Traitement des eaux usées urbaines : des évolutions ralenties par la réglementation
27 septembre 2019Paru dans le N°424
à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Patrick PHILIPON
Produire de l’énergie, récupérer les éléments intéressants dans les eaux, valoriser les boues, réutiliser l’eau, éliminer les micropolluants?: la plupart des fonctions des stations d’épuration du futur sont d’ores et déjà réalisables en aménageant les installations actuelles. Les techniques sont là, le changement est en marche. Mais il pourrait être bien plus rapide sans certains freins réglementaires propres à la France…
Les stations d’épuration du futur seront des usines de recyclage, fournissant eau propre, matières diverses et énergie, le tout sans rejeter de polluants nocifs pour les milieux récepteurs (voir EIN 412).
Mais en pratique, quelles sont les options d’ores et déjà disponibles pour s’engager sur ces nouvelles voies ? « Pendant 30 ans, nous avons construit des stations d’épuration fiables et répondant à des normes de rejet de plus en plus strictes. Elles remplissent leur fonction, sont en bon état et, en général, largement dimensionnées. Elles représentent de lourds investissements, aussi n’est-il pas question de tout raser ». Fabrice Nauleau, qui dirige la R&D chez Saur, pose le problème. Des technologies sont cependant disponibles, susceptibles de s’ajouter aux installations existantes pour faire un premier pas.
Économiser, voire récupérer l’énergie
Les maîtres d’ouvrage demandent en premier lieu une meilleure performance énergétique. D’autant que les territoires sont désormais tenus de mettre sur pieds un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). « Les stations d’épuration ne sont pas encore systématiquement intégrées dans cette réflexion », regrette toutefois Christelle Metral, Chef de Marché Transition Énergétique et Économie Circulaire chez Suez Eau France. Quoi qu’il en soit, et sans transformer les installations, il est possible d’optimiser leur fonctionnement. Depuis quelques années déjà, des capteurs d’ammoniac et d’ammonium permettent d’asservir les surpresseurs d’air, principal poste de consommation d’énergie. Les sondes ISE développées par Hach, Xylem Analytics, s::can, ndata ou Endress+Hauser sur lesquelles reposent les procédés Amonit® de Veolia, Ammonair® de Saur ou Greenbass® de Suez, permettent de n’apporter que la quantité d’oxygène nécessaire en fonction des mesures de concentrations en nitrate et ammonium. Les gains potentiels ? Entre 10 et 15 % des consommations énergétiques par rapport aux systèmes de régulation par horloge.
Par exemple le ISEMax CAS 40D d’Endress+Hauser. « Il bénéficie d’une transmission numérique du signal, plus robuste en milieu aqueux », précise Matthieu Bauer, Chef d’équipe marketing Environnement – Energie chez Endress Hauser. D’autres procédés sont développés par les fabricants d’aérateurs eux-mêmes comme par exemple Invent ou Aqseptence (Aqualogic®).
Pour les ouvrages plus petits, Biotrade a développé avec l’INSA de Toulouse un automate reposant sur l’analyse, en temps réel, des dynamiques des signaux redox et oxygène permettant de détecter automatiquement la fin des réactions biologiques de nitrification et dénitrification. Ainsi, la durée d’aération est adaptée à la charge polluante entrante sur la station. Les gains observés s’établissent autour de 21 %.
Les développements se poursuivent. « Aujourd’hui apparaissent des régulations fines de l’injection de polymères et de la quantité de boues déshydratées via des sondes de MES en ligne, ce qui permet d’économiser encore 5 à 15 % de réactifs et d’énergie », ajoute Antoine Legrand, Directeur Commercial de Sources.
Dans le même esprit, Irstea a développé et mis en ligne l’application Energie-step1. « A partir des données de base de la station d’épuration, elle quantifie les différents postes de consommation énergétique et permet d’identifier les pistes d’amélioration », explique Jean-Marc Choubert, directeur de l’unité Reversaal à Irstea Lyon.
Sources propose depuis un an le procédé de boues granulaires Nereda®, breveté par son partenaire Royal Haskoning DHV. « Il permet d'économiser au moins 30% d'électricité et supprime le recours au chlorure ferrique car la déphosphatation est complètement biologique », explique Antoine Legrand. Sources intègre le procédé Nereda® dans la STEP (12.700 EH) des Sources de la Troësne, à Fleury (Oise), qui va démarrer début 2020, ainsi qu’à Oissery en Seine et Marne. Un troisième est en cours d’installation à Chalon sur Saône, dont la STEP est en réhabilitation. « Grâce à la compacité de Nereda, nous pouvons l’installer dans un seul des deux bassins existants, simplement en le cloisonnant. La collectivité a demandé une capacité de 30.000 EH mais nous allons atteindre 45.000 EH, avec un seul bassin », souligne Antoine Legrand.
Il est également possible de récupérer la chaleur des eaux usées, que ce soit en tête de station ou à la sortie. « La récupération de chaleur redevient pertinente économiquement. Nous avions réalisé des installations en ce sens pour chauffer des centres aquatiques ou des zones résidentielles ou d’activités. Nous y revenons pour chauffer les méthaniseurs, par exemple à Perpignan et Fréjus », explique Vincent Chevallier, chef de marché Valorisation énergie chez Veolia eau. Comme Biofluides Environnement avec sa technologie ERS®, Suez propose depuis plusieurs années sa solution Degrés Bleus de récupération de la chaleur sur les réseaux d'assainissement. « Plus récemment, nous avons développé le procédé STEP Stream, qui récupère la chaleur en sortie d’usine. Nous le couplons souvent à la méthanisation » ajoute Christelle Metral.
De même, Alfa Laval développe de nombreux échangeurs à plaques hautes performances permettant de récupérer et de valoriser de l'énergie fatale.
A Chartres, Aqualter a déployé un système breveté de séchage des boues en serre. « Le soleil suffit au printemps et en été mais, en hiver, un plancher chauffant est alimenté par une pompe à chaleur installée sur les eaux usées traitées », précise Vincent Darras, directeur général Etudes d’Aqualter. La STEP de Chartes (160.000 EH) produira également de l’électricité grâce à une turbine installée en sortie. « La STEP est située en hauteur par rapport à l’exutoire. Nous en avons profité pour installer une turbine de 200 kW sur les eaux usées traitées », explique-t-il.
Méthanisation : la voie royale
Tous les acteurs sont d’accord : le meilleur moyen d’améliorer le bilan énergétique d’une station d’épuration, et de loin, reste de digérer les boues pour produire du biogaz – un mélange de méthane et de dioxyde de carbone. L’avantage est double : d’une part réduire le volume de boues et, d’autre part produire un vecteur d’énergie.
« Ces équipements permettent également un meilleur confinement des installations, réduisant les émissions de NH3 mais également les émissions d'odeurs », souligne Adrien Bouzonville, Manager and Environmental Consultant chez Atmoterra.
Une fois transformé en méthane, donc débarrassé de son CO2, le biogaz peut être injecté dans le réseau de distribution du gaz naturel. Le tarif de rachat du biométhane est à cet égard fortement incitatif… même s’il est susceptible de baisser dans les années à venir. « Sur les grosses STEP, la vente du biométhane rend l’opération très intéressante pour l’équilibre économique de l’usine. Le seuil de taille, encore situé il y a quelques années à 30.000 EH, s'abaisse », explique Vincent Darras. Pour les plus petites stations d’épuration, la volonté politique du maître d’ouvrage prime.
Suez a réalisé à Strasbourg la première STEP française réinjectant son biométhane dans le réseau. « Nous venons de mettre en service l’usine de Marseille, la plus importante en France avec 1,65 millions d’EH. Si l’on ajoute Lyon, La Feyssine et autres, nous avons en tout 18 références en production de biométhane » précise pour sa part Christelle Metral. « En 2017, nous opérions une vingtaine d’installations de méthanisation. D’ici 2020, nous en aurons 46 de taille significative. Un vrai mouvement se dessine », constate Vincent Chevallier, chez Veolia. Jean-Christian Beaumont, directeur du pôle Collectivités chez Antea Group, confirme le mouvement : « la France rattrape son retard sur la production de biogaz. Les collectivités y pensent désormais systématiquement ».
« La méthanisation des boues de STEP est également la voie historique à privilégier par rapport à d'autres méthaniseurs qui utilisent de plus en plus de matières agricoles produits spécifiquement », souligne de son côté Adrien Bouzonville chez Atmoterra.
Pour comptabiliser le méthane produit, Krohne avec l’Optisonic 7300, Endress Hauser avec le ProSonic Flow B 200 ou Kobold avec son débitmètre à oscillation DOG ont développé des capteurs spécifiques. Les STEP de Strasbourg et Village Neuf (Alsace), par exemple, en sont équipées.
Plusieurs solutions se présentent pour améliorer le rendement de l’opération. Tout d’abord, le prétraitement des boues pour favoriser leur digestion. Saur propose Sonoflux®, un système à ultrasons. « Les bactéries du traitement secondaire éclatent, libérant leur biomasse, donc la DCO, dans le digesteur. La production de méthane augmente d’environ 10 % », affirme Fabrice Nauleau. Veolia mise sur la lyse thermique, et sa solution équipe déjà une dizaine de stations d’épuration en France, dont celle de Marquette-lez-Lille.
Mais surtout, pour améliorer la production de biogaz, on assiste aujourd’hui au grand retour du traitement primaire. « En France, 80-90 % des installations ont seulement un bassin d’aération, à la différence de l’Allemagne où on a d’abord un traitement primaire puis l’unité d’aération. Le traitement primaire produit des boues plus méthanogènes et réduit la consommation d’énergie de la STEP » souligne Vincent Chevallier. L’ajout, pas forcément aisé, doit se penser au cas par cas, mais les grands constructeurs proposent aujourd’hui des solutions implantables sans grands travaux de génie civil. « Des fabricants d’Europe du Nord, comme Salsnes ou notre partenaire EMO, proposent des décanteurs mécaniques compacts, peu énergivores car reposant sur une filtration à travers une toile. Nous testons ces produits sur des pilotes et commençons à les proposer », révèle Fabrice Nauleau chez Saur.
Suez soutient également le traitement primaire couplé à la méthanisation. « Aujourd’hui, bon nombre d’extensions d’usines sont réalisées de cette façon, plutôt qu’en rajoutant un bassin biologique. Nous l’avons mis en place, par exemple, à Folschviller, aux Mureaux ou à Villiers-Saint-Fréderic, une STEP en construction » énumère Christelle Metral. Cette dernière station bénéficiera du procédé Primegreen™ filter, une installation compacte de traitement primaire pouvant s’insérer sans génie civil dans un cadre existant. Toutes les dernières installations de méthanisation de Suez utilisent par ailleurs des digesteurs métalliques en Verinox (avec son partenaire Lipp GmbH) : c’est le procédé Digelis™ Simplex. Pour la transformation du biogaz en biométhane, Suez a développé un système membranaire baptisé Méthanis™ qui compte déjà 18 références.
Vers une méthanisation territoriale ?
Lorsqu’il n’est pas réinjecté dans le réseau sous forme de biométhane, le biogaz peut aussi être utilisé tel quel. « A Liffré, près de Rennes, la collectivité voulait produire de l’énergie. Étant donné la taille de la STEP (moins de 20.000 EH) et l’absence de réseau à proximité, pas question de produire du méthane à injecter. Nous avons tout de même installé un digesteur, et le biogaz alimente une turbine qui fournit 20 % des besoins électriques de la station » explique Fabrice Nauleau. La Saur installe également des unités de méthanisation et réinjection dans des STEP plus importantes, comme à Saint-Etienne ou Aubenas (Ardèche). A Saint-Etienne, une pompe à chaleur installée sur les eaux usées traitées chauffera le digesteur.
Tout cela est bel et bon… mais la réglementation à venir ne va pas faciliter la tâche des petites collectivités. Il est en effet prévu (à l’heure où nous mettons sous presse) d’interdire la co-méthanisation de biodéchets avec les boues de STEP. Or, si digestion des boues est économiquement sensée pour grosses STEP, les “petites” unités ont besoin d’un apport extérieur de déchets pour atteindre l’équilibre. « Plusieurs projets se sont retrouvés en difficulté. Cela n’empêchera pas le développement de la méthanisation mais freinera certainement celui d’une partie du marché », estime ainsi Christelle Metral, de Suez. « Cela rend certaines filières caduques au niveau investissement, des dossiers sont tombés à l’eau » confirme Jean-Christian Beaumont chez Antea Group.
Quelles sont les alternatives ? Tout d’abord, il restera possible de mélanger les boues de différentes STEP dans un même méthaniseur. « Les collectivités s’orientent vers une méthanisation “territoriale” des boues et graisses issues des différentes STEP locales. La nouvelle STEP de Villiers-Saint-Frédéric (42.000 EH), que nous construisons, aura un traitement primaire et centralisera la méthanisation des boues de tout le territoire du Syndicat Intercommunal d’Assainissement de la Région de Neauphle-le-Château » révèle ainsi Christelle Metral chez Suez. Veolia conduit un projet dans le même sens à Valence. « Les boues des STEP voisines, qui ne sont pas forcément opérées par les mêmes sociétés, permettent d’atteindre une taille critique. Cela correspond à une vision territoriale de la gestion des boues », confirme Vincent Chevallier.
La ville de Brive s’arrange de cette nouvelle réglementation d’une autre manière. Elle a lancé un appel d’offres portant certes sur deux filières distinctes de méthanisation – l’une pour les déchets organiques, l’autre pour les boues de STEP – mais avec une installation commune de transformation du biogaz en biométhane.
En Alsace, Sources vient pour sa part de répondre à un appel d’offres du SDEA pour la construction d’une STEP (30.000 EH) avec méthanisation des boues. « Pour rendre l’opération rentable, le client demande une co-méthanisation d’intrants végétaux (paille, herbe à éléphants) cultivés spécifiquement sur les zones de captage d’eau potable du syndicat pour être broyés et mélangés aux boues de la STEP. Il suffit d’ajouter 10 % de végétaux dans la boue pour augmenter de 30 % la production de biogaz », souligne Antoine Legrand. Après décision cet automne, les travaux démarreront début 2020. « Il convient toutefois d'être vigilant avec ces autres intrants, parfois produits spécifiquement, qui viennent quelquefois concurrencer les productions agricoles locales et rendent le schéma économique des stations parfois précaire », souligne de son côté Adrien Bouzonville chez Atmoterra.
Est-ce à dire que l’on se dirige vers des STEP “zéro énergie”, voire à énergie positive, comme on l’entend parfois ? « Il faut se méfier des artifices. Une STEP ne peut pas produire en propre assez d’énergie pour ses besoins. Simplement le tarif de réinjection du biogaz permet de rééquilibrer le budget consacré à l’énergie » tempère Nauleau chez Saur. Jean-Christian Beaumont, chez Antea Group, ne dit pas autre chose : « sur nos derniers dossiers, nous essayons d’avoir un euro de dépense (en énergie) compensé par un euro de recette ». Antea Group, en tant qu’assistant au maître d’ouvrage, a participé à la définition de la STEP de Cagnes sur Mer (ouverture prévue fin 2019), qui combine récupération de chaleur, méthanisation… et panneaux solaires.
Des matières récupérables… mais considérées comme déchets
Les eaux usées et les boues contiennent des éléments valorisables, en particulier en agronomie. Cependant, là encore, la réglementation ne favorise pas le recyclage puisque les matières récupérées sont systématiquement considérées comme des déchets, donc ne peuvent pas être valorisées comme des produits à part entière. Ce qui n’empêche pas l’épandage ou d’autres utilisations dans certains cas.
L’élément le plus important est le phosphore, un intrant essentiel en agriculture et dont les réserves mondiales, sous forme de phosphates, ne sont pas infinies. A tel point que l’Europe le considère comme une ressource critique. « La récupération du phosphore dans les eaux usées permettrait de couvrir 20 % des besoins en Europe. Elle n’est cependant pas obligatoire en France, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays européens », précise Christelle Metral. Sa récupération demande une certaine réorganisation du procédé, cependant.
« Lorsqu’il est il est piégé avec du chlorure ferrique, il est difficilement remobilisable par la suite, même dans un digesteur. Si on préfère un premier traitement anaérobie, alors il est facilement relargué dans le méthaniseur et récupérable sous forme soit de struvite, soit de phosphate dicalcique », explique Fabrice Nauleau.
Avec son procédé Phosphogreen® de récupération de struvite, Suez équipe les deux premières installations à échelle industrielle en France, à Villiers-Saint-Frédéric (2.240 équivalents sacs d’engrais) et Mulhouse (3.500 sacs). « Il existe une réflexion au niveau européen sur le statut de la struvite. Il devrait s’uniformiser dans les années à venir. Le Danemark, par exemple, en produit et cherche à l’exporter » révèle Christelle Metral. Suez a d’ailleurs réalisé ses premières installations de Phosphogreen® dans ce pays. Veolia fait de même avec son procédé Struvia®. La Saur utilise pour sa part la voie du phosphate dicalcique avec son procédé Extraphore®. « Même sans digestion, on peut récupérer 30 à 50 % du phosphore entrant dans une STEP. C’est un marché émergent mais qui va se développer dans les cinq ans à venir », estime Fabrice Nauleau.
Afin d’accompagner les exploitants dans cette démarche, Endress Hauser avec le Liquiline System CA80PH pour l’orthophosphate et le Liquiline System CA80TP pour le phosphore total, Hach avec ses Phosphax sc, Xylem Analytics avec son nouveau Alyza IQ PO4 ou AMS Alliance avec Smartchem développent des systèmes d’analyse en ligne, automatisés. « Nous équipons par exemple la STEP de Guebwiller (85.000 EH et 100.000 en période de vendange), qui extrait son phosphore et le transforme pour le vendre », explique Matthieu Bauer chez Endress+Hauser.
L’autre grand composant, l’azote, est plus délicat à récupérer puisqu’il intervient lors du traitement aérobie. Veolia a cependant mis au point le procédé Valeaz®, qui récupère l’azote des boues pour en faire engrais organique concentré. « Le produit est lui aussi considéré en France comme un déchet », regrette Vincent Chevallier.
Par ailleurs, lorsqu’on purifie le biogaz pour en faire du méthane, on « se retrouve » avec du CO2. Qu’en faire, sinon le rejeter dans l’atmosphère ? Le transformer en bicarbonate, répond Veolia, qui propose Valecarb®. « Le bicarbonate est massivement utilisé comme additif dans les unités d’incinération. Au Mans, un projet d’installation de Valecarb® est en cours de validation, nous serons en mesure de produire de 50 à 80 % de la consommation de bicarbonate du four », précise Vincent Chevallier.
Les boues elles-mêmes peuvent être valorisées. Aqualter dispose d’un brevet sur leur hygiénisation. « Les boues passent sur une vis chauffante à 140 °C, avec un temps de séjour dépendant de l’abattement recherché. Nous pouvons éliminer jusqu’à 99 % des germes. Nous en avons installé un à Papeete, par exemple. Le plus difficile est d’obtenir l’homologation du produit comme engrais » souligne Vincent Darras.
Réutilisation de l’eau : encore tabou
Moyennant un traitement variable selon la qualité désirée, les eaux issues de STEP pourraient être réutilisées, comme elles le sont de façon effective dans de nombreux pays. Pas en France, dont la plupart des bassins ne souffrent pas encore de stress hydriques et où la réglementation ne facilite pas les choses. Mais avec les changements climatiques et la multiplication des arrêtés sécheresse, les perspectives pourraient évoluer. La seconde séquence des Assises de l’eau s’est d’ailleurs achevée sur l’objectif de tripler d’ici 2025 les volumes des eaux réutilisées en introduisant des évolutions réglementaires. Les opérateurs sont prêts, en tout cas.
A Mauguio (Hérault), au cours d’un essai lancé en 2015 en partenariat avec Irstea et l’agence de l’eau RMC, la Saur a démontré que l’eau sortant d’une STEP et passant sur filtre à sable et UV (dispositif à rayonnement UV conçu et fourni par la société BIO-UV Group) a une qualité tout à fait comparable aux eaux distribuées dans la région pour l’irrigation. « Nous avons déjà quelques installations qui arrosent des golfs, comme sur la presqu’île de Rhuys. De plus, les îles de Noirmoutier, et plus récemment l’Ile de Ré, utilisent de l’eau de STEP lagunée pour arroser leurs pommes de terre primeur », rappelle Fabrice Nauleau. De la même manière, Suez opère au cap d’Adge une STEP qui arrose le golf. « En matière de REUSE, nous disposons des technologies nécessaires pour produire une qualité d'eau adaptée aux usages (irrigation, rechargement de nappes aquifères, besoins eau industrielle ...) » tient à souligner Christelle Metral.
Pour éliminer les organismes pathogènes et fournir une eau de qualité agricole, Irstea étudie actuellement un filtre planté de roseaux aux performances dopées par l’ajout de rampes d’aération.
Vincent Darras, chez Aqualter, signale des projets de réutilisation lancés à Chartres. « Il faut être très tenace pour obtenir l’agrément d’utilisation », sourit-il. Veolia, fort de son expérience dans des pays sujets à des stress hydriques, propose également des solutions adaptées au contexte français. « Avec l’Inra, le pôle de compétitivité Montpellier, l’agglomération de Narbonne et Aquadoc, nous terminons le projet Irri alto, à Gruissan. Depuis 2015, les eaux de la STEP sont utilisées pour arroser des vignes au goutte à goutte, avec d’excellents résultats.Près de Tarbes, nous menons le projet SmartFertiReuse, un projet d'irrigation de grandes cultures par aspersion. C'est un projet de recherche et de démonstration, mené dans le cadre de France Expérimentation et qui bénéficie à ce titre d'un arrêté spécifique, souligne Maelenn Poitrenaud, Responsable Innovation et Développement chez SEDE, filiale de Veolia. Dans les nouvelles perspectives de réutilisation des eaux usées traitées, le projet SmartFertiReuse vise à développer un service innovant pour accompagner le monde agricole et les collectivités dans une valorisation des eaux usées traitées et une gestion optimale des fertilisants. Ce projet qui associe des laboratoires de recherche, des partenaires industriels et des acteurs agricoles, vise, en outre, à développer et mettre en œuvre, à une échelle industrielle, un outil de pilotage d’irrigation intelligent des parcelles agricoles. L’objectif est de démontrer que l'on peut irriguer, même en période de sécheresse, de manière intelligente et sûre pour les plantes, la santé et l’environnement. Afin d'évaluer l'efficacité de cet outil, des parcelles expérimentales et de référence sont suivies pendant 3 ans en France (eau irriguée, eau du sol, sol, culture) ». Nous comptons sur la directive européenne en cours de négociation pour simplifier les démarches administratives, mais nous sommes au point techniquement et économiquement », souligne Jérôme Gambi, chef de marché Eau et réutilisation chez Veolia France.
Micropolluants : aucune obligation mais…
Médicaments, pesticides, perturbateurs endocriniens, microparticules de plastique, etc. Nombreux sont les polluants présents en petites quantités dans les eaux usées et non traités par les filières classiques. Certains pays, comme la Suisse, imposent un traitement quaternaire pour les prendre en charge. Ce n’est encore pas le cas en France, qui préfère limiter les émissions à la source, mais certaines collectivités sont prêtes à “devancer l’appel”. Là encore, les solutions existent, souvent à base de charbon actif ou d’ozonation. « Les exigences seront définies par des textes qui n’ont pas encore vu le jour en France. Les techniques existent chez les grands traiteurs d’eau (Suez, Veolia, Saur, Vinci Environnement), mais il y a peu de réalisations pour l’instant », analyse Anne Premel, responsable Process et Ingénierie chez EMO. « Pour l’instant, on anticipe, on prévoit de la place dans les STEP mais on ne met pas encore ces procédés en œuvre, car ce sont des investissements importants » confirme Jean-Christian Beaumont chez Antea Group.
Jacobi, très actif sur la partie traitement des micropolluants grâce aux charbons actifs, a réalisé dernièrement une étude d’adsorption en mode dynamique (représentatif de l’utilisation d’un filtre à charbon en grain) en partenariat avec une Université en Allemagne. L’étude porte sur l’abattement de 5 résidus pharmaceutiques courants contenus dans des eaux usées municipales, au fur et à mesure du temps. L’étude révèle la grande efficacité du charbon actif vis-à-vis de ces composés. « Contrairement au traitement par ozonation, le charbon actif présente l’avantage d’éliminer les polluants en les retenant, et non de les transformer en sous-produits, souligne Isabelle Laidin, Applications Manager chez Jacobi Carbons France. Nous proposons par ailleurs des voies de retraitement du charbon actif en grain saturé afin de restaurer sa porosité et ainsi lui redonner une deuxième vie pour un plus grand respect de l’environnement. Comme confirmé par cette étude, l’efficacité de traitement par charbon actif est variable selon la molécule considérée, la qualité de l’effluent et le choix du charbon actif bien sûr. C’est dans ce cadre que Jacobi apporte toute son expertise technique ».
« Notre dispositif Carboplus® se vend très bien en Suisse mais nous n’en avons installé que quelques exemplaires en France », indique de son côté Fabrice Nauleau chez Saur. Suez dispose également d’une technologie opérationnelle mais, à l’exception de la STEP de Sophia-Antipolis, ne la met pas en œuvre en France. « Ces traitements ont un coût et, sans obligation réglementaire, les maîtres d’ouvrage hésitent », justifie Christelle Metral. Veolia dispose également, avec Actiflo/Multiflo®, d’une technologie opérationnelle et déjà déployée à l’international. « Nos recherches, et des années d’expérience, nous amènent à combiner systématiquement le charbon actif en poudre et l’ozonation, pour abattre tant les polluants que leurs produits d’ozonation. Nous sommes aussi les seuls, grâce à notre partenaire WatchFrog, à proposer un outil de suivi biologique en ligne pour estimer l’effet réel sur le milieu », insiste Jérôme Gambi.
Le BRM constitue également une solution intéressante pour éliminer les composants préoccupants, les micropolluants et les produits pharmaceutiques des eaux usées municipales et hospitalières. Alfa Laval a par exemple développé une nouvelle gamme de bioréacteurs alliant les avantages des technologies des fibres creuses et des membranes planes. Combinant les technologies LowResist™, S Aerator™ et QuickSwap™, ces systèmes présentent de nombreux avantages et permettent de maximiser la récupération des ressources tout en éliminant les micropolluants et les microplastiques comme l’ont montré de récentes études menées dans une usine de traitement des eaux usées au Danemark.
Signalons toutefois que la ville de Dijon a inclus l’élimination des micropolluants dans son récent appel d’offre. Un signe des temps ?
Outre ces techniques d’ores et déjà disponibles, les grands opérateurs, seuls ou accompagnés par des structures de recherche, développent et testent, en particulier du point de vue économique, des solutions qui devraient apparaître dans les toutes prochaines années. Parmi les domaines concernés, le traitement des boues en amont de la méthanisation (projet Capture d’Irstea, Insa, Grand Lyon, Saur et agence de l’eau RMC), la récupération du phosphore (Irstea) ou de l’azote (Saur), la co-méthanisation (projet Cometha du SIAAP et du Syctom Paris), la méthanisation (Suez/Insa Toulouse), la production de biochar (Suez), la gestion centralisée des STEP (Veolia)…
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