Solution de traitement du sélénium pour la production d’eau potable
06 juillet 2020Paru dans le N°433
à la page 109 ( mots)
Rédigé par : héloïse BERTIN de SUEZ, Patrice HOFMAN de SUEZ, Isabelle BAUDIN de SUEZ et 2 autres personnes
Les ressources alimentant une station de production d’eau potable d’une commune de l’Est de la France contiennent du sélénium à des concentrations supérieures à la limite de qualité de 10 ?g/l. SUEZ a été sollicité pour proposer une solution de traitement adaptée au site à partir d’essais de qualification, à échelle laboratoire et pilote, de media adsorbants et résines anioniques.
Les résultats des essais ont permis de dimensionner une unité de traitement sur résine (DOW PWA5) de 50?m3/h (50?% du débit), d’en définir les conditions d’exploitation avec pilotage des cycles de production/régénération sur le suivi des nitrates et mise à l’équilibre calco-carbonique pour garantir une qualité d’eau conforme 100?% du temps à l’objectif interne en sélénium (<7?µg/l).
INTRODUCTION
Le Sélénium : un enjeu pour les traiteurs d’eaux
Le sélénium est un métalloïde peu courant à l’état natif (0,05 ppm en moyenne), présent en petites quantités dans la plupart des sulfures métalliques naturels, compte tenu de ses propriétés chimiques voisines de celles du soufre. Il est principalement extrait comme coproduit de la métallurgie du cuivre, du nickel et du plomb. Il existe à plusieurs degrés d’oxydation (DO) dans l’environnement : -2 (séléniure), 0 (sélénium élémentaire), +4 (sélénite) et +6 (séléniate).
Dans le sol, le sélénium est essentiellement présent sous les deux formes anioniques, sélénite SeO32- (DO=+4) et séléniate SeO42- (DO=+6). Dans les eaux douces de surface, le sélénium inorganique est présent essentiellement sous forme de séléniate et de sélénite, ce dernier s’adsorbant plus facilement sur les matières en suspension. Dans les eaux souterraines, la disponibilité du sélénium dépend des réactions de complexation, de dissolution/précipitation, et d’adsorption avec les matières organiques, les argiles, les carbonates, les oxy-hydroxydes présents dans les sols et sous-sols (AESN 2018, BRGM 2011, INRS 2011, INERIS 2014).
L’OMS (2011) a édité une valeur guide de 40 μg/l pour le sélénium en eau potable. En France, la limite de qualité dans l’eau de distribution est fixée à 10 μg/l par le Code de la Santé Publique. Au regard de l’argumentaire développé par l’OMS, l’ANSES a proposé en 2018, de retenir la valeur de 30 µg/l pour le sélénium dans les eaux destinées à la consommation humaine. La révision en 2020, de la directive européenne pour l’eau potable préconise une concentration à 20 µg/l, avec une extension possible à une concentration de 30 µg/l dans les zones où le sélénium est d’origine naturelle. Dans l’attente de ces évolutions potentielles de concentration-cible, la valeur de 10 µg/l est à garantir en France en eau potable. L’atteinte de cette valeur est un enjeu fort pour les traiteurs d’eau. Ainsi pour le groupe SUEZ, 10 % des non conformités en eau potable pour les paramètres physicochimiques observées en 2018 étaient associées à ce paramètre.
Différents traitements permettent une diminution plus ou moins élevée des teneurs en sélénium dans l’eau traitée. L’ion sélénite est de façon générale plus facile à traiter que l’ion sélénate (Anses 2011,2014, Santos 2015, Yangzhuo 2018).
Les traitements envisageables et leurs performances attendues sont les suivants :
La clarification est peu efficace (5-15 %). Un meilleur rendement est obtenu pour l’élimination des ions de type sélenite par coagulation avec des sels ferriques à un pH inférieur à 7.
La décarbonatation à la chaux ou à la soude à un pH supérieur à 9 permet une bonne élimination de l’ion sélénite (90 %), et un moindre rendement pour l’ion séléniate (20 %).
Sur du sable revêtu d’oxyde ferrique, l’adsorption de l’ion de type sélénite peut être totale avec des temps de contact faibles (10 minutes). Celle de l’ion séléniate nécessite un temps de contact plus important (90 minutes).
D’autres media, tels que le dioxyde de manganèse ou l’alumine activée permettent une bonne rétention des formes ioniques du sélénium. Un pH inférieur à 7,5 est recommandé pour ces traitements (Kalaitzidou 2019).
L’utilisation du fer à la valence zéro a aussi été étudiée pour le traitement des ions séléniate. Elle s’est révélée efficace, mais nécessite des temps de contact longs (16 à 30 heures) non compatibles pour une application industrielle en production d’eau potable.
L’adsorption sur charbon actif n’est pas efficace.
Les résines échangeuses d’anions retiennent efficacement les ions sélénite et séléniate.
L’osmose inverse, ou la nano filtration avec un seuil de coupure inférieur à 200 Da est efficace pour le traitement des ions de type sélénite et séléniate, avec des taux d’abattement supérieurs à 95 %. L’ANSES a délivré en 2014 l’agrément eau potable pour la membrane FilmtecTM NF90B400 appliquée au traitement des sélénium, chlorures, nickel et perchlorates.
Un exemple de site concerné par la problématique du Sélénium
Les eaux souterraines alimentant, au travers de 2 forages, une station de production d’eau potable (100 m3/h) d’une commune de l’Est de la France, contiennent du sélénium à des concentrations parfois supérieures à la limite de qualité de 10 μg/L (variation entre 8 et 14 µg/l). La spéciation du sélénium a permis de mettre en évidence qu’il était à 100 % sous sa forme la plus oxydée, le séléniate, forme la plus difficile à traiter. Ces ressources contiennent également des nitrates et des sulfates à des teneurs médianes respectives de 15 et 30 mg/l. Elles sont fortement minéralisées avec une valeur médiane de Titre Alcalimétrique Complet (TAC) de 30 °f.
Le Groupe SUEZ a été sollicité pour la définition d’une solution technique robuste et économiquement viable du traitement du sélénium à mettre en œuvre en renforcement de la filière actuelle inadaptée au traitement du sélénium (simple chloration).
PROJET DE FILIÈRE DE TRAITEMENT
Les objectifs du projet
Les questions auxquelles le projet devait répondre étaient les suivantes :
Quels sont les procédés de traitement envisageables pour atteindre un objectif inférieur à 7 µg/l dans l’eau distribuée sur ce site ? Quelles sont les performances du procédé sélectionné ?
Quels sont les traitements complémentaires recommandés pour intégrer ce procédé dans la filière de traitement actuelle ? Quelles sont les caractéristiques techniques du projet industriel (dimensionnement et exploitation) ?
Méthodologie
L’étude a été menée en quatre étapes :
Etude des données de qualité des eaux et définition des hypothèses de travail.
Essais de préqualification en laboratoire de matériaux adsorbants (Oxy-hydroxydes de fer) et échangeurs d’ions (résines anioniques) avec définition des configurations de fonctionnement des unités-pilotes à envisager.
Essais sur site, de traitement par échange d’ions, en unités-pilote de filtration.
Synthèse des essais et définition des caractéristiques de la filière retenue à mettre en place.
L’unité-pilote mise en place sur site était composée d’une pompe d’alimentation avec débitmètre et compteur hydraulique, d’une colonne de filtration garnie de 25 litres de résine, d’un bac de préparation de saumure équipé d’une pompe et d’un bac d’eau sale équipé d’une pompe vide cave pour l’évaluation de l’ensemble des rejets (eau filtrée et éluats).
La filtration était de type descendant.
L’installation du pilote est représentée Figure 1.
Les débits volumiques appliqués sur les colonnes, en fonction des préconisations des fournisseurs (volume traité/volume de résine/heure exprimé en V/V/h) étaient les suivants pour les deux résines testées :
Résine Dow : 25 V/V/h, soit 625 l/h,
Résine Purolite : 20 V/V/h, soit 500 l/h.
V/V étant le volume d’eau passé par volume de résine.
Les conditions de régénération appliquées étaient similaires pour les deux résines testées, à savoir :
Taux de régénération à 150 g de sel (NaCl) par litre de résine,
Concentration de la saumure diluée : 110 g/l,
Vitesse de poussage et rinçage lent : 6 m/h,
Débit de rinçage rapide : 625 l/h.
Les résines ont été épuisées et régénérées deux fois (cycles 1, 2) avant de réaliser le suivi de cycles (cycles 3,4,5,6) pour les paramètres-clés (sélénium, nitrates).
En complément, une étude des régimes transitoires a été réalisée. Il s’agissait de suivre la qualité de l’eau produite lors de deux phases habituellement rencontrées en exploitation : remise en production après un arrêt et remise en production après une régénération.
Résultats de l’étude-pilote
Les essais-laboratoire ont permis de mettre en évidence les éléments suivants :
La très faible performance de la filtration/adsorption sur granules d’oxy-hydroxyde de fer (GEH) dans les conditions de temps de contact évaluées et, ce, même avec des conditions de pH acide.
La pertinence des résines échangeuses d’ions comme meilleure solution technique pour le traitement du séléniate sur cette ressource.
Les essais-pilote ont permis de comparer deux résines échangeuses d’ions :
La résine Purolite A600E (résine anionique recommandée pour capter efficacement les ions sélénite et séléniate, mais aussi l’alcalinité, les nitrates, les sulfates et les chlorures ; résine non agréée pour l’eau potable en France ; capacité théorique de 0,45 eq/l).
La résine Dow PWA5 (résine anionique spécifique pour la dénitratation, agréée en France pour l’eau potable ; capacité théorique de 0,2 eq/l).
Les Figures 2 et 3 présentent des exemples d’évolution de différents paramètres (sélénium, nitrates, conductivité) suivis pendant les cycles de filtration pour les deux résines évaluées.
Le suivi des cycles de production de la résine Dow (Figure 2) a permis de mettre en évidence les éléments suivants :
Une percée en nitrates proche de la percée théorique : la percée réelle est à 650 volumes d’eau traitée par volume de résine pour une percée théorique à 760.
Le suivi des nitrates est un bon moyen de contrôle du procédé pour anticiper la fuite de sélénium, détectable à partir de 600 l/l.
Par ailleurs, cette résine a un effet notable sur la rétention des sulfates et du TAC en début de cycle (< 100 l/l) et quasi nulle en fin de cycle.
Le suivi des cycles de filtration de la résine Purolite (Figure 3) a mis en évidence :
Aucune percée du sélénium sur la base du cycle défini par le fournisseur (60 volumes traité/volume de résine).
Aucune percée n’a été observée non plus sur le cycle 6 (cycle trois fois plus important que les préconisations des fournisseurs).
En parallèle, une élimination totale (valeur inférieure à la limite de détection) des nitrates, des sulfates, et du TAC est observée jusqu’à 60 volumes filtrés/volume de résine.
Un début de fuite des nitrates et du TAC est observé en fin du cycle correspondant à la capacité théorique de la résine (60 l/l).
CONCLUSION & PERSPECTIVES
L’étude a permis de définir le traitement par résine de dénitratation (résine Dow PWA5, agréée pour l’eau potable) comme adaptée à la problématique du site. Ce traitement permet d’atteindre une forte élimination du sélénium, dans les conditions de l’eau testée (concentration inférieure à la limite de quantification de 0,5 µg/l) pour des cycles de 660 litres d’eau filtrée par litre de résine.
Ces performances permettent ainsi de ne traiter que 50 % du débit de la station, soit 50 m³/h, pour gérer la teneur en Sélénium de la ressource. La mise en œuvre d’un procédé multi-échangeurs (dit Multiplex) permettra de garantir une qualité d’eau stable, avec une concentration en sélénium de 7 µg/l, pour une concentration en eau brute maximale de 14 µg/l.
Le traitement complémentaire à mettre en œuvre est une mise à l’équilibre calco-carbonique avec une injection de soude. En effet, l’eau filtrée en sortie des résines, même mélangée à 50 % avec l’eau non traitée, est légèrement agressive. La gestion/évacuation des rejets (éluât de régénération) devra également être pris en compte.
Une simulation de la qualité de l’eau distribuée à partir du traitement par résine appliqué à 50 % du débit est portée dans le Tableau 1. Les coûts d’investissement et d’exploitation d’une unité de filtration sur résine sur ce site sont estimés respectivement à 450 K€ et 0,07 €/m³ produit.
Remerciements :
Cette étude a été supportée financièrement par l’agence de l’Eau Seine Normandie.
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