Ammonium, nitrate : Contrôler la digestion des boues activées
09 juillet 2020Paru dans le N°433
à la page 67 ( mots)
Rédigé par : Jacques-olivier BARUCH
La réglementation impose aux stations d’épuration de rejeter leur eau avec un minimum de produits azotés. Le contrôle de l’ammonium et des nitrates est réalisé grâce à trois types d’instruments. Revue de détail.
Le procédé plus répandu d’épuration biologique des eaux résiduaires repose sur les boues activées. Des bactéries de différentes espèces interviennent pour digérer l’azote présent sous forme d’ammonium (ou azote ammoniacal) (NH4+, de nitrites (NO2- et de nitrates (NO3-) et éviter ainsi leurs rejets dans les milieux naturels. Car les nitrites comme l’ammonium sont des poisons pour la faune aquatique, les nitrates provoquent notamment des phénomènes d’eutrophisation de certains milieux. C’est pourquoi la directive européenne 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires impose une limite à 15 ou 10 mg d’azote total par litre, en fonction de la taille de la station d’épuration, ou à une réduction minimum de 70 à 80 % des composés azotés par rapport à leur concentration à l’entrée de la station. Pour des concentrations d’ammonium de 80 mg/L en entrée de station, l’objectif est de ramener cette valeur à moins d’1 mg/L d’ammonium, et moins de 5 mg/L de nitrates.
Libérer l’azote
Concrètement, le procédé se déroule en deux phases. La première est la nitrification. Elle utilise des bactéries aérobies qui ont donc besoin d’oxygène dissous pour vivre. Les bactéries Nitrosomonas transforment l’ammonium en nitrites puis des bactéries Nitrobacter transforment les nitrites en nitrates. La seconde phase est la dénitrification qui se déroule en l’absence d’oxygène. D’autres bactéries hétérotrophes, cette fois-ci anaérobies, ingèrent les nitrates et rejettent de l’azote gazeux dans l’atmosphère. Ce double procédé demande donc de bien gérer la fonction d’aération des bassins suivant les deux phases opposées question oxygénation. Surtout que le coût de l’aération représente au moins 60 % du coût énergétique total d’une station d’épuration biologique. « Si on arrive à contrôler au plus juste l’aération, cela représente un gain d’environ 15 % sur la facture énergétique d’une station », remarque Mathieu Bauer, responsable marketing chez Endress+Hauser. Auparavant, le déclenchement ou l’arrêt de l’aération se faisait soit à l’horloge, soit par la mesure du redox. L’automate était programmé pour que chaque action démarre et s’arrête à une heure précise pour un temps donné. « La mesure du redox donne une indication de la fin de la réaction, mais c’est un pilotage en tout ou rien », explique Jean-Pierre Molinier, spécialiste process chez Hach. C’est encore le cas aujourd’hui pour de nombreuses stations d’épuration en France. Lors d’une modification de l’installation sur la station de traitement des eaux usées d’Adelsdorf, dans le sud de l’Allemagne (25.000 EqH), Hach a montré qu’un contrôle fixe par horloge ne tenait pas compte des pics réguliers d’ammonium associés à la déshydratation des boues. Dans le pire des cas, des pics de NH4 dans le bassin de décantation secondaire provoquent des dépassements sur les rejets. Dans des périodes où la charge est faible (NH4-N < 1 mg/l), les durées d’aération plus longues que nécessaires et le manque de phase d’arrêt d’oxygénation provoquent l’augmentation de la teneur en oxygène jusqu’à 4 mg/l, générant des consommations d’énergie inutilement élevées. Simultanément, la concentration en nitrates augmente jusqu’à 4 mg/l, car le faible niveau d’entrée de carbone à l’étape de la dénitrification nécessite de plus longues périodes exemptes d’aération. C’est pourquoi le pilotage par mesure continue de l’ammonium et des nitrates est bien plus direct et donc efficace. « Réguler la quantité d’air de manière dynamique et prédictive, par la mesure de l’ammonium et des nitrates, est désormais possible avec des outils de contrôle avancé de l’aération intégrés dans la gamme GreenBASSTM proposée par Suez. A qualité d’eau à traiter égale, une économie d’environ 15 % des apports en air est atteinte par rapport aux systèmes conventionnels de régulation basés sur le potentiel redox et l’oxygène » affirme Adriana Gonzalez Ospina, responsable technique Eaux usées chez Suez Infrastructures de Traitement.
Les plus simples - et les moins chères - sont les sondes ISE (électrodes ioniques spécifiques) dans lesquelles les électrodes comportent une membrane spéciale à laquelle seul un type d’ions, dont le nombre dépend de la température, peut adhérer. En conséquence, un potentiel spécifique à ces ions se forme à la surface de la membrane, potentiel qui est mesuré. Comme les ions ammonium ou nitrates ne sont pas les seuls à adhérer, il faut compenser la mesure d'ammonium par celle de potassium et la mesure de nitrates par celle des chlorures.
Ces sondes, parfois destinées à la seule mesure d’ammonium, parfois aux seuls nitrates et parfois aux deux, comportent ainsi souvent de trois à cinq capteurs différents (ammonium, potassium, nitrate, chlorure, température). La mesure est assez imprécise mais suffisante. Elle est d’environ 5 % pour la sonde CAS40D d’Endress+Hauser, l’AN-ISE de Hach, comme pour les sondes WTW de Xylem Analytics que sont les Varion Plus® (ammonium, nitrates), AmmoLyt Plus (ammonium) et NitraLyt Plus (nitrates). Ces sondes sont compatibles avec les transmetteurs DIQ/S 181, DIQ/S 282/284 et MIQ/TC 2020. La sonde Varion est une sonde multi-paramètres in situ, avec un temps de réponse rapide et une compensation dynamique. La sonde AmmoLyt permet de mesurer l’ammonium avec une compensation dynamique du potassium. De son côté, la sonde NitraLyt permet de mesurer les nitrates avec une compensation dynamique du chlorure qui permet de réduire les coûts et de pouvoir l'utiliser en milieu très pollué.
Cas particulier, l’Amtax de Hach est une sonde dont les électrodes sont GSE (gaz sélectives électrodes). Elles ont la particularité de détecter du gaz après avoir ajouté de la soude. Selon le produit de cette gamme et l’échelle de mesure, la précision varie de 3 à 5 %. S::can affiche une précision de 3 % pour son Ammo::lyser. La sonde multi-paramètres d’Aqua Troll, commercialisée par SDEC France, affiche une précision de 10 %, aussi bien sur l’ammonium que sur les nitrates. C’est un niveau de précision suffisant pour assurer une bonne gestion de la nitrification-dénitrification.
« Ces sondes fonctionnent bien pour les eaux usées des stations d’épuration urbaines, mais pas pour les eaux industrielles très acides », tempère cependant Mathieu Bauer. En effet, les sondes ISE ne sont adaptées qu’à des pH moyens (entre 5 et 9 pour l’An-ISE ou l’Amtax, 4 à 12 pour le Vairon Plus, de 5 à 12 pour le CAS40D).
La lumière ou la couleur
Bien meilleure en ce qui concerne la précision, la spectroscopie ultraviolette ou visible affiche des mesures à une précision de 2 %. C’est sur la détection des longueurs d’ondes caractéristiques dans l’ultraviolet que reposent la sonde Nitratax (pour la mesure des nitrates) de Hach, les analyseurs UV 400 et UV500 de Thétys Instruments, VIOMAX CAS51D d'Endress+Hauser et ceux de Datalink Instruments comme le NT200 pour la teneur en nitrates, son AM200 pour la mesure d’ammonium ou son Ammonit200 pour les nitrates et l’ammonium. Pour ces deux derniers appareils qui mesurent l’ammonium, de la soude est ajoutée à l’échantillon, ce qui augmente le pH de la solution et provoque un émission d’ammoniac gazeux. C’est la mesure spectroscopique de ce gaz qui permet, par la loi de Henry sur les équilibres gaz-liquide, de remonter à la teneur en ion ammonium.
L’analyseur Instran, commercialisé en France par Anael, permet de déterminer la concentration d’ammonium dans des échantillons d’eau avec la précision d’un équipement de laboratoire. Il est disponible en version colorimètre, titreur ou ISE. Le suivi de l’élément est effectué par colorimétrie, par pH ou à l’aide d’une électrode ionique spécifique (ISE).
Dernière méthode, la colorimétrie selon la norme ISO 7150-1 (GB 7481-87, DIN 38406-5). C’est suivant ce principe que fonctionne l’analyseur Topaz Ammonium de Seres OL (filiale de Swan), l’Icon de Metrohm, le PCA200-NH4 de Datalink Instruments ou le CA80AM d’Endress+Hauser. Le dichloro-isocyanurate et le salicylate de sodium provoquent une coloration bleu-vert en présence d’ammonium dans une solution alcaline. À l’aide d’une combinaison de différentes longueurs d’onde, l’absorption est mesurée sur toute la gamme de concentration. Suivant le modèle de la gamme d’Endress+Hauser, les plages de mesures s’échelonnent de 0,05 à 20 mg/l de NH4-N pour le CA80AM – AAA1, de 0,5 à 50 mg/l NH4-N pour le CA80AM-AAA2 et de 1 à 100 mg/l NH4-N pour le CA80AM-AAA3.
L’analyseur Alyza IQ NH4 de la marque WTW, filiale de Xylem, repose sur la méthode Indophénol (selon la norme DIN 38 406) qui résulte de la coloration de l’échantillon en bleu. Cette coloration est générée par la réaction des ions ammoniums de l’échantillon avec les ions hypochlorite et l’acide carbolique ou dérivé de l’acide carbolique. La réaction peut être accélérée par l’augmentation de la température de la solution de réaction. L’échantillon se colore puis est analysé par photométrie dans la plage spectrale rouge. Plus la concentration en Ammonium est élevée, plus la coloration bleue est intense.
La maintenance : un paramètre essentiel
« Le choix entre les sondes et les analyseurs sera basé sur des critères tels que la norme de rejet à laquelle la station est astreinte, son procédé de traitement, l’autonomie et la précision recherchées ainsi que le retour sur investissement visé le cas échéant », précise Jean-Pierre Molinier chez Hach. Effectivement, si le projet est basé sur un retour d’investissement de deux à trois ans, les analyseurs colorimétriques sont trop chers, ces instruments étant environ trois fois plus coûteux que les sondes ISE.
Mais si le critère principal est la maintenance, les analyseurs ont clairement l’avantage. Le problème des sondes ISE est effectivement l’encrassement régulier. Même si des systèmes de nettoyage automatique par jet d’eau est souvent prévu, « cela ne suffit pas. Il faut intervenir à la main, affirme Souad Bouzida, responsable technico-commerciale chez Datalink Instruments. Or l’encrassement fait dériver la mesure et perdre en précision ». Même si Hach propose son système de diagnostic prédictif Prognosys pour anticiper l’entretien, cela ne le supprime pas. Il faut donc surveiller les sondes ISE toutes les semaines.
C’est plus simple avec les spectromètres UV, dans lesquels la seule partie en contact avec l’eau est le hublot en quartz à travers lesquels passe la lumière ultraviolette. Suivant les appareils, un système automatique de nettoyage par jet d’eau ou d’air sous pression ou encore par acide sulfurique est fourni afin de garantir la fiabilité des mesures sur de longues périodes. « Pour une utilisation avec deux flashs par seconde, hormis le nettoyage de la vitre, il faut changer le filtre tous les deux ans et la lampe ultraviolette tous les quatre ans. Cela dure plus longtemps si on espace les mesures, grâce à la possibilité de réglage de la fréquence de mesure du capteur », avertit Mathieu Bauer. Pour Souad Bouzida, chez Datalink Instruments, « les lampes à xénon que nous utilisons ont une durée de vie bien plus longues que celles au deutérium. Elles peuvent effectuer 1,2 milliards de flashs, soit pendant 95 ans pour des mesures toutes les cinq minutes ». L’analyseur colorimétrique est quant à lui autonome de 3 à 6 mois, mais là aussi, hormis le changement régulier des réactifs, la cartouche en céramique plongée dans l’eau s’encrasse, se recouvre d’un biofilm et demande un nettoyage tous les quinze jours.
De son côté, MachereyNagel propose les spectrophotomètres Nanocolor UV qui offrent la possibilité d’effectuer des mesures de couleur complètes et de réaliser des scans en temps réel pour toutes les analyses de l’eau. Ils sont équipés de toutes les interfaces importantes (LAN, RS232, USB), notamment pour l’intégration à des systèmes d’information de laboratoire.
Le configurateur LIMS intégré permet en outre d’adapter les données pour le transfert.
Bionef propose, quant à lui, le système BlueScan Plus-MSH qui associe son spectromètre historique UV-Vis ISA, situé en partie haute, à la sonde multiparamètres MSH, en partie basse. Etalonné sur site, le système garantit une précision de mesure élevée et la sélection des bonnes longueurs d'onde.
Chaque technique comporte son lot d’avantages et d’inconvénients. Il faudra ainsi bien analyser le type de boues, la configuration des bassins, les coûts, les normes de rejets et les capacités du personnel exploitant pour choisir la solution la plus adaptée.
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