligents
en exploitant l’ensemble des données collectées et en analysant les
informations de façon plus dynamique. Le savoir-faire d’EmNet repose sur la modélisation
bien sûr en créant des copies digitales des réseaux, mais aussi sur sa capacité
à croiser de très gros volumes de données, qui, interprétées par des
algorithmes spécifiques, permettent une prise de décision en temps réel. Nous entrons
là dans le monde du Big Data, de l’Intelligence Artificielle et du Machine Learning
qui contribuent à promouvoir une gestion plus intelligente de l’eau, une
optimisation du réseau existant avant de recourir à l’investissement en infrastructure.
Revue E.I.N. : L’acquisition de Visenti
répond également à cet objectif ?
G.S.E. : Oui, absolument.
Visenti a été lancé à partir d’un programme de recherche Smart au Massachusetts
Institute of Technology (MIT) et se concentre sur l’aide aux services d'eau pour
la surveillance et l’optimisation de leurs infrastructures grâce à des analyses
avancées. Son portefeuille de solutions, très complémentaire aux offres de
Xylem, cible un défi important en matière d'eau potable, celui du rendement des
réseaux. Les technologies développées par Visenti associent la détection des
fuites en temps réel, l'identification des actifs à risque, les simulations
opérationnelles, l'analyse des données provenant de compteurs et la
surveillance de la qualité de l'eau. Visenti associe ainsi de façon intelligente Software et Hardware
pour permettre aux services d'eau de réduire, en temps réel, les pertes d'eau
et d’énergie.
Si
on associe Visenti et Sensus ainsi que Valor Water Analytics, qui simplifie le
recensement des pertes sur les compteurs, on comprend que Xylem peut aider un
exploitant la performance globale de son réseau d’eau potable, sans
investissement massif.
Revue E.I.N. : C’est aussi
sur ce segment que travaille Pure Technologies que vous avez racheté en
décembre dernier ?
G.S.E. :
Tout à fait. Pure
Technologies, c’est d’abord une vraie innovation, la technologie Smartball® qui
repose sur une petite balle qui permet d’identifier les fuites de façon très
précise sur de longues distances en circulant dans les canalisations sous pression
à partir du DN 200, tout ceci en un seul déploiement et sans interrompre le
fonctionnement normal de la canalisation. Mais c’est aussi et surtout des outils
de gestion patrimoniale
comme le Pipe Diver très innovants qui permettent d’examiner l’état réel des
canalisations et ainsi de prioriser les investissements là où il le
faut, quand il le faut.
Revue E.I.N. : C’est un outil qui
intervient à point nommé…
G.S.E. : Sans doute, même si lors de la
première étape des Assises de l’eau, les conclusions ont, à juste titre, beaucoup insisté sur la mise
en place d’une politique plus volontaire en matière de renouvellement des
réseaux d’eau potable. Car sans remettre en cause cette nécessité, nous préférons
nous attacher à promouvoir des solutions qui passent aussi par du
renouvellement, mais un renouvellement plus raisonné et plus pertinent. Soyons
clairs : à budget égal, vaut-il mieux, pour améliorer le rendement, remplacer
en une fois un tronçon de 10 km d’un réseau qui en fait 100, ou intervenir 150
fois 10 mètres sur des tronçons dont la défaillance a été préalablement avérée ?
Nous pensons qu’il est aujourd’hui possible d’investir plus intelligemment en
répartissant le montant de l’investissement de façon plus rationnelle. Mais nous
ne sommes pas sûrs d’avoir été entendu des pouvoirs publics, l’intérêt des uns
n’étant pas forcément celui des autres.
G.S.E. : Sur la base de dizaines
de milliers de kilomètres de canalisations expertisés partout dans le monde,
Xylem dispose aujourd’hui de statistiques qui démontrent que le remplacement
systématique de tronçons jugés endommagés est une aberration économique. De
manière statistique, nous sommes également capables de démontrer que l’âge est
loin d’être le seul facteur en cause. Nous avons procédé à des inspections de
canalisations âgées de 80 ans en parfait état quand d’autres, posées il y a
moins de 30 ans, devaient être remplacées. Tout ceci montre que l’entretien des
infrastructures doit reposer sur des informations objectives et vérifiées qui
permettent d’orienter au mieux les investissements. Mais je suis optimiste, la
R&D de Pure Technologies travaille activement sur des solutions très
innovantes qui vont nous permettre de proposer très prochainement des informations
encore plus précises. Nous travaillons par exemple en ce moment sur des robots
complètement autonomes capables de sillonner les canalisations en toute
autonomie pour mener des investigations extrêmement détaillées.
Revue E.I.N. : Ces acquisitions
successives modifient sensiblement le profil de l’entreprise…
G.S.E. : L’objectif, vous l’avez
compris, n’est pas de se spécialiser sur un élément ou un autre de la chaine de
traitement, mais plutôt de proposer une offre globale reposant sur le Smart.
Nos dernières acquisitions ne sont pas industrielles mais plutôt centrées sur
l’optimisation des équipements industriels. Nous sommes et nous restons un
industriel connu en matière de pompage, de comptage, de mesure ou d’analyse,
mais notre objectif est de travailler à rendre tous ces équipements plus
intelligents.
Au
plan commercial, nous souhaitons faire de Xylem une seule et même entité
composée de commerciaux capables de présenter l’offre globale supportée par des
experts de chacune des applications. Nous souhaitons faire en sorte que nos
forces technico-commerciales, soient, en face des clients, en promotion de
tout. Ça n’est pas chose facile, car les éléments de langage diffèrent selon
les marchés tout comme les besoins des clients finaux. Mais les équipes collaborent,
se coordonnent et participent aux mêmes formations. C’est un changement
culturel important mais passionnant qui se déroule harmonieusement, chacun
comprenant l’évidence de la démarche et des logiques. On l’a bien vu à Pollutec
ou des solutions très différentes mais complémentaires ont été présentées :
Flygt Concertor® dans le domaine du pompage, SmartBall® en détection de fuites
ou encore la sonde multi-paramètres YSI chez Analytics qui regroupe une offre
très large avec les marques YSI, WTW ou encore Sontek.
Revue E.I.N. : Quels sont vos objectifs
commerciaux à court ou moyen terme ?
G.S.E. : Nous sommes actuellement sur
un rythme de croissance de l’ordre de 5% par an, un chiffre que nous
espérons améliorer compte tenu des gros investissements réalisés en matière de
détection des fuites et de gestion patrimoniale des réseaux. Compte tenu du
caractère très innovant de nos offres en ce domaine, c’est, pour moi, un des
relais de croissance majeur pour l’entreprise.
Si
l’on raisonne par marché, nous réalisons de 80 à 90 millions d’€ de chiffre
d’affaires sur le municipal, et de 30 à 35 millions d’€ dans l’industrie, deux
marchés historiques pour Xylem mais qui progressent régulièrement. Mais nous
réalisons également près de 20 millions d’€ de chiffre d’affaires dans le
bâtiment génie climatique, alors qu’il y a seulement 4 ans, ce secteur
n’existait pas chez Xylem. En très peu de temps, nous avons donc pris pied sur
ce marché, malgré la présence de quelques leaders bien établis. Ce n’est pas
fini et j’ambitionne que nous devenions, dans le domaine du génie climatique,
un pôle de compétences. Nous
travaillons déjà sur des gros projets à l’international avec des acteurs comme
Engie ou Dalkia et nous prenons beaucoup de plaisir à nous développer sur ce nouveau
marché. L’arrivée prochaine d’un nouveau circulateur combiné au compteur
d’énergie thermique Sensus devrait nous y aider.
Propos
recueillis par Vincent Johanet