Les usines de production d’eau potable doivent aujourd’hui faire face de plus en plus souvent à des pics de turbidité provoqués par des excès de pluie ou de sécheresse. Les approches multi-filières se développent pour traiter une eau brute de plus en plus complexe. Les solutions proposées sont à la fois plus sophistiquées et plus simples à mettre en oeuvre. Au-delà des réponses techniques, se fait jour la nécessité d’une organisation qui dépasse l’unité de traitement pour faire face à des situations exceptionnelles.
La turbidité est un indicateur essentiel de la qualité de l’eau. Elle correspond à une réduction de la transparence d’un liquide par la présence de matières non dissoutes. Cette turbidité doit être traitée car elle est constituée de matières en suspension et de particules colloïdales auxquelles s’accrochent de nombreux micro-organismes potentiellement pathogènes.
Sa valeur ne doit pas dépasser 0,5 NTU dans l’eau potable. Sa mesure est donc obligatoire et effectuée régulièrement en laboratoire. Mais elle sert également de plus en plus souvent en continu pour contrôler la qualité de l’eau en sortie et pour piloter les traitements de l’eau afin d’assurer une qualité d’eau constante tout en ajustant au mieux les quantités de réactifs utilisés.
La mesure en continu est également intéressante pour établir en différé des bilans ou construire des modèles de transfert de polluants. « La mesure de turbidité est un classique dans les grosses usines de production d’eau mais les petites collectivités s’équipent aussi aujourd’hui de turbidimètres pour prévenir les pics de turbidité associés aux précipitations, explique Aurélia Genet, chef de marché environnement et énergie chez Endress+Hauser. Ces petites unités se limitent souvent à ajouter du chlore dans l’eau de captage et il est essentiel de pouvoir identifier le seuil de turbidité au-delà duquel il faut arrêter la distribution ».
La technique de mesure de la turbidité est arrêtée par la norme ISO 7027. Elle consiste à mesurer la diffusion d’un rayonnement infrarouge de 860 nm (largeur de bande inférieure ou égale à 60 nm) recueillie à un angle de 90° par rapport à la lumière incidente. Cette mesure, dite néphélométrique, est exprimée en FNU (Nephelometric formazin unit) ou en NTU (Nephometric turbidity unit) et est adaptée à la mesure des faibles turbidités, inférieures à 400 NTU, qui sont celles des eaux brutes destinées à être traitées pour la consommation. La valeur de la turbidité dépend de la taille, de la forme et de l’indice de réfraction des particules.
Elle ne peut donc pas être directement corrélée à la mesure de matières en suspension qui correspond à la masse des particules. Cette valeur dépend également de la longueur d’onde de la lumière incidente, une lumière de 880 nm conduisant à des écarts de 1,5 à 2 % par rapport aux mesures à 860 nm définie par la norme et une lumière de 950 nm à des écarts de 6 à 9 %. La comparaison de mesures provenant d’appareils de modèles différents peut dont être entachée d’imprécisions.
Des appareils de mesures de plus en plus simples et compacts
« La sensibilité des mesures et leur répétabilité sont des caractéristiques importantes des appareils, note Guillaume Schneider chez Swan. Elles sont normalement garanties par le respect de la norme ISO 7027. Les appareils vont surtout se différencier par leur encombrement, la présence d’un système de dégazage, les plages de mesure, une facilité d’étalonnage ou de nettoyage, leur consommation en eau, leur pose sur conduite ou en dérivation...".
Le AMI Turbiwell, développé par Swan, est conçu pour des plages de mesure de 0 à 200 NTU avec une précision de ± 0,003 NTU. Sa principale caractéristique, qu’il partage avec Sigrist, est d’offrir une mesure sans contact. « Cette solution est plus chère à l’achat du fait des investissements en R&D nécessaires pour sa mise au point, mais demande très peu d’interventions de nettoyage. Elle n’est pas sujette à encrassement, aucune dérive n’est donc possible et aucun étalonnage n’est requis. Le surcoût est rentabilisé en quelques mois. Beaucoup d’exploitants privilégient aujourd’hui cette technologie qui économise les pièces détachées et les heures de maintenance. Par exemple la société du Canal de Provence a équipé tous ses sites de notre turbidimètre ».
L’appareil intègre un bloc thermostaté dans la chambre de mesure afin de supprimer la condensation sur les optiques. Il est également muni d’un dégazeur gravitaire en serpentin qui débarrasse l’eau entrant dans la chambre de mesure des bulles d’air.
Ces dernières réfléchissent en effet la lumière d’une manière similaire aux MES et perturbent la mesure. « Cette dimension n’est pas toujours prise en compte par les fabricants, déplore Guillaume Schneider Les exploitants sont ensuite obligés d’ajouter un dégazeur externe ou d’aménager des zones de dégazage (citerne, cascade) afin de laisser les bulles s’échapper avant la mesure ».
Si Swan et Sigrist commercialisent des turbidimètres sans contact en milieu ouvert, Krohne pour sa part a développé l’Optisys TUR 1050, qui prend la mesure à travers le verre d’une cuvette amovible.
L’appareil fonctionne, pour une utilisation standard, sur la plage de 0 à 100 NTU avec une précision de la mesure d e 0 ,02 NTU pour des turbidités inférieures à 40 NTU.
Les cuvettes sont de petite taille ce qui réduit les volumes de liquide utilisés pour les mesures.
Elles sont équipées d’une sonde piézoélectrique sur leur face inférieure qui assure un nettoyage par ultrasons des parois de la cuvette et casse les bulles susceptibles de fausser la mesure. Elles peuvent être aisément remplacées par une cuvette neuve si nécessaire.
« Le TUR 1050 est un des turbidimètres les plus rapides à étalonner du marché, tient à préciser Patrick Bret, responsable produit analyse chez Krohne. La mesure est réalisée sur une cuvette étalon de référence (0,02, 10, 100, 1 000 NTU) que l’on insère à la place de la cuvette de mesure. L’ensemble de l’opération n’excède pas un quart d’heure. Simplifier l’étalonnage est une tendance du marché car les compétences techniques nécessaires se perdent alors que le nombre d’instruments de mesure, qu’il faut comprendre et savoir utiliser, augmente. Il est préoccupant de ce point de vue de voir diminuer les effectifs des BTS Cira d’année en année ».
Krohne a opté pour des échantillons n’utilisant pas la formazine, très toxique, mais un étalon secondaire, plus stable et de plus longue durée de vie.
Endress+Hauser propose de son côté le seul turbidimètre du marché qui se pose directement sur le conduit, le Turbimax CUS 52D.
La gamme optimale de mesure de ce nouvel appareil est de 0 à 1 000 NTU et il est autonettoyant grâce à aux matériaux très lisses utilisés (fenêtre optique en saphir) et sa forme biseautée qui limitent les dépôts.
Pour les eaux brutes, il est conseillé d’ajouter en vis-à-vis sur le conduit un système de nettoyage par ultrasons afin de limiter la fréquence des interventions. La ville de Fislis (ci-contre) a adopté la version rétractable afin de pouvoir sortir le capteur pour le nettoyer le cas échéant.
« L’avantage de ce capteur est que l’on évite le montage en dérivation qui consomme selon les modèles entre 10 à 100 l d’eau par heure, souligne Aurélia Genet chez Endress+Hauser. C’est une importante économie d’eau. De plus, le capteur Turbimax CUS52D bénéficie de l’attestation de conformité sanitaire (ACS) qui n’est pas obligatoire pour les analyseurs physico-chimiques, mais qui est de plus en plus souvent demandé par nos clients pour les mesures dans le process et en sortie d’usine. C’est aussi un atout pour la surveillance de la qualité de l’eau dans les réseaux d’eau potable ».
Pour ses appareils montés en dérivation, Endress+Hauser propose un dégazeur, monté séparément, qui élimine les bulles par effet Vortex le cas échéant.
Chez EFS, c’est le Turbi-Probe 860+, une sonde de turbidité en ligne (en immersion ou en insertion) qui permet la surveillance en continu et de manière autonome de la qualité des eaux et des effluents.
D’une grande précision de mesure (<0,02 NTU de 0 à 1 NTU), cette sonde est particulièrement adaptée aux eaux potables, eaux de surface et eaux de process.
Elle permet une mesure dans une plage comprise entre 0 à 1 500 NTU avec une résolution de 0,001 NTU.
L’échantillon à analyser est soumis à un rayonnement laser à une longueur d’onde de 860 nm. En fonction de sa turbidité, l’échantillon va plus ou moins diffuser ce rayonnement.
L’intensité de la lumière diffusée définit la turbidité des échantillons.
L’étalonnage est calculé automatiquement par l’appareil qui détermine la corrélation entre les intensités de lumière diffusée mesurées et les valeurs de turbidité de plusieurs solutions étalons de Formazine.
La société s::can propose de son côté sa sonde i::scan par spectrométrie UV Vis.
Sa version eau potable permet une mesure précise de la turbidité et pour de très faibles valeurs. De plus, cette même sonde existe avec une mesure simultanée de l’UV 254, du COT et de la couleur.
« Notre sonde i::scan mesure bien entendu la turbidité, mais également et simultanément d’autres paramètres importants comme les matières organiques, par une mesure spectrale directe du COT. Notre sonde i::scan offre donc une solution bon marché et à coûts d’exploitation quasiment nuls pour sécuriser la qualité de l’eau distribuée aux consommateurs 24h/24 », détaille Philippe Marinot, Directeur Général chez s::can France.
Le nouveau turbidimètre PTV 1000 de Cifec est adapté à la mesure en dérivation de faibles turbidités (0,001 à 10 NTU et 0,01 à 100 NTU) et fonctionne avec un petit débit d’échantillon, entre 1,8 et 9 l/h.
Il intègre un piège à bulle et le nettoyage est simple et rapide car la chambre de mesure s’ouvre sans outil, juste en soulevant la partie supérieure.
Des étalons liquides stables permettent un étalonnage simple et rapide, grâce à leur présentation en poche souple prête à l’emploi.
Aquacontrol propose également deux nouvelles sondes de turbidité.
Le modèle TU8525 fonctionne en immersion ou en ligne sur 3 plages (0-4, 0-40 et 0-400 NTU) et est équipé d’un système d’auto-nettoyage par air comprimé.
Le turbidimètre TU7685 est composé d’un analyseur, d’une sonde de turbidité (rayonnement à 890 nm) et d’une chambre noire de mesure qui permet d’éviter les perturbations provoquées par la lumière extérieure.
Le capteur Jumo ecoLine NTU de Jumo régulation fournit pour sa part des mesures optiques de diffusion pour un rayonnement de 880 nm. La mesure se fait en immersion, sur une armature plongeante.
Il offre 4 étendues de mesure (0 à 50 NTU, 0 à 200, 0 à 1 000 et 0 à 4 000) avec une erreur de mesure inférieure à 5 % de la valeur affichée.
Une sortie numérique peut être branchée sur le nouveau système numérique de raccordement intelligent Jumo digiLine ou être relié au Convertisseur/Indicateur/Régulateur Jumo AQUIS 500 RS.
Hach Lange propose un turbidimètre pour les eaux ultra claires, le Filtertrak 660 sc aux performances équivalentes à celles d’un compteur de particules.
Cet appareil est conçu pour détecter des modifications de concentration des particules de taille inférieure au micron (jusqu’à 0,0005 NTU) grâce à une optique laser avancée et du traitement des signaux afin de détecter de façon précoce la détérioration des filtres.
Il utilise la méthode USEPA 10133, une mesure néphélométrique obtenue avec un faisceau de 660 nm fortement collimaté et monochromatique afin d’éliminer les reflets parasites.
Un système de détection déporté calcule la turbidité en milliNTU. Utilisé en eau potable, ce turbidimètre est surtout destiné à l’obtention d’eaux industrielles ultra-propres.
Mais surtout, Hach a récemment présenté la série TU5 dédiée à l’eau potable et d’autres applications en eau pure. Elle repose sur une technologie de détection en 90° x 360° qui permet de supprimer toute incertitude pouvant remettre en cause la confiance dans les résultats (cf. encadré).
Anhydre commercialise également des capteurs de turbidité qui s’utilisent soit seuls (sortie directe analogique ou numérique ModBus) soit intégrés en OEM sur des sondes multi-paramètres.
L’essentiel de leurs applications se situe sur la ressource comme la détection-surveillance des chocs de turbidité à la suite d’intempéries dans les sols karstiques, les travaux de génie civil en milieu aquatique.
Deux principales filières pour abattre la turbidité
Abattre la turbidité est un objectif essentiel car cela suffit dans bien des cas à obtenir une eau de qualité réglementaire (inférieure à 0,5 NTU).
Le choix des traitements à effectuer pour cela dépend en premier lieu de la qualité de l’eau brute.
Les eaux souterraines profondes (plusieurs centaines de mètres) ne sont pas turbides car l’eau est filtrée par le sol pendant son transfert. Il s’agit plutôt dans ce cas de prévenir sa contamination en s’assurant de l’étanchéité de l’ouvrage de pompage.
En revanche, les eaux de surface et les eaux karstiques présentent souvent une turbidité trop élevée pour la consommation avec des pics provoqués par le lessivage par les eaux pluviales.
La dégradation de la qualité des eaux brutes et l’adoption de normes plus sévères pour l’eau potable nécessite de plus en plus souvent de combiner plusieurs technologies en fonction de la composition de l’eau. Il faut raisonner en termes de multi-filières.
La filière traditionnelle, la moins chère, consiste à favoriser la décantation des particules en suspension en ajoutant des coagulants, comme le sel d’aluminium ou de fer, afin de déstabiliser électriquement les particules colloïdales et les forcer à s’agréger (floculation). Ils peuvent alors être dissociés de l’eau par séparation gravitaire ou, quand la turbidité est faible, par flottation.
Le plus souvent ce traitement est suivi d’un filtre à sable ou d’un filtre bi-couche (anthracite/sable). Si la turbidité est faible (inférieure à 10 NTU), un léger ajout de coagulant avant un filtre à sable peut suffire.
De nombreux fabricants ont développé des technologies de floculation et de décanteurs et la tendance va vers des systèmes modulaires plus simples à mettre en oeuvre aussi bien pour les petites que les grosses unités.
Veolia Water Technologies propose des solutions modulaires très compactes et économiques (de 100 à 60 000 m3/j) autour de son procédé de clarification à grande vitesse Actiflo qui comprend une étape de coagulation/floculation avec l’agitateur Turbomix et un décanteur lamellaire qui offre une vitesse de décantation de 68 à 80 m/h pour l’eau potable. La conception du module permet une réduction de 50 % de la consommation de réactif et une réduction de 4 à 8 de l’emprise au sol de l’installation.
Cette approche classique doit cependant être revisitée pour tenir compte de nouvelles caractéristiques des eaux brutes. « 90 % des usines dans le monde fonctionnent avec la filière coagulation/floculation, décantation, filtre à sable avant désinfection, le plus souvent par chloration, pose Kader Gaid, Chef du département Valorisation de l’eau chez Veolia Water Technology. On enlève ainsi 99 % des particules, ce qui permet d’atteindre le seuil réglementaire. Néanmoins, ce taux de 99 % n’est pas suffisant pour détruire totalement les parasites Giardia (7 à 12 microns) et Cryptosporidium (3 à 5 microns) pour lesquels la dose infectante est très faible. L’ajout d’un traitement par ultra-violet permet un abattement de 99,99 % de ces parasites ».
Une deuxième solution pour abattre une turbidité supérieure à 20 NTU, est l’ultrafiltration. Cette technologie récente consiste à faire passer sous pression l’eau brute sur une membrane constituée de milliers de fibres très fines rassemblées à l’intérieur d’une gaine rigide.
Les parois des fibres sont percées de pores microscopiques, de 0,01 ou 0,02 micron, qui arrêtent toutes les particules de plus gros diamètre. L’ultrafiltration présente l’avantage de ne pas nécessiter de réactifs chimiques et de produire, en une seule étape, de l’eau potable de très bonne qualité avec un NTU inférieur à 0,02 de façon constante quelles que soient les variations de qualité de l’eau brute.
Aquasource (groupe Suez), Polymem, Elma Technologies, Pentair, Toray membrane, Firmus, ICE Water par exemple proposent des unités compactes d’ultrafiltration adaptées aux petites usines de production d’eau potable.
« Nous sommes beaucoup sollicités aujourd’hui par les petites collectivités ou des petits industriels qui subissent de plus en plus de pics de turbidité nécessitant l’arrêt de la distribution d’eau, confirme Cécilia Cazaban chez Aquasource. Nous avons conçu pour ces applications des unités d’ultrafiltration compactes et simples d’utilisation, les systèmes Aquasource XS, qui sont aussi compétitives que le filtre à sable et bénéficient d’une attestation ».
Aquasource XS intègre les dernières améliorations de performance des membranes, en polyester, sulfone, monocanal avec un passage de l’eau de l’intérieur vers l’extérieur.
La membrane de filtration fonctionne à basse pression (< 0,3 bar) et consomme moins de 60 W/m Le nettoyage des filtres par rétrolavage est automatique et sa fréquence est déterminée par la qualité de l’eau brute. "Grâce à la taille très faible de ses pores, la membrane d’ultrafiltration arrête 99,99 % virus et 99,9999 % des bactéries et parasites et délivre une eau de qualité constante < 0,1 NTU, quelles que soient les contaminations bactériennes et autres pics de turbidité.. Un autre avantage est qu’elle permet de réduire d’un facteur trois à cinq la quantité de chlore dans le réseau et offre une rémanence supérieure ce qui évite les postes d’injection de chlore tout au long du réseau, assure Cécilia Cazaban. Confrontée à des pics récurrents de turbidité qui imposaient un nettoyage fréquent du filtre à sable, la commune de Robiac Rochessadoule, dans le Var, a adopté ce système aquasource® XS en remplacement du filtre, sans génie civil supplémentaire pour une production de 330 m3/j ».
Polymem, dispose également d’un nouveau système compact et économique d’ultrafiltration avec membranes en fibres creuses, Gigamem, disponible en module, rack ou système complet.
Les modules sont composés de carters en inox, qui restent en place toute la vie de l’usine, et des éléments membranaires amovibles.
Le coût de renouvellement des membranes s’en trouve considérablement réduit.
Ce produit vise le marché de la construction de nouvelles usines mais aussi celui du renouvellement des modules d’ultrafiltration dans des usines existantes.
L’usine de production d’eau potable de Saint Cloud pour Eau de Paris et l’usine de la commune de Vaujany par exemple ont choisi les membranes Gigamem pour remplacer leurs modules arrivés en fin de vie. "La technologie d’ultrafiltration permet d’obtenir une eau de qualité constante en une seule étape de traitement sans ajout de réactifs chimiques, estime Kader Gaid. Mais elle reste chère car les membranes doivent être nettoyées à l’acide et à la soude une fois par semaine ou tous les 15 jours selon la qualité de l’eau brute, et être renouvelées tous les 5 à 8 ans alors qu’un filtre à sable dure 30 ans. On peut cependant limiter l’encrassement en ajoutant un peu de coagulants dans le tuyau d’arrivée d’eau afin d’agréger les particules colloïdales qui colmateront ainsi plus difficilement la membrane ».
L’ultrafiltration devra toutefois être complétée par une étape au charbon actif si l’eau brute contient également des matières dissoutes (pesticides, perturbateurs endocriniens, micropolluants…) qui ne sont pas arrêtées par les membranes.
« C’est la solution que nous préconisons dans les zones où l’eau est très chargée en matières organiques comme en Bretagne, précise Kader Gaid. Le plus souvent avec du charbon actif en poudre (réacteur CAP) que l’on place avant le filtre à sable et qui permet d’adapter la dose de charbon à la pollution entrante. On économise ainsi 30 % environ de charbon par rapport à un filtre en grain dont la durée de vie maximum est de 2 ans ».
Veolia Water Technologies propose ainsi sa solution modulaire Actiflo Carb qui intègre dans le module Actiflo une cuve de contact avec du charbon actif en poudre en amont de la coagulation pour éliminer ces matières dissoutes.
Un circuit de recirculation assure la récupération du microsable utilisé pour la floculation (pour alourdir les flocs) et le charbon actif.
Cette solution a été adoptée pour la construction de l’usine de Moselle et Madon mise en route en 2016.
« Nous pouvons également équiper à moindre coût des usines vieillissantes, ajoute Kader Gaid. Nous avons installé un Actiflo Carb dans les usines de produit à Zhejiang Fuyang (250 000 m3/j) et à Tongxiang (200 000 m3/j) en Chine ».
Faire face aux pics de turbidité
Face à la turbidité, toutes les usines de production d’eau potable ne sont pas égales.
Bien souvent, les petites collectivités qui pompent l’eau de surface ou peu profonde dans un point bas n’ont guère d’autre ressource que de stopper la production en cas de pics de turbidité et de dévier l’entrée d’eau vers les égouts.
En revanche les grandes usines sont dimensionnées en s’appuyant sur des historiques de la qualité de l’eau portant sur des dizaines d’années de données. Elles bénéficient également d’outils de suivi de la production performants et d’aide à la décision qui leur permettent d’anticiper des variations importantes de turbidité et d’adapter les traitements en conséquence.
L’usine de Morsang-sur-Seine, exploitée par Suez, traite 200 000 m3/h d’eau pompée directement dans la Seine sur une filière classique mais évoluée composée de coagulation/décantation, ozonation, double filtration sur charbon actif et désinfection par UV.
Elle est la première à obtenir la certification Gestion préventive du risque sanitaire (ISO 22000). « Nous sommes bien équipés pour répondre aux variations de turbidité qui surviennent avec les pluies mais qui accompagnent également les baisses de débit en été, précise Stéphane Cordier, DG adjoint région parisienne chez Suez. Bâtie hors crue 1901 plus un mètre, l’usine a pu fonctionner sans difficultés particulières lors des épisodes de pluies et d’inondations de juin dernier. Les vulnérabilités proviennent plutôt de l’alimentation électrique. Nous avons dans ce cas des groupes électrogènes prêts à prendre la relève. Il est également indispensable de prévoir des stocks de réactifs ».
Autre point fort qui s’est avéré essentiel au cours de ce mois de juin, Morsang fait partie d’un réseau interconnecté d’usines autour de Paris.
Si une usine se trouve dans l’incapacité de produire, elle est en mesure de basculer sur une autre pour continuer à assurer la distribution d’eau potable. « Grâce à ce réseau nous avons pu alimenter 130 000 habitants supplémentaires, souligne Stéphane Cordier. Nous avons aussi alimenté par camions citernes ou par de l’eau en bouteille, les zones touchées non accessibles par le réseau. Dans certains cas, nous avons posé des skids d’ultrafiltration mais c’est une solution que l’on ne privilégie pas car elle est compliquée à mettre en oeuvre dans ce contexte ».
Suez s’appuie également sur la réalimentation préventive de la nappe phréatique de l’ouest parisien qui sert ainsi de réservoir d’eau potable.
L’eau de Seine préalablement traitée, sans être totalement potable, est dirigée dans des anciennes gravières qui servent de bassins d’infiltration et affinent le traitement de l’eau. « Les très forts épisodes de turbidité nécessitent des réponses à de nombreux niveaux, conclut Stéphane Cordier. Les crues de juin ont permis d’identifier les points vulnérables, comme l’alimentation électrique, et mis en évidence l’importance des exercices de crise pour la remise en route des usines débordées ».