La mesure la plus répandue dans le domaine de l’eau doit être prise avec des pincettes. Les sondes, mais aussi la nature de l’eau à analyser, influent sur la mesure. Revue de détail des différentes sources d’erreurs ou d’imprécision
L'eau c’est la vie? Souvent, mais pas toujours. Elle n’apporte rien si elle est parfaitement pure, composée uniquement des molécules d’H2 O, en fait un mélange d’ions H+ et OH- . Il lui faut contenir d’autres éléments nutritifs pour les êtres vivants qui sont dans l’incapacité de les fabriquer. Ce sont des sels minéraux, tels les sels de calcium, de magnésium, de potassium, de sodium, et autres fluors. Mais pas trop non plus. Les exploitants d’eau potable doivent savoir quels sels et combien leur eau en contient. Les Step doivent vérifier la qualité de l’eau qu’elles rejettent.
Certaines industries,
au contraire, ont souvent besoin d’une
eau ultrapure, que ce soit pour les chaudières à vapeur, la fabrication de circuits imprimés de l’électronique ou de
médicaments pour l’industrie pharmaceutique. Dans tout le domaine de l’eau,
la mesure du contenu en sels minéraux
est indispensable. Elle est déduite de sa
conductivité, un paramètre mesuré par
des capteurs spécifiques.
«C’est la mesure la plus répandue avec celle de pH, remarque Mehalia Medjahed, ingénieure solution chez Xylem. On en trouve partout, dans les stations d’épuration, les réseaux d’eau potable, toutes les branches de l’industrie et même les milieux naturels.» La conductivité n’est pas mesurée directement, mais calculée à partir de la résistivité d’une solution, c’est-à‑dire sa capacité à résister au courant électrique généré entre les deux ou quatre électrodes d’une cellule (voir la revue EIN n°431).
TROIS TECHNIQUES, AUTANT D’ERREURS
Comme nous le décrivions dans ce précédent numéro, une troisième technique, dite inductive ou toroïdale, consiste à faire passer le fluide dans une bobine émettrice traversée par un courant électrique qui induit un champ magnétique. Les ions présents dans le liquide sont alors traversés par un courant qui est mesuré au niveau d’une bobine réceptrice. Intéressante pour les applications de process NEP, détection de résidus dans le liquide de rinçage, système de désalinisation, ou encore de traitement d’eau, c’est ce principe qu’utilisent les SE 655 de Knick, les CLS50D d’Endress+Hauser, les CTZN de Ponsel (Aqualabo), les ISC40 de Yokogawa, les Optisys IND 8100 et les gammes Optisens de Krohne, les Inducon 1000 de Swan, les cellules de conductivité type diamètre 12 de Walchem distribuée par TMR, les 8220 de Bürkert ou encore le LDL101 d’ifm.
La méthode par induction permet des plages de mesures très larges, alors que la méthode conductive dépend de la géométrie de la cellule, dont la constante, c’est-à‑dire le rapport entre la surface des électrodes et l’éloignement des électrodes et leur surface, est fournie le plus précisément possible par les fabricants.
La résistivité se mesure en ohms, la conductivité en Siemens/cm. «Il n’y a que dans l’industrie de l’électronique qu’on parle en résistivité avec des valeurs aussi faibles que 18,18 mégaohms. Cela correspond à une conductivité de 0, 055 µS/cm, soit celle de l’eau pure.
Tous les autres secteurs parlent en conductivité, assure Guillaume Schneider, responsable des ventes chez Swan France. Que l’on doive mesurer de l’eau pharmaceutique ou celle des turbines à vapeur à moins de 0,2 µS/cm, de l’eau potable entre 200 µS/cm et 1,1 mS/cm ou de l’eau de mer entre 20 et 50 mS/cm, la géométrie de la cellule sera différente.
Ainsi les fabricants ou distributeurs de sondes de conductivités comme Acta Mesures, Aquacontrol, Anhydre, Aqualabo, Bionef, dtli, EFS, Endress+Hauser, Hach-Lange, ifm, Ijinus, Kobold, Krohne, Mettler-Toledo, S::CAN ou encore Prosensor proposent des sondes de conductivité adaptées aux basses, moyennes ou hautes valeurs selon l’application recherchée.
UNE MESURE TRÈS RELATIVE
Mais attention à la validité de la mesure. Le diable se cache dans les détails. Il y a d’abord la conception du capteur qui réduit intrinsèquement la précision de la mesure.
Selon qu’elles soient conductives à 2 ou 4 électrodes ou bien inductives, la précision des sondes de conductivité dépend de la plage de mesure à laquelle elles sont adaptées. Le capteur ProDSS d’Ysi (Xylem), adapté au ProSwap logger sorti l’été dernier, annonce une précision de 0,5% pour les eaux entre 0 et 100mS/ cm et 1% entre 100 et 200 mS/cm. C’est 1,5% pour le Tetracon IQ 700 de WTW (Xylem) comme le Shurecon P de Swan (4 électrodes). La InPro7000-VP (2 électrodes) de Mettler-Toledo a une constante de cellule précise à 1% pour des mesures entre 0,02 µS/cm et 10mS/ cm. Plus adaptée aux eaux salées, la SeaMetrics CT2X d’Anhydre (4 électrodes) donne une résolution de 1 µS/cm ou 0,5% de la mesure.
Dédiée à la sécurisation de la distribution d’eau potable, la sonde I-Cense développée par EFS sur la norme ISO7393, revendique des mesures précises et reproductibles. La plage de mesure de la sonde I-CENSE sur la conductivité est de 0 a 2000 µS et répond à la plage pour l’eau potable avec une précision de 0,5% de la valeur lue borné 5µS sur les plus petites valeurs. Puis il y a les sources d’erreurs de mesure dues à divers facteurs tels que la température de mesure, le pH de l’eau, ou encore la teneur de l’air en dioxyde de carbone qui est plus ou moins ionisé suivant le pH.
La température influe en effet sur la mesure car plus un fluide est chaud, plus les ions s’agitent, plus ils conduisent l’électricité. Elle peut varier jusqu’à 6% par degré Celsius. Tout dépend de la nature du produit chimique contrôlé et de sa concentration. Il faut donc rectifier la mesure pour fournir une conductivité à la température de référence de 25°C.
Les sondes de conductivité vendues dans le commerce donnent des valeurs rectifiées à cette température, car elles sont toutes équipées de sondes de température, en général des Pt1000, parfois des Pt100, NTC ou PTC. Le calcul se fait selon la norme DIN EN 27888.
Par exemple, si la mesure de conductivité a été effectuée à 20°C, elle est recalculée à 25°C en la multipliant par le facteur 1,116. Ne pas en tenir compte provoque une erreur de plus de 10%!
Les capteurs-enregistreurs de température et conductivité Hobo U24 proposés par Prosensor calculent la conductance spécifique à 25°C et la salinité grâce à l’assistant de conductivité proposé avec HOBOware Pro.
Les appareils sont accompagnés d’un logiciel intuitif permettant de configurer les paramètres, lancer l’enregistreur et décharger les données.
Pour obtenir des mesures compensées en température, Chauvin-Arnoux fournit avec son conductimètre CA 10141 la cellule de conductivité XCP4ST1.
DES EFFETS DE POLARISATION
Du côté des sondes elles-mêmes, les mesures peuvent être biaisées par plusieurs facteurs. Le premier est la polarisation. En effet, l’application d’un courant électrique provoque la formation d’une couche de contre-ions qui se forment à la surface des électrodes, ce qui entraîne une résistance capacitive supplémentaire. L’influence de cette polarisation est minimisée en appliquant un courant alternatif évitant la formation de couches d’ions.
Des fréquences plus élevées sont appliquées lors de la mesure de conductivités élevées, où la résistance de polarisation est grande par rapport à la résistance de la solution. Pour les basses conductivités, des fréquences basses sont appliquées, qui sont moins influencées par la capacité du câble. Lors de l’utilisation d’une cellule quadripolaire, la résistance de polarisation n’a pratiquement aucun effet sur la mesure. Elle n’existe pas pour les sondes inductives. Autre effet sur la mesure, la distance de la sonde à la paroi dans les espaces de montage réduits.
«Cet effet est compensé par ce que l’on appelle le facteur d’installation rappelle Endress+Hauser dans sa notice d’information technique de son capteur Memosens CLS82E. La constante de cellule doit être corrigée en la multipliant par le facteur d’installation… Le facteur d’installation peut être ignoré si la distance de la paroi est supérieure à 15 mm. Si la distance de la paroi est plus petite, le facteur d’installation augmente pour les conduites isolées électriquement et diminue pour les conduites électriquement conductrices. Le facteur d’installation peut être déterminé à l’aide de solutions d’étalonnage».
UNE CELLULE SENSIBLE
Cette cellule est la base de la mesure puisque sa géométrie est un facteur décisif du calcul. Or la constante de cellule peut s’altérer avec le temps du fait de l’entartrage ou du dépôt d’électrolyte sur les plaques. «Il faut les réétalonner régulièrement», prévient Damien Jacquier, responsable eau chez Krohne.
Cela se fait avec des étalons dont la conductivité est connue. À une concentration de 0,1 mole par litre, elle est de 11,67 mS/cm à 20°C et de 12,88 mS/cm à 25°C. Hach-Lange les propose aussi en concentration de 1 mole/litre à 111,5 mS/cm ou de 0,01 mole/litre à 1,408 mS/cm, et aussi des solutions d’étalonnage au chlorure de sodium (NaCl). La société américaine annonce une meilleure précision (0,35%) avec la solution de KCL à 0,1 mole/litre. «Dans le cadre des mesures de basses valeurs de conductivité, il faut également s’affranchir de l’influence des gaz dissous : d’une part, si on cherche à calibrer avec une solution étalon de très basse valeur, le CO2 dissous risque d’entrainer une erreur», explique Jean-Pierre Molinier, Process Specialist.
«Afin de pourvoir calibrer les conductivimètres mesurant en dessous de 100 µS/cm Hach propose un banc de calibration par mesure comparative, sans utilisation de solution donc. De la même façon pour la mesure ellemême, il est parfois pertinent de mesurer la conductivité de l’échantillon après dégazage, ce qui est fait avec une platine modèle 9525».
Avec leur convertisseur intégré, les Smart Pat de Krohne sont faciles à ré-étalonner. «Quand on ne les utilise pas, on les plonge dans ce bain de KCl, ce qui a aussi l’avantage de les décrasser», poursuit Damien Jacquier.
La sonde Exo
de Xylem est quant à elle plus durable
sans entretien, car elle possède des balais
autonettoyants.
La dérive des mesures due à l’encrassement peut être suivie régulièrement
et, en cas d’alerte, conduire à un changement des sondes. La mémorisation
est l’avantage des sondes numériques
sur les analogiques.
Avec Heartbeat Technology, Endress+Hauser a pris les devants pour l’eau potable: cette fonctionnalité permet de prendre le pouls de la mesure, autrement dit de valider l’état de fonctionnement du capteur y compris pendant son fonctionnement. Ces auto-diagnostics peuvent être utilisés pour documenter une procédure qualité ou dans le cadre de l’établissement d’un PGSSE (plan de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau).
Disponible chez Automation 24, le capteur de conductivité par conduction
LDL100 - COND Conductivity HYG G1/2
d’ifm electronic détecte la conductivité
et la concentration de différents milieux
avec une grande flexibilité des points de
mesure, assurant ainsi la prévention des
temps d’arrêt imprévus, dans l’industrie alimentaire, par exemple pour les
processus de nettoyage. La mesure est
basée sur la conductivité (100...15.000
µS/cm) ou la température (-25...150°C)
du lait, de l’eau ou des liquides de nettoyage (NEP). Evolutif, avec une
tension de fonctionnement de 18...30
V DC, il possède une sortie analogique
et une interface IO-Link.
La connexion au process se fait par un filetage extérieur adaptable hygiénique G 1/2. Pour l’analyse en ligne de la qualité de l’eau potable, Bionef indique introduire progressivement la nouvelle série TW Master TriOS aux modules assemblables, dont le module du pH, de la conductivité sera disponible prochainement.
UN GAZ À EFFET DE SERRE TRÈS GÊNANT
L’utilisation d’une solution d’étalonnage doit être précautionneuse. En effet, dès que le flacon est ouvert, le chlorure de potassium est pollué par le dioxyde de carbone de l’air.
Or ce gaz à effet de serre agit fortement sur la mesure. À 25°C, l’eau pure contient 2.10-7 moles par litre d’ions (H+ et OH-) mais la présence de 0,5 mg/L de CO2 dissout augmente sa conductivité d’un facteur 25. Quand l’eau doit être ultrapure, avec une conductivité inférieure à 0,2 µS/cm, l’impact du dioxyde de carbone peut donc fausser grandement la mesure. «C’est pourquoi Swan vend aujourd’hui systématiquement des appareils à conduction cationique dégazée dans l’industrie des turbines à vapeur», déclare Guillaume Schneider.
Quand Engie ou Dalkia doivent rallumer leurs turbines après un arrêt, il faut chasser le CO2 de l’eau. Ils utilisent des bâches dégazantes, mais, avec ce procédé, il en reste toujours. Swan s’est lancé dans la conduction cationique avec son Ami Delcon DG dont le principe est un passage sur une résine et un dégazage thermique en chauffant l’eau à 99°C à pression atmosphérique. D’autres le font par filtration membranaire.
«Ils ont un taux de dégazage de 60% quand Swan atteint 99%», s’enorgueillit Guillaume Schneider.
L’Ami Delcon DG est un système à trois sondes en titane. La première mesure la conductivité spécifique en entrée, le seconde celle après passage sur la résine, la troisième après un rebouilleur (chauffage à 99°C). L’ensemble est monté sur une platine pour une analyse en ligne. Ces conductimètres cationiques sont aussi utilisés dans l’électronique où la pureté de l’eau essentielle. L’efficacité du chauffage doit alors tenir compte de la pression atmosphérique du lieu de mesure. Car la température d’ébullition de l’eau dépend de la pression. Les électroniciens ont adjoint à l’appareillage un altimètre pour permet d’ajuster la température d’ébullition.
UN CONTENU QUI INFLUE SUR LA MESURE
La mesure de la conductivité d’une solution ne donne pas la nature des sels présents, mais une valeur globale. Or les ions se déplacent plus ou moins facilement dans une solution.
La mesure de la conductivité est donc la somme des conductivités spécifiques de chaque anion (ion négatif) ou cation (ion positif). La conductivité spécifique d’un cation de magnésium est de 3,82 µS/cm par milligramme et par litre, alors que celle d’un cation de potassium n’est que de 1,84µS/cm/mg/L. la différence est aussi sensible pour les anions (1,15 pour les nitrates contre 2,82 pour les carbonates).
Il faut donc compenser la mesure de conductivité en fonction des produits présents dans l’eau. «Dans les chaudières, on ajoute des produits comme de la morpholine, de l’amoniac, des phosphates ou de l’éthanolamine. Nous fournissons des courbes de compensation car la conductivité double si on ne tient pas compte de la présence de ces produits. Si on ne le fait pas, on peut passer de 0,2 à 0,4 µS/cm. Ce qui est en dehors des normes», ajoute Guillaume Schneider.
Les ingénieurs
de l’industrie pharmaceutique, qui
connaissent parfaitement la nature et
la quantité des produits qu’ils utilisent,
compensent eux-mêmes les mesures
avec des courbes qu’ils ont calculées.
Afin d’être le plus précis possible.